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Cyril Dion, l'écologiste qui veut changer les choses 

A travers son film «Demain», encourageant une autre approche de l’écologie, coopérative et solidaire, joyeuse et participative, Cyril Dion a touché des milliers de gens. Aujourd’hui, d’une manière plus radicale, le militant français estime «qu’il est temps d’entrer en politique».

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Militant écologiste mais aussi poète et romancier, Cyril Dion est né en 1978 à Poissy, en Ile-de-France. ©Patrice NORMAND/Leextra

Diffusé mi-décembre à la télévision française, le bien nommé Après-demain revenait sur les projets induits par Demain, le premier film de Cyril Dion coréalisé en 2015 avec Mélanie Laurent. Pour ceux qui ne l’ont pas vu, rappelons que ce long métrage (césar du meilleur film documentaire en 2016) présentait des personnes et des initiatives à travers le monde susceptibles d’améliorer l’écologie de la planète et notre rapport à la consommation. Comme aucun autre film avant lui, son extraordinaire succès (plus d’un million d’entrées en France, auxquelles il faut ajouter des dizaines de milliers de spectateurs dans une trentaine de pays) a inspiré des milliers d’actions individuelles et collectives, stimulé la création de centaines de projets, de l’installation de jardins potagers sur des toits d’usine à la création de monnaie locale.

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En 2016, il reçoit avec Mélanie Laurent le césar du meilleur documentaire pour «Demain». Keystone

Entre ces deux films, Cyril Dion a publié l’année dernière un Petit Manuel de résistance contemporaine (Ed. Actes Sud) et représente aujourd’hui l’une des voix les plus fortes de l’écologie en Europe occidentale.

Construire un autre monde

Né le 23 juillet 1978 à Poissy, en Ile-de-France, et grandi au Vésinet, «une cité de riches». Cyril Dion commence par l’art dramatique (Ecole Jean Périmony, sur les traces de Sabine Azéma, de Jean-Pierre Bacri et d’André Dussollier), avant de se former aux médecines naturelles et d'exercer pendant 1 an la réflexologie plantaire. En cherchant bien, on apprend encore qu’il vit avec «sa chérie» depuis vingt ans et qu’il est père de deux enfants. Extrêmement succincte, sa biographie mentionne ensuite son travail de coordinateur de projets pour la fondation Hommes de parole dirigée alors par Alain Michel. A ce titre, il participe, en 2003, 2005 et 2006, à l’organisation de congrès israélo-palestiniens à Caux, au-dessus de Montreux, et à plusieurs autres réunions d’imams et de rabbins pour la paix.

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Au côté de Juliette Binoche, en tête de la Marche pour le climat, le 8 décembre dernier à Paris. © Stéphane Lagoutte / MYOP

C’est finalement en 2007 qu’il se rapproche de l’écologie en créant avec Pierre Rabhi, essayiste, romancier, agriculteur et écologiste français d’origine algérienne, le mouvement Colibris, qu’il dirige jusqu’en juillet 2013 et dont il est toujours porte-parole. D’abord appelée Mouvement pour la Terre et l’humanisme, l’association s’est donné pour mission d’«inspirer, relier et soutenir les citoyens engagés dans une démarche de transition individuelle et collective».


En 2012, toujours avec Pierre Rabhi, il cofonde le magazine Kaizen ou comment «construire un autre monde, pas à pas»; la même année, il crée chez l’éditeur Actes Sud la collection Domaine du possible et c’est dans ce climat d’intenses activités qu’un sévère burn-out le presse d’écrire une nouvelle page de son engagement.


Dans ses films comme dans son Petit manuel de résistance contemporaine (dont la plupart des citations ci-dessous sont extraites), Cyril Dion commence par un état de la planète, avec des mots bien à lui, simples, directs. «Un humain sur neuf n’est pas assez nourri, un humain sur dix boit une eau si sale que nous ne laverions pas nos voitures avec… Sur le plan écologique, nous avons assisté à la disparition de la moitié des populations de vertébrés ces quarante dernières années, de 80% des insectes volants d’Europe en trois décennies, il y aura bientôt plus de plastique que de poissons dans les océans, 24 000 arbres sont abattus chaque minute, les sécheresses, les inondations, les tornades, les territoires submergés augmentent, des millions de réfugiés sont déjà lancés sur les routes à la recherche d’un endroit où survivre, l’eau se raréfie, les sols s’érodent…»

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Pas de solutions miracles, mais des pistes pour comprendre et construire. Ed. Actes Sud, coll. Domaine du possible.

Le constat est alarmant, connu, mais «nous, écologistes, ne parvenons pas à faire passer le message et malgré tous nos efforts, la situation ne cesse de se dégrader, à une vitesse affolante». Certes, «de temps en temps, l’ampleur de la catastrophe nous saisit, puis le quotidien reprend son cours… Car nous aimons ce monde matérialiste. En tout cas, nous y sommes habitués. Tellement habitués que nous ne savons plus vivre autrement.»

Avec ses manières douces, sa voix tranquille et le regard semblant toujours un peu triste, Dion ne se prétend pas toujours exemplaire comme il ne propose pas de solutions miracles. «Il faudrait être complètement demeuré pour être optimiste sur l’avenir, en revanche on peut être créatif, déterminé, constructif.» Alors, selon la célèbre fable du colibri qui transporte une goutte d’eau pour participer à l’extinction d’un gigantesque feu de forêt, il importe à chacun de faire sa part. «Pas pour sauver le monde, pas parce que nous savons que notre action fera toute la différence, mais simplement parce que notre conscience, nos valeurs nous le dictent.»

L’homme, qui est aussi poète et écrivain – il a publié un recueil de poésie tendre et brutale, Assis sur le fil (La Table ronde, 2014), et un roman engagé entre la Palestine, l’Egypte et Marseille, Imago (Actes Sud, 2017) – utilise aussi les réseaux sociaux pour partager sa sensibilité: «Grâce à la capacité de nous organiser en réseau qu’offre internet, nous pourrions transformer nos structures sociales, politiques et économiques, élaborer une nouvelle société qui place la coopération et l’altruisme comme valeurs cardinales.»

Vaincre les résistances

Dans son Petit manuel, ne voulant en tout cas pas passer pour un Bisounours, il soulève des questions qui dérangent même les personnes soucieuses de leur comportement écologique: «La culture de consommation et la mentalité capitaliste nous ont appris à prendre nos actes de consommation personnelle pour de la résistance politique organisée, mais certains, comme l’écrivain américain Derrick Jensen, estiment que cette prétendue résistance est totalement inefficace. On nous répète que prendre une douche plutôt qu’un bain permet d’économiser l’eau. Mais en réalité, 92% de l’eau utilisée sur la planète l’est par l’agriculture (70%) et l’industrie (22%).» Et à ceux qui prennent la peine de soigneusement trier leurs déchets, il rappelle que «les déchets des ménages représentent seulement 3% de la production totale des déchets aux Etats-Unis et 8,3% en Europe»…

L’automne dernier, à propos de la démission de Nicolas Hulot de son poste de ministre de l’écologie, Cyril Dion écrivait dans le journal Le Monde: «La mutation qu’il est indispensable d’opérer pour stopper le réchauffement planétaire, pour mettre fin au ravage des forêts, au massacre des animaux, à l’extinction des espèces, à l’exploitation de nombre d’êtres humains à travers le monde, à l’accroissement indécent des inégalités est incompatible avec le modèle néolibéral, consumériste, fondé sur une croissance matérielle infinie.»

Politisation

Pour faire changer les choses, des gens comme Dion, Rabhi et les milliers d’anonymes qui se sont lancés dans des expériences de jardins urbains, qui s’approvisionnent bio dans des commerces de proximité, les créateurs de monnaies locales tentant d’échapper au diktat des banques et du crédit ont longtemps œuvré à écrire une nouvelle histoire: celle d’une écologie heureuse, qui ne soit pas seulement celle des interdictions, des privations, mais celle des découvertes, en prenant conscience que d’autres manières d’être au monde, de satisfaire ses besoins et de se faire plaisir étaient possibles. Pourtant, en cette fin 2018, constatant l’inertie des différents gouvernements (qu’ils soient de droite ou de gauche, en France, en Suisse, ou réunis en Pologne, incapables de conclure la COP24 par des mesures fortes), Cyril Dion radicalise aujourd’hui son approche; par exemple quand il écrit le 11 décembre dernier sur sa page Facebook: «Pour réellement provoquer la bascule culturelle et politique, il convient désormais d’engager des luttes: boycottage, désobéissance civile, marches, programmes politiques alternatifs, pour inverser le rapport de force. Le momentum qui fait coïncider la lutte contre les inégalités (des «gilets jaunes») et l’aspiration à une autre société n’est pas sans rappeler les prémices de 1789 (la Révolution française, ndlr). Puissions-nous avoir l’intelligence de ne pas reproduire les erreurs du passé et de préparer ce basculement pour qu’il ne se fasse pas (ou le moins possible) dans la violence et la souffrance. Puissions-nous apprendre dès aujourd’hui à coopérer pour ne pas disparaître.»

Dans le dernier numéro du magazine Kaizen, il conclut ainsi sa chronique: «Il est désormais incontournable de constituer un mouvement de masse et de le doter de solides stratégies. Il est temps pour nous tous d’entrer en politique…» Premier manifeste de ce changement de ton, Cyril Dion annonce le 18 décembre dernier que «puisque l’urgence est absolue et que rien ne bouge vraiment, nous attaquons l’Etat français en justice pour inaction face au changement climatique». En moins de quarante-huit heures, un million de personnes s’associent aux quatre ONG Notre affaire à tous, Greenpeace France, Oxfam France et Fondation pour la Nature et l’Homme et signent la pétition «L’affaire du siècle». «Du jamais vu dans une mobilisation online sur le climat. La preuve que l’union fait la force. Maintenant il faut continuer à s’organiser… Et faire mieux.»

Par Jean-blaise Besencon publié le 7 janvier 2019 - 08:56, modifié 18 janvier 2021 - 21:02