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COVID-19: «Pour votre santé mentale, gardez le contrôle et méditez!»

Selon le professeur de psychiatrie Guido Bondolfi, la crise nous atteint moralement parce qu’elle dure et que nous sommes largement démunis face à elle. Reprendre le contrôle de sa vie est une des pistes à suivre. Autre approche: pratiquer la méditation de pleine conscience, une méthode qu’il a introduite aux Hôpitaux universitaires de Genève il y a vingt ans.

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Magali Girardin

Elle dure, cette pandémie. C’est probablement l’aspect de la crise sanitaire qui pèse le plus sur notre santé mentale: même si l’espoir d’un vaccin se concrétise, le bout du tunnel est encore loin. On nous parlait pourtant d’une seule vague. Une montée, une descente et puis la vie recommence comme avant. Que la pandémie dure, nous nous y attendions, c’est vrai.

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Le professeur de psychiatrie Guido Bondolfi. Magali Girardin

Inconsciemment, pourtant, nous espérions qu’il ne s’agisse que d’un mirage. Mais les incertitudes grandissent comme une tache d’huile sur une nappe blanche. Un tiers des patients ont des séquelles à long terme. Le pronostic en cas de maladie devient de moins en moins clair. Et le pire: face à ce désordre, nul ne sait clairement où on va. «Ce n’est pas comme dans une guerre, explique Guido Bondolfi. Dans ce cas, les troubles psychiques baissent car nous sommes entièrement mobilisés pour notre survie. Là, la pandémie est partout, nous subissons, nous sommes coincés sans véritablement pouvoir agir.» C’est ce qui engendre le stress, selon le psychiatre genevois spécialiste de la méditation de pleine conscience. Pour autant, si la situation est difficile à bien des égards, il nous livre quelques pistes pratiques pour y faire face.

1. Garder ses habitudes, coûte que coûte
Il existe, en psychologie, une donnée bien connue et très étudiée: plus une personne a un sentiment de contrôle dans sa vie, mieux elle se porte. Dans La vie est belle de Roberto Benigni, Guido Orefice, un juif italien, est déporté avec son fils dans un camp de concentration. Pour éviter l’horreur à son enfant, Guido lui fait croire que les lois du camp sont en réalité un jeu dont le but serait de gagner un char d’assaut. «Dans cette métaphore poétique, Benigni crée l’illusion du contrôle dans une situation où aucun contrôle n’est possible, explique Guido Bondolfi. Face à la pandémie, toutes proportions gardées, nous sommes un peu dans la même situation. Il y a très peu de marge de manœuvre. Le sentiment de contrôle que nous avons sur notre vie a disparu.» Pour le psychiatre genevois, une des mesures pour se sentir mieux est d’essayer de reprendre la main sur les affaires de notre vie du mieux que l’on peut. «Il faut essayer de maintenir un rythme de vie aussi normal que possible, ne pas trop changer les habitudes.» Ainsi, si on doit télétravailler, il vaut mieux se lever comme à l’accoutumée et ne pas passer à des horaires totalement déstructurés, où on se lève et travaille très tard, car cela ajoute encore au désordre ambiant.»

2. Maintenir les contacts tout en se réservant des plages à soi
Autre point important: maintenir les contacts en utilisant les nouvelles technologies. «Ce n’est pas pareil avec les distances et en virtuel. Mais nous sommes des animaux sociaux. Même si cette sociabilité est un brin factice, il faut entretenir nos liens et continuer de les ritualiser tant bien que mal.» Cela dit, nous ne sommes pas tous égaux face au stress et au sentiment d’enfermement que crée la pandémie. Or le drame avec le Covid-19, c’est que tout le monde est confronté à la même situation de privation et qu’il est impossible, à l’avance, de déterminer qui va bien y faire face et qui va sombrer mentalement. «Certains profils psychologiques supportent moins bien que d’autres le fait d’être coincé, confirme Guido Bondolfi. Des couples fonctionnent par exemple dans une dynamique de savant équilibre entre le besoin de se sentir protégé par un partenaire et celui de se sentir indépendant.» Avec le confinement, maintenir ce type d’osmose est très compliqué et nombre de couples «pètent les plombs» pour parler couramment. «C’est pour ça que, dans les couples comme de manière individuelle, il faut essayer de trouver des moments pour être seul, des plages pour soi.»

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40%: c'est l’augmentation des consultations en pédopsychiatrie auprès des hôpitaux universitaires de Berne et de Lausanne. Un signe que les jeunes vivent mal les privations et les contraintes liées au Covid-19. Magali Girardin

3. Pour les jeunes, ne pas hésiter à appeler à l’aide
S’il y a bien un groupe de population pour lequel la crise sanitaire est dramatique d’un point de vue de la santé mentale et du développement, c’est les jeunes. «Ils sont en pleine dynamique d’exploration sociale, observe Guido Bondolfi. Remplacer cette phase de découverte par une utilisation hypertrophiée des médias et des réseaux sociaux pendant une période prolongée peut avoir des effets néfastes à long terme.» Plusieurs études semblent ainsi indiquer que le taux de suicide et de dépression est plus important chez la génération des digital natives à cause de leur relation avec leur smartphone, une situation que la pandémie pourrait aggraver. Sans oublier un élément encore tabou: la sexualité. «Le VIH avait induit des changements de comportement dans ce domaine, commente le professeur Bondolfi. Mais là, on bannit carrément le contact, pour beaucoup au moment où des histoires intimes, hautement importantes à ces âges, allaient commencer.» Plus que jamais, si vous pensez qu’un jeune souffre, dirigez-le vers les centres d’aide spécialisés, même si ceux-ci font face à une explosion des demandes durant cette deuxième vague.

4. En famille, savoir dire stop
De la même façon que, dans le couple, la promiscuité peut avoir des conséquences néfastes sur la santé des familles, avoir des relations récurrentes avec les mêmes personnes n’est pas toujours facile. C’est un phénomène inhérent à la promiscuité: on est replié sur soi-même, ce qui peut faire naître des tensions qui deviennent rapidement insupportables. Des détails peuvent rendre la situation explosive. Une solution: utiliser un mot clé interne au cercle familial pour que tout le monde reconnaisse que la situation dégénère et que les choses vont trop loin. Savoir dire stop pour que la tension baisse et que la vie familiale reprenne sur des bases saines.

5. Méditer, ça aide vraiment
Une autre piste pour faire face à cette crise pandémique est de se mettre à la méditation de pleine conscience. «Il s’agit de s’inspirer de certains préceptes de la philosophie bouddhiste, qui veut qu’on accepte la situation dans laquelle on se trouve, explique Guido Bondolfi, qui a introduit cette technique dans les années 2000 aux HUG. L’idée est de ne pas essayer de chasser le mal, ce qui ne fait que le décupler, mais de l’accueillir. C’est un peu comme avec le sommeil: si je me dis «maintenant, je veux dormir», ça ne va pas marcher. Lorsque je lâche prise, par contre, je m’endors.» A force d’entraînement, la méditation de pleine conscience permet de reconnaître les moments où on se crispe et de désamorcer la crise en lâchant prise. Plutôt que de s’énerver contre son destin malheureux, réussir à l’accepter. Tout un programme. Mais comment concrètement s’y mettre en pleine pandémie? «Normalement, l’initiation dure huit semaines. Aujourd’hui, il y a toutefois des applications, comme Petit BamBou ou Headspace, qui sont bien faites et qui peuvent aider les personnes à se familiariser avec cette pratique.» Selon le psychiatre genevois, dix à quinze minutes de méditation par jour entraîneraient déjà des modifications importantes au niveau de notre potentiel de résilience. Un exercice cognitif qui aurait des vertus spectaculaires en matière de réduction du stress sur le long terme, pour autant qu’il soit pratiqué régulièrement…


«Il faut démystifier la méditation de pleine conscience»

Avec son côté cartésien, voire un peu obsessionnel sur les bords, comme il le dit lui-même, rien ne prédestinait Guido Bondolfi, professeur de psychiatrie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), à se lancer dans la méditation de pleine conscience (mindfulness) au début des années 2000. A l’époque, il s’intéressait aux psychothérapies cognitives pour lutter contre la dépression. Mais c’est aussi un besoin personnel qui le pousse à participer, au Canada, à une retraite avec Jon Kabat-Zinn, celui qui, en 1979, a importé le MBSR (mindfulness based stress reduction: «réduction du stress basée sur la pleine conscience») en Occident. «J’avais besoin de gérer des éléments de ma vie différemment, confesse-t-il. Tout allait trop vite, je cherchais à ralentir.»

De retour de ce voyage initiatique, il est convaincu qu’il faut introduire cette pratique en clinique et faire de la recherche. Plus facile à dire qu’à faire au tournant du millénaire. «Il y a vingt ans, on vous prenait pour un alien à la Faculté de médecine lorsque vous proposiez ce type d’approche. Nous avons d’abord commencé sur nous-mêmes, puis avons fait participer les équipes, avant de proposer cette pratique aux patients. Cela a duré deux ans.»

Aujourd’hui très largement répandue, la méditation de pleine conscience répond, selon le spécialiste genevois, à un besoin, pour les individus, d’une recherche de spiritualité en dehors de l’Eglise. Une quête de sens et de bien-être qu’il faudrait pourtant absolument ramener ici-bas selon lui. «Comme Matthieu Ricard, je crois qu’il faut démystifier la méditation. C’est une pratique, une démarche très terre à terre, accessible à tous, qu’il faut intégrer comme une habitude et une gymnastique. La méditation permet de se familiariser avec le fonctionnement de l’esprit. La recherche montre que, cognitivement, on est la moitié de notre temps ailleurs. Ces techniques nous apprennent à être un peu plus présents au monde, sans penser aux tracas du passé et aux angoisses futures. A être simplement là.»


Par Michaël Balavoine publié le 26 novembre 2020 - 08:32, modifié 18 janvier 2021 - 21:16