1. Home
  2. Actu
  3. Claudette, prostituée hermaphrodite bien dans sa peau!
Société 

Claudette, prostituée hermaphrodite bien dans sa peau!

A Genève, c’est une célébrité. Claudette, 79  ans, prostituée militante, est née avec un sexe indéterminé. Elle a choisi d’être femme mais aussi mari et père. Un parcours de vie qui défie la norme.

Partager

Conserver

Partager cet article

file6t521q33zoh1d0lvx8v7
Claudette, à Genève, avec un client devenu avec les années un ami, dira-t-elle. Malgré ses 79 ans, elle pratique encore la prostitution qu’elle définit comme un «travail de la relation» dont elle est fière.  Malika Gaudin-Delrieu

Quand elle est arrivée dans ce restaurant genevois célèbre pour son beurre café de Paris, tous les regards se sont tournés vers elle. 
Difficile de passer inaperçu lorsqu’on a rendez-vous avec Claudette, surtout si elle a sorti sa tenue des grands jours: bustier rose, lunettes de star et minijupe noire dévoilant des jambes encore, ma foi, très présentables pour 79 ans. Son livre*, écrit avec rien de moins qu’une professeure de la Sorbonne, de nombreux articles dans la presse sans parler d’un film consacré à son incroyable destin ont fait de cette travailleuse du sexe hors norme une célébrité connue au-delà des frontières de la République de Calvin. Hors norme, le terme ne s’est jamais aussi bien appliqué: Claudette Plumey est née le 19 novembre 1937 au Maroc de sexe indéterminé. Même si tout son être ne se définit pas par cette indétermination de genre, la rencontrer reste un grand moment; on songe à ce bon vieux Platon qui affirmait que si nous passions notre temps à tomber amoureux du sexe opposé, enfin le plus souvent, c’était par nostalgie d’une époque où nous étions il et elle en même temps.

file6t37g37hydhol1n1g2
«Je me sens femme à 99%. Mais il y a ce petit pour cent qui peut gêner certaines personnes», souligne Claudette, qui s’habille plutôt décontracté à la maison. Malika Gaudin-Delrieu

Claudette est hermaphrodite, elle possède à la fois un vagin et un pénis. Ses papiers d’identité sont ceux d’un homme, mais elle s’est sentie depuis toujours «femme à 99%, avec ce petit pour cent qui dérange certaines personnes». Elle pouffe un peu, parle cash, Claudette, avouant son goût immodéré pour le sexe, à un âge où beaucoup ont renoncé depuis longtemps aux galipettes. «Dans ma tête j’ai 34 ans. J’ai eu cinq cancers, faire l’amour m’aide à rester jeune! Je suis Scorpion!»

A son époque, les médecins étaient un peu empruntés avec cette particularité génétique qui touche un cas pour cent mille naissances. «Mes parents ne savaient pas s’il fallait me déclarer homme ou femme. Comme ils ont pensé que c’était plus facile à l’époque d’être un garçon, ils m’ont appelée Claude, ça marche pour les deux sexes. Quand je demandais à ma maman si j’étais un homme ou une femme, elle avait cette réponse merveilleuse: tu seras ce que tu décideras.» Claude décidera d’être Claudette. Elle ne s’est jamais fait opérer dans un sens ou dans un autre, jonglant toute sa vie entre les deux bords.

Aujourd’hui encore, les personnes dans son cas se battent, en Suisse, pour faire interdire les opérations imposées aux jeunes enfants. En décembre, l’Académie suisse des sciences a rappelé que la prudence s’imposait dans ce domaine encore largement méconnu. Claudette, elle, a passé tantôt d’une école pour garçons à une pour filles, a gagné des compétitions cyclistes (le vélo, c’est sa passion) chez les femmes quand c’était possible, et chez les hommes quand les circonstances l’exigeaient. Elle a aimé des hommes et des femmes, assure-t-elle, «mais pour ajouter à ma complexité, je me suis toujours sentie plus une femme attirée par les femmes».

Mariage presque ordinaire

A 16 ans, elle tombe amoureuse d’une voisine qui va l’initier aux choses du sexe et la poussera, à l’insu de ses parents, à se prostituer dans un bordel de Tanger en parallèle de ses études. Aujourd’hui encore, celle qui milite à la tête de diverses associations comme Aspasie pour défendre la dignité de cette profession qu’elle compare à «un art de la relation» avoue que c’est dans ce rôle qu’elle a pu véritablement vivre son côté féminin. Et même si ses clients, à l’entendre, sont plus attirés par la femme que par l’homme, cette bisexualité reste, on l’imagine, un objet de fascination.

Ses parents reviennent en Ajoie dans les années 50, d’où sa famille est originaire. Claudette entame alors des études d’architecture après avoir été boulangère à Berne. Elle sera aussi contremaître, sophrologue, vendeuse en chef avant de revenir à la prostitution à 53 ans. «Ce n’était pas tout à fait un choix. J’avais tout perdu après avoir passé dix mois en prison. On m’avait condamnée à 15 mois pour activité terroriste, à cause de mon engagement dans le Groupe action Jura libre. A ma sortie, j’avais tout perdu, mon travail, ma réputation, je n’avais plus de quoi nourrir ma famille.»

C’est que, entre-temps, Claudette a épousé Andrée et fondé une famille. C’est un peu étrange, raconté comme cela, parce que Claudette avait un costard et une tête de mec sur la photo de mariage. Son épouse découvrira la particularité de son mari durant la nuit de noces. «Je me suis mariée en homme, à cause de la famille, mais dans ma tête je le faisais en tant que fille. Andrée a compris et accepté ma situation. Nous sommes toujours ensemble. On s’aime d’une autre façon, mais c’est fort comme au premier jour.»

Ce couple insolite réussira tout de même à engendrer deux enfants. «C’était un grand bonheur de pouvoir procréer ainsi que d’adopter par la suite un enfant de Madagascar.» Claudette n’a pas d’utérus ni d’ovaires, mais a connu des symptômes de menstruation patents et sa poitrine «naturelle» fait sa fierté. Ses enfants et petits-enfants l’appellent Clo ou Coco plutôt que papa ou grand-papa. Elle soupire, soudain plus grave. «Bien sûr, au fur et à mesure que mes enfants grandissaient, je ne pouvais plus aller à la piscine avec eux. Ils sont au courant de tout mais nous n’avons jamais pu en discuter ensemble, c’est mon plus grand regret.» Claudette a recommencé à s’habiller en femme après leur départ de la maison. «J’espère que je ne les ai jamais offensés, si je l’ai fait, je leur demande pardon!»

De nouveau amoureuse

Longtemps elle a pratiqué la prostitution sur annonce et aujourd’hui les quelques clients qui restent sont devenus des amis. Une récidive cancéreuse obscurcit ces temps-ci son horizon mais elle retrouve sa bonne humeur en évoquant les quiproquos que son bisexisme entraîne. Au guichet de l’hôpital, quand la préposée lui dit: «Madame vous vous êtes trompée de file, ici ce sont les hommes.» Au policier qui lui demande pourquoi elle lui tend le permis de conduire de son mari. Elle se fout du qu’en-dira-t-on, Claudette, et n’a désormais qu’un souhait: «Vivre au moins six ans pour battre le record du monde de l’heure du cyclisme sur piste.» Née hermaphrodite, elle a choisi de vivre en femme libre et n’imagine pas mourir autrement. «Combattre, c’est dans ma nature. Si ma maladie devenait invalidante, j’enfourcherais mon vélo, je passerais un col et j’irais tout droit dans le ravin.» Heureusement, nous n’en sommes pas là. Claudette est de nouveau amoureuse. «Une femme beaucoup plus jeune que moi.» Sourire. L’amour, son élixir de jeunesse.

* «La trace», entretiens avec Christine Delory-Momberger, Editions Téraèdre.

Par Baumann Patrick publié le 11 mai 2018 - 17:34, modifié 15 mai 2018 - 15:16