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Cotiser au 2e pilier a-t-il encore un sens?

Pour l’actuaire vaudois Stéphane Riesen, expert LPP et directeur général adjoint de Pittet Associés, les années d’euphorie appartiennent au passé.

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Gerry Nitsch

La question peut sembler abrupte, mais avec des rentes qui ont baissé de 30% voire plus en quinze ans, elle paraît légitime: cotiser au 2e pilier a-t-il encore un sens?

Bien sûr qu’il faut continuer. Cela ne fait aucun doute. Le fonds du 2e pilier s’élève actuellement à près de 900 milliards de francs. Vous vous rendez compte? Neuf cent mille millions de francs de côté pour les vieux jours des Suisses. Qui peut en dire autant? Excepté des pays comme le Canada, les pays scandinaves ou les Pays-Bas, qui possèdent une épargne du même type, le monde entier nous envie ce modèle. Il suffit de l’adapter aux paramètres démographiques et économiques en cours pour qu’il fonctionne. Aujourd’hui, nous traversons une période difficile au niveau des rentes, mais le capital de chaque assuré est intact. De plus, entre le 1er pilier (l’AVS) et l’épargne privée, type 3e pilier, le 2e pilier offre une diversification bienvenue.

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Après un Master en sciences actuarielles à l'Université de Lausanne et un diplôme fédéral d'expert en assurances de pensions, Stéphane Riesen est directeur général adjoint de Pittet Associés SA depuis 2016.  DR

Décodée, l’expression «adapter aux paramètres en cours» signifie surtout faire fondre les rentes de plus d’un tiers en quinze ans. Les gens sont choqués et en colère…

Je les comprends. Je suis aussi un assuré. Je ressens ce ras-le-bol au quotidien dans mon job. Mais il y a des raisons objectives à cette situation. Contrairement à ce que beaucoup croient, les caisses de pension ne font pas ce qu’elles veulent mais ce qu’elles peuvent. La Suisse occupe désormais le premier rang mondial en termes de longévité et d’espérance de vie. Devant le Japon. Selon la caisse de pension de la ville de Zurich, en 1990, un Suisse vivait en moyenne quinze ans après sa retraite et une Suissesse vingt ans. En 2015, cette longévité a passé à vingt et un ans, respectivement vingt-trois ans. Chaque année, l’espérance de vie augmente de trois mois pour chacun d’entre nous. Et, dans le même temps, les performances des caisses baissent. Il y a vingt ans, les obligations de la Confédération rapportaient du 4, du 5, voire du 6%. Ces dernières années, il fallait payer pour en détenir. Alors on fait quoi? On recule l’âge de la retraite? Une majorité de citoyens ne veut pas en entendre parler et, en même temps, rien n’est fait, ou si peu, en faveur de l’employabilité des séniors.

En clair, vous êtes en train de nous dire qu’il faut s’habituer à gagner moins, beaucoup moins, même à la retraite?

Et même à payer plus pour gagner moins ou, au mieux, la même chose qu’aujourd’hui. En fin de compte, c’est un choix de société. Les gens doivent comprendre qu’on ne peut pas vivre plus longtemps, laisser l’âge de la retraite à 65 ans, comme décidé en 1948 lors de l’introduction de l’AVS, payer les mêmes cotisations qu’il y a trente ans et, au bout du compte, toucher plus de rentes. C’est mathématique.

Dans le fond, les rentes qu’on anticipait il y a quelques années ne relevaient que du mirage…

En quelque sorte oui. Ce n’était que des projections basées sur un taux de conversion de 7,2% et des anticipations de performances dont on sait aujourd’hui qu’elles étaient beaucoup trop optimistes. Malheureusement, le courant s’est inversé depuis.

Résultat, l’objectif fixé jadis par le Conseil fédéral, qui était de recevoir 60% de son dernier salaire en cumulant AVS et rente LPP, n’est plus atteint…

C’est une autre légende urbaine. Grâce aux mesures de compensation qui ont accompagné la baisse du taux de conversion de la part obligatoire de 7,2 à 6,8%, nous sommes encore au-dessus de ce seuil. Globalement, la situation n’est d’ailleurs pas aussi catastrophique qu’on le suggère parfois dans le public ou les médias.

Si elle continue à se péjorer, comme vous semblez le craindre, doit-on s’attendre à des faillites de caisses de pension par exemple?

Plutôt que de faillite, il faudrait parler d’insolvabilité. Avec 1800 caisses dans le pays, on ne peut rien exclure, mais je pense que ce risque est quasi inexistant. Depuis que le 2e pilier est devenu obligatoire, en 1985, le nombre de cas est très faible. Les caisses disposent de plusieurs outils pour éviter cet écueil. Elles créent des provisions, augmentent leurs réserves, abaissent le taux technique et donc le taux de conversion. Autant de mesures conjointes qui, alliées à une gestion très prudente, leur permettent d’assumer leurs engagements.

En cas d’insolvabilité, les assurés perdent tout?

Pas du tout. Le fonds de garantie LPP prend le relais et couvre les assurés jusqu’à concurrence d’un revenu annuel assuré de 126 900 francs.

La loi ne permet pas de diminuer la rente provenant du 2e pilier d’un (ou d’une) retraité(e). Ce dogme pourrait-il être bousculé?

Non. Au même titre que le capital d’un assuré, la rente d’un retraité n’est pas touchable. Le Tribunal fédéral a rendu un jugement très clair à ce sujet assez récemment qui a, pour l’heure, enterré la question.

Vous louez la prudence avec laquelle les caisses gèrent nos avoirs. N’est-ce pas plutôt un excès de pessimisme, que les résultats des marchés financiers ne reflètent d’ailleurs pas puisqu’ils sont à la fête depuis bientôt dix ans…

On peut aussi se demander si les marchés financiers ne font pas preuve d’un excès d’optimisme par rapport à la conjoncture actuelle et future. De toute façon, si un excès de prudence des caisses est avéré, l’argent retourne aux assurés puisque la loi l’exige. A cet égard, je tiens à rendre hommage aux membres miliciens des conseils de fondation des caisses de pension qui, pour une rémunération symbolique ou parfois inexistante, administrent le capital vieillesse des autres. Eu égard aux énormes responsabilités que ces personnes endossent, il serait pour le moins malséant de leur reprocher d’être prudentes.

Par Rappaz Christian publié le 14 mars 2018 - 00:00, modifié 18 mai 2018 - 15:55