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Covid-19: dans le bunker secret de l’OMS

Alors que l’épidémie de coronavirus se propage et touche désormais la Suisse, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), basée à Genève, tente d’empêcher la crise sanitaire de se transformer en pandémie, tout en ménageant la susceptibilité de la Chine. Une mission compliquée, comme en témoigne le photographe Mark Henley, spécialiste des organisations internationales, qui a passé plusieurs jours au cœur des opérations. Décryptage.

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Attenant au Palais des Nations en attendant sa nouvelle implantation, au Grand-Saconnex, dès 2024, le quartier général de l’OMS est en ébullition depuis deux mois. © Mark Henley/Panos Pictures

Jeudi 6 février, 9 heures. Comme tous les matins depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décrété l’urgence sanitaire mondiale, le 30 janvier, sa trentaine d’experts sont réunis en briefing pour faire le point sur l’évolution de l’épidémie de coronavirus et communiquer les dernières mesures imposées ou envisagées pour tenter d’enrayer ou, à tout le moins, de ralentir la progression du virus. Ce jour-là, c’est le boss en personne, l’Erythréen Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui dirige les opérations. La tension est palpable dans la salle bondée où se tient la réunion du SHOC (Strategic Health Operations Centre). Le SHOC. En français, le Centre stratégique d’opérations sanitaires. Le centre névralgique, un point unique de coordination pour la riposte en cas de crises sanitaires. A la fois les yeux et les oreilles de l’OMS, comme elle le décrit.

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La SHOC room, surnommée le bunker, centre névralgique de l’institution. Mark Henley / Panos Pictures

La réunion se tient dans le «bunker», surnommé ainsi par les habitués de la maison. Une salle située au sous-sol de l’imposant bâtiment de la commune genevoise de Pregny-Chambésy. Mark Henley est de ceux-là. Accrédité au Palais des Nations depuis 2012, le photographe britannique a obtenu le droit d’assister aux débats. Une grande première puisque jamais un journaliste ou un photographe n’a été autorisé à pénétrer dans ce saint des saints. «J’étais assis par terre. Je me faisais le plus petit possible, les experts pestaient contre cette pléthore de participants», raconte celui qui a remporté deux fois le Swiss Press Photo Award. En 2011 pour ses images sur les banques suisses et en 2014 pour ses photos des négociations autour du nucléaire iranien.

En réalité, plus que la promiscuité, c’est la présence dans les travées d’une forte délégation chinoise emmenée par le représentant permanent adjoint de la Chine auprès de l’Office des Nations unies qui électrise l’atmosphère. «L’ambiance était lourde. La délégation était très fâchée contre l’OMS après que celle-ci a décrété l’urgence mondiale», se souvient Mark Henley. Les Chinois se chuchotaient à l’oreille, puis martelaient que leur pays maîtrisait parfaitement la situation, que c’était les Américains qui insinuaient le contraire, pour nuire à leurs intérêts.»

Au cœur du débat, deux navires de croisière, mis en quarantaine, mais, surtout, l’annonce de la mort du docteur Li Wenliang, l’ophtalmologue qui, le premier, avait sonné l’alarme quant aux dangers du virus, le 8 décembre 2019, avant d’être réduit au silence par les autorités, qui n’ont réagi que trois semaines plus tard, le 31. Un sujet éminemment sensible. «Bien qu’en "off" les experts confiaient leur inquiétude de voir la maladie se propager au continent africain ou à un pays comme l’Inde, là, ils marchaient sur des œufs, comme on dit. J’ai senti comme un bras de fer entre l’OMS et la Chine. Pour détendre l’atmosphère, Tedros Adhanom, qui s’est mis à tousser durant son intervention, s’est permis une petite plaisanterie. Dans la foulée, il a annoncé 3697 nouveaux cas de contamination, dont 25 hors de Chine et 73 décès supplémentaires.» Des chiffres qui ne cessent d’augmenter depuis, alors que l’épidémie a atteint Singapour, le Japon, la Corée du Sud, l’Iran et désormais l’Europe, puisque le coronavirus a fait ses premières victimes dans le nord de l’Italie, et que depuis mardi, la Suisse figure elle aussi parmi la trentaine de pays concernés.

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Le directeur général de l’OMS, l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, visiblement éprouvé, ouvre la réunion annuelle du conseil exécutif, le 3 février, dans une atmosphère très tendue. Mark Henley / Panos Pictures

C’est dans cette ambiance délétère, qui soulève pas mal de questions à propos des relations entre l’Empire du Milieu et l’institution onusienne, que cette dernière doit trouver une réponse susceptible d’empêcher le 2019-nCoV (le nouveau nom du virus) de provoquer une pandémie.

Histoire d’apaiser les tensions, Tedros Adhanom s’est rendu à Pékin avec une délégation d’une quinzaine d’experts internationaux. Lors d’une rencontre dans la grande salle du peuple avec le président chinois Xi Jinping, il n’a pas manqué de faire l’éloge de la réponse du pays à la crise. Un discours qui a suscité les critiques de ceux qui entrevoient les propos de l’ancien ministre éthiopien de la Santé comme une preuve des pressions imposées par la Chine, soutien financier majeur de l’organisation. Son influence est telle qu’elle parvient, selon ses détracteurs, à maintenir le non-accès de Taïwan à l’OMS.

Au-delà de ces luttes de pouvoir, l’institution a désormais mis en place une stratégie qui laisse aux autorités chinoises le soin d’endiguer l’épidémie à l’intérieur de leurs frontières tout en les appuyant au mieux. «Si Tedros veut que l’OMS reste informée de ce qui se passe et influence la façon dont la Chine gère la crise, il ne peut pas se permettre de contrarier le gouvernement», lit-on dans la revue Science. Sur le terrain, l’équipe d’experts dépêchée dans la région de Wuhan, foyer de l’épidémie dont les chauves-souris, qui pullulent dans la région, seraient l’origine, est dirigée par un spécialiste chevronné, le Canadien Bruce Aylward, qui avait repris en main la riposte à Ebola, en Afrique de l’Ouest. «Nous devons au plus vite comprendre le virus, comprendre son mécanisme de transmission pour pouvoir agir efficacement», résume Mike Ryan, directeur exécutif de l’OMS et responsable du programme des urgences sanitaires.

En parallèle, l’OMS appuie les autres pays touchés dans le but de renforcer les capacités de dépistage. A ce jour, près de 200 laboratoires à travers le monde sont en mesure d’identifier le virus. «Nous avons envoyé des kits de diagnostic dans une quinzaine de pays d’Afrique et, tous les jours, des cargaisons sont acheminées vers de nouveaux laboratoires», confiait récemment au Monde Tedros Adhanom.

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Chaque matin, dans la salle de crise, située au sous-sol du bâtiment genevois, les experts de l’OMS se réunissent pour faire le point de la situation dans les pays touchés par le virus et décident des mesures à prendre. Mark Henley / Panos Pictures

Du côté des autorités chinoises, on annonce le début de tests cliniques d’un vaccin pour les premiers jours d’avril. Le problème, c’est que, aujourd’hui, plus personne ne croit en la parole officielle. Il a fallu attendre le 24 janvier pour que le gouvernement se réunisse en urgence, le 27 pour que le premier ministre se rende à Wuhan. «Tout ça, ce n’est pas de ma faute, c’est la faute de ceux d’en haut», a d’ailleurs déclaré le maire de la ville à la chaîne CCTV 13, en réponse à l’exaspération de ses concitoyens. «Alors que l’épidémie continuait à progresser, que la vie des citoyens ne tenait qu’à un fil, Xi Jinping est resté à Pékin pour festoyer à l’occasion du Nouvel An, au milieu des chants et des danses, se moquant de tout. Je suis convaincu que cette crise, quelle que soit son évolution, va sonner le tocsin du Parti communiste chinois et de Xi», estime pour sa part Wang Dan, l’un des leaders du mouvement de rébellion de 1989, exilé aux Etats-Unis.

On n’en est pas encore là. Mais plus le virus gagne du terrain et plus le maître de Pékin, même s’il a fait amende honorable il y a quelques jours en reconnaissant des lacunes dans la gestion de la crise, devrait en perdre…


Par Rappaz Christian publié le 27 février 2020 - 09:06, modifié 18 janvier 2021 - 21:08