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Coronagraben: «Notre réseau hospitalier est loin d’être saturé»

Rassurant, le professeur Gregor Zünd, directeur de l’Hôpital universitaire de Zurich, estime que la Suisse a largement les moyens de faire face à l’explosion du nombre de cas de covid. Pour lui, une présumée indiscipline des Romands n’est pas en cause.

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REUTERS/Arnd Wiegmann

Professeur, il y a quelques jours, on annonçait quatre fois moins d’infections en Suisse alémanique qu’en Suisse romande et, plus étonnant encore, beaucoup moins de cas dans les parties germanophones que francophones des cantons bilingues. Comment expliquer ce «Coronagraben»?
Gregor Zünd: A ce jour, il n’y a pas d’explication scientifique à ce phénomène. Même si nous comprenons de mieux en mieux les mécanismes de transmission du virus, des zones d’ombre persistent et ce constat, qui ne résulte en rien d’une erreur de calcul, en atteste. Ce que nous savons avec assurance, c’est que les gestes barrières demeurent le plus sûr moyen d’éviter les contaminations et que ces dernières se propagent surtout en milieu familial.

Cela tient peut-être à nos différences culturelles, alors? Il est acquis que les Welsches sont moins disciplinés dans l’application des règles…
Non. Imputer le phénomène à une population qui se comporterait mal par opposition à une autre qui ferait tout juste est bien trop simple, pour ne pas dire simpliste. Ce virus génère beaucoup de questions dont nous n’avons pas encore les réponses.

Si on considère que le virus ne peut pas, comme par miracle, s’arrêter à la frontière fribourgeoise, il faut peut-être évoquer la fiabilité des tests RT-PCR. On résume: pour savoir si une personne est porteuse du Covid-19, on amplifie une partie du génome du virus. Cela s’effectue en plusieurs cycles. Et plus le nombre de cycles est élevé, plus on détecte du virus chez des personnes très peu infectées et non contagieuses, ce qui gonflerait les chiffres…
Le nombre de cycles n’a rien à voir. Il existe un standard suisse pour les tests RT-PCR que tous les laboratoires observent. Cela ne peut donc pas être la raison des différences dont nous parlons.

On dit par exemple que l’Allemagne amplifie beaucoup moins ses tests que la France, ce qui expliquerait son nombre de cas cinq à six fois inférieur à cette dernière?
Je ne peux pas me prononcer sur ce qui se pratique ailleurs.

Les hôpitaux romands sont saturés et contraints de transférer des patients covid en Suisse alémanique. A-t-on mal préparé cette deuxième vague?
Absolument pas. Au contraire, dès que le virus s’est propagé, au printemps, nous avons multiplié les échanges de connaissances entre hôpitaux universitaires. Les spécialistes ont mis leurs travaux en commun et ont resserré leur collaboration. Il se trouve que cette deuxième vague frappe beaucoup plus la région romande que la nôtre, comme la première vague avait beaucoup plus frappé le Tessin et les Grisons. S’il devait y avoir une troisième vague, qui sait si la Suisse alémanique ne serait pas à son tour touchée de plein fouet?

Il y a quelque temps, alors que les hôpitaux romands étaient saturés, Alain Berset avait ordonné aux autres régions de se montrer solidaires. Comment avez-vous accueilli ce coup de sang du ministre de la Santé?
A chaud, j’avoue avoir été un peu vexé car, comme déjà dit, la collaboration entre hôpitaux universitaires s’est installée très tôt. Jouer la carte de la solidarité est d’ailleurs d’autant plus naturel que ce sera peut-être à notre tour de transférer des patients si la pandémie perdure.

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Le professeur Gregor Zünd, directeur de l’Hôpital universitaire de Zurich.

La solidarité fonctionne, donc?
Tout à fait. Nous avons par exemple proposé aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) d’accueillir jusqu’à 35 patients si nécessaire.

De combien de lits de soins intensifs disposez-vous à ce jour?
Soixante-quatre. Le service est pratiquement complet mais il n’est pas composé que de malades du covid. Parmi ces derniers, un quart sont des patients romands.

On dit que le canton de Vaud transfère des patients en Suisse alémanique plutôt que de les confier à des cliniques privées, sur place. Pour quelle raison?
Il faut poser la question au CHUV. Ce sont des décisions politiques qui rythment ces flux. A Zurich, la loi nous oblige à collaborer avec les réseaux de soins privés. Y compris en ce qui concerne le personnel, qui peut passer d’une clinique privée à un hôpital public ou vice-versa en cas de besoin. Les échanges à propos de la gestion des ressources humaines sont permanents avec Mme Natalie Rickli, notre ministre de la Santé.

Vous travaillez également en coordination avec les cantons de Zoug, de Schwytz, de Schaffhouse, etc. Que se passerait-il pour les patients romands si, tout à coup, les hospitalisations locales se multipliaient?
Nous sommes en mesure d’étendre nos capacités. Dans l’absolu, si la situation l’exigeait, nous pourrions disposer d’un maximum de 144 places en soins intensifs. Mais il faut être bien clair: les lits ne sont qu’une partie. Le problème, c’est le personnel. Il n’est pas sûr qu’il y en ait assez pour autant de places en soins intensifs.

Nous sommes donc encore loin d’une saturation nationale et d’une situation qui nécessiterait qu’on trie les patients?
Oui. Notre réseau hospitalier est loin d’être saturé, il y a encore de la marge avant qu’on en arrive à une situation aussi extrême. Cela étant, comme pour le cancer ou d’autres pathologies mettant en jeu le pronostic vital d’une personne, la décision de prodiguer ou non un traitement n’appartient pas au médecin mais au patient lui-même. C’est pourquoi il faut en parler le plus tôt possible, pendant que la personne a toutes ses capacités, pour se déterminer. Le Covid-19 est un exemple parmi d’autres. Dans les hôpitaux, nous sommes confrontés tous les jours à cette problématique.

Sur le plan épidémiologique, il semble que cette deuxième vague soit plus agressive que la première…
Non. Le virus est toujours le même. C’est la situation qui a changé, le nombre de contaminations en particulier. Heureusement, on teste beaucoup et toujours plus. Tester autant que possible est la meilleure arme pour combattre l’épidémie.

Que dites-vous aux «coronasceptiques», qui pensent que la maladie n’est pas aussi grave qu’on le dit?
Nous vivons heureusement dans un pays où chacun a le droit de dire et de penser ce qu’il veut. Mais à ceux qui minimisent la maladie, je réponds que sans les mesures qui ont été imposées, la pandémie aurait des effets bien plus dévastateurs que ce que nous connaissons. La surmortalité enregistrée ces derniers temps en témoigne.

La colère commence toutefois à gronder dans le pays. Il ne faudrait pas non plus que le remède s’avère pire que le mal...
Je comprends ces réactions. Tout le monde en a marre, est fatigué de cette situation. A commencer par le personnel hospitalier, admirable, sur la brèche depuis des mois. Mais il faut comprendre que ces mesures sont prises sur la base de faits avérés et que tout le monde s’emploie à en minimiser au mieux l’impact. Ce ne sont pas les autorités politiques ou scientifiques qui les imposent mais le virus.

Dans une précédente interview, Pierre-Yves Maillard soulevait la question de la pertinence des mesures imposées, y compris l’obligation du port du masque, dès lors que partout en Europe, quelles que soient les mesures, le virus n’a cessé de se propager…
Et il se serait encore bien plus propagé sans ces restrictions. C’est pourquoi nous avons imposé très tôt, avant même qu’ils ne fassent débat, les gestes barrières, la désinfection des mains et le port du masque non seulement au personnel et aux patients, mais également aux visiteurs.

Selon le rédacteur en chef du «Blick», les Romands seraient plus enclins à accepter que l’Etat leur impose des restrictions que les Alémaniques…
Je ne crois pas qu’on puisse réduire les choses à cela. Tant que l’état d’urgence n’est pas décrété, les cantons décident de la marche à suivre et tout le monde est traité à la même enseigne. Si la situation s’aggravait, le gouvernement zurichois prendrait assurément toutes les mesures nécessaires, qu’elles plaisent ou non.

L’annonce de l’arrivée prochaine de vaccins a fait souffler un vent d’optimisme à travers le monde. Vous partagez cet enthousiasme?
C’est une très bonne nouvelle, en effet. Mais il faut rester prudent et tempérer notre enthousiasme tant que nous ne connaissons pas les résultats détaillés des essais cliniques et que nous ne pouvons pas juger de l’efficacité et de la sécurité de ces vaccins.

Convoyer et distribuer des doses à une température de -70°C se révèle pour le moins problématique…
Je crois qu’un pays comme la Suisse a l’expérience et les moyens de faire cela. Non, c’est avant tout sur la sécurité de ces vaccins qu’il faut obtenir des réponses claires.

Vous seriez vous-même candidat à la vaccination?
Si le vaccin répond aux normes d’efficacité et de sécurité, absolument.

Faut-il le rendre obligatoire pour les personnes à risque et le personnel hospitalier?
C’est une question délicate, qui doit être traitée au niveau politique. Mais c’est également une question de responsabilité individuelle qui nous concerne tous.


ÉDITORIAL: Qui dit vrai ?

Par Christian Rappaz, journaliste

C’est l’une des caractéristiques de ce moment étrange que nous vivons depuis que le Covid-19 a envahi la planète: entendre, voir et lire tout et son contraire. Au point de faire perdre ses repères et d’ébranler la confiance, pourtant essentielle, d’une partie de la population dans nos autorités politiques et sanitaires. Tout a commencé par la mise hors jeu de la désormais célèbre hydroxychloroquine et de son plus fervent supporter, le professeur marseillais Didier Raoult. Un médicament très bon marché mais jugé inutile, voire dangereux, par une étude qui se révélera finalement bidon et malgré tout mis à l’index par l’arrivée en grande pompe du remdesivir, une molécule très chère à propos de laquelle beaucoup de scientifiques affirment qu’elle ne soigne pas non plus.

Mais c’est surtout depuis le début de la deuxième vague de l’épidémie que les informations contradictoires s’enchaînent. Un phénomène qui n’épargne pas notre pays, comme en témoigne notre interview du professeur Gregor Zünd, directeur de l’Hôpital universitaire de Zurich (voir en page 28). Selon cette sommité de la chirurgie cardiovasculaire, le réseau hospitalier national est loin d’être saturé et le triage des patients n’est pas à l’ordre du jour. Un constat qui, soit dit en passant, rejoint les conclusions d’une étude britannique parue ce week-end et qui nous apprend que, dans ce pays, le taux d’occupation des lits d’hôpitaux est inférieur à la moyenne quinquennale de novembre, y compris en soins intensifs.

Notre interlocuteur alémanique ne transige pas, en revanche, sur la fiabilité des tests RT-PCR qui, si elle était mise en cause, pourrait expliquer la différence notoire du nombre d’infections entre la Suisse alémanique et la Suisse romande. Reste que, dans le même temps, son confrère Jacques Bernier, directeur scientifique de Swiss Medical Network, citant un centre de référence américain sur la question, écrit que jusqu’à 90% des personnes testées positives ne seraient en fait pas contagieuses. Enfin, en écho à la surmortalité parmi les personnes âgées qui touche notre pays depuis quelques semaines – 3600 décès imputés au virus depuis mars –, certains ne manquent pas de rappeler que, avec ou sans covid, 4600 personnes meurent chaque année d’une infection respiratoire en Suisse. Qui dit vrai dans cette jungle d’informations? A l’heure où l’on annonce l’arrivée de vaccins miracles et, partant, de campagnes de vaccination massive, on n’a pas fini de s’interroger.


Par Rappaz Christian publié le 25 novembre 2020 - 08:38, modifié 18 janvier 2021 - 21:16