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Daniel Brélaz: «Je ne suis pas
 de ceux qui répètent que tout est foutu»

C’est son tout premier livre. Et il est épatant! Daniel Brélaz y résume brillamment les tendances, les risques et les solutions pour que notre planète demeure habitable. Et il imagine dix futurs possibles en 2069.

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Premier écologiste du monde élu (en 1979) dans un parlement national, Daniel Brélaz, 69 ans, ex-syndic de Lausanne, brigue un dernier mandat au Conseil national. François Wavre | lundi13

Votre livre sort deux mois avant les élections fédérales. C’est donc un outil 
de campagne électorale?

Pas vraiment. En fait, je l’ai commencé il y a dix-huit mois et il aurait dû paraître en début d’année. Mais j’ai dû m’occuper de la succession de mon frère. C’est pourquoi ce livre ne paraît que maintenant, dans un contexte préélectoral.

Quel espoir placez-vous 
dans votre premier livre?

Celui de pouvoir conscientiser les gens. Mais je reste lucide: si j’en vends 3000 exemplaires, ce sera déjà un énorme succès. Et 3000 lecteurs, cela ne suffit pas à changer les choses. J’espère quand même que parmi eux, il y aura beaucoup de décideurs. Car ce résumé factuel de la situation du monde me semble utile. Et j’ai aussi mis l’accent sur les solutions, contrairement à ces nombreux collapsologues actuels qui répètent que tout est foutu et qu’il n’y a plus rien à faire.

Une partie importante de la solution, dans votre livre, c’est de miser à fond et vite sur les énergies renouvelables.

Oui. Avec une surface de panneaux solaires équivalant à six fois la superficie de la Suisse et une fois les problèmes du stockage résolus, on pourrait satisfaire les besoins globaux (pas seulement électriques) en énergie de toute l’humanité. On ne lit pratiquement jamais cela. Et pourtant, c’est réaliste et c’est indispensable pour atténuer et surmonter la crise climatique.

Mais vous répétez aussi 
que capacité de faire et volonté de faire sont rarement en phase.

Oui, parce qu’il y a hélas des intérêts à préserver. L’exemple le plus pathétique de cette inertie et de ces blocages en Suisse, c’est le président de l’UDC, Albert Rösti, qui est aussi président de Swissoil, association qui défend les intérêts des mazoutiers, des pétroliers et donc des monarchies musulmanes. Le programme de son parti méprise complètement les énergies renouvelables et défend aveuglément le pétrole. Ailleurs dans le monde, on voit aussi que Trump a flatté 20 000 travailleurs du charbon pour des raisons électoralistes alors que les énergies renouvelables représentent plus d’un million d’emplois aux Etats-Unis.

La lenteur de la transition énergétique ne s’explique pas uniquement par la politique.

Il y a aussi, hélas, la force de l’habitude parmi les citoyens qui s’ajoute aux faiblesses du pouvoir politique. Les citoyens sont par exemple encore frileux vis-à-vis de la mobilité électrique, même si, en Suisse, 10% des véhicules neufs sont désormais au moins hybrides. Mais en Norvège, c’est déjà 50%, grâce à des incitations politiques fortes. Et dans les pays démocratiques comme le nôtre, le moindre recours contre un projet même génial le retarde d’au moins cinq ans. Les processus parlementaires sont aussi trop lents par rapport à l’urgence des défis.

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Petite anecdote: depuis 2018, sa célèbre cravate chat est exposée au Musée historique de Lausanne. C’est son épouse Marie-Ange qui avait déniché sur internet cette cravate représentant un chat attrapant une souris d’ordinateur. Son mari était alors… François Wavre | lundi13

Qui dirige vraiment 
le monde aujourd’hui?

Les vieilles habitudes et les lobbys. On continue par exemple à subventionner monstrueusement le pétrole et le charbon. Ce qui n’empêche pas certains, y compris ces subventionnés, de crier au scandale parce qu’on subventionne un peu le solaire. Il y a des gens qui sont prêts à tout pour rentabiliser au maximum les vieux investissements, et ce sont ceux-là qui ont le plus d’influence.

Vous avez imaginé dix scénarios possibles pour 2069, dix petites nouvelles assez amusantes et effrayantes à la fois. Lequel vous semble le plus plausible?

En fait, aucun de mes dix scénarios n’est invraisemblable. Il y en a même plusieurs qui sont plausibles. Celui qui met en scène ce couple appartenant à une élite actionnariale me semble peut-être le plus crédible, hélas, car il suit l’évolution de la répartition des richesses de ces quinze dernières années. Il y a aussi trois scénarios catastrophes qui me semblent malheureusement possibles: les deux scénarios de décroissance rapide et le scénario de la robotique militaire qui tourne mal.

Vous n’avez pas traité le dossier de la biodiversité.

En effet. D’abord parce que ce n’est pas ma spécialité. Ensuite, ce n’est pas une disruption technologique; or je me suis intéressé aux disruptions, c’est-à-dire aux nouveautés qui bouleversent le monde et la société. La biodiversité, c’est plus simple qu’une disruption: soit on la préserve, soit on la laisse s’effondrer.

Personnellement, c’est votre scénario de domination chinoise qui m’a semblé le plus plausible.

Le scénario chinois a quand même une faiblesse pour se réaliser de manière aussi dramatique que dans mon livre: les Chinois ne sont au fond pas si nombreux que ça en ne représentant qu’un sixième de l’humanité. Et, en plus, ils doivent compter avec l’Inde, pratiquement aussi peuplée, juste à côté d’eux.

Est-ce parce que vous avez lu beaucoup de science-fiction que l’importance du développement des robots prend autant de place dans vos scénarios futuristes?

Aujourd’hui, au Japon, un pays très sympathique mais aussi xénophobe que nos UDC schwytzois, ils ont déjà développé des robots pour s’occuper de leurs vieillards dans les homes, afin d’éviter de devoir importer de la main-d’œuvre étrangère. Et dans un domaine moins austère, toujours au Japon, des robots sexuels féminins et masculins (depuis cette année) existent déjà. Et ceux qui ont essayé affirment que c’est très convaincant, voire mieux qu’un partenaire humain. Certes, l’apparence humaine des robots est encore un gros défi, mais je pense que les progrès de la robotique vont être très impressionnants ces cinquante prochaines années. Sans parler des nouveautés que nous ne pouvons pas prédire et qui provoqueront elles aussi des disruptions, comme ce fut le cas d’internet dans notre passé proche.

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L’impact des grandes disruptions, Daniel Brélaz, Editions Favre. DR

Quelle est votre définition de l’être humain, acteur et victime de ces changements et de ces défis vitaux à relever?

Je n’irais pas aussi loin qu’Einstein à qui on avait demandé si l’infini existait et qui avait répondu que, pour la taille de l’univers, il avait un doute raisonnable, mais aucun en revanche pour la bêtise humaine. Je ne suis pas aussi pessimiste que lui au sujet de notre espèce. Mais je constate que l’être humain moyen est très conservateur. Faire diminuer sa consommation de viande, ce qui serait un énorme bénéfice écologique, risque de demander beaucoup de temps. Et notre espèce est assez sensible à la démagogie primaire. Si les réseaux sociaux ont en partie fait Obama, ils ont aussi favorisé des populistes comme Trump ou Salvini.

Voilà pourquoi vous rappelez dans votre livre l’importance cruciale de l’éducation.

Absolument. La priorité de l’éducation, c’est de permettre un meilleur discernement, de permettre à chacun d’analyser les discours d’un politicien ou d’un grand patron, pour décider si ces gens nous racontent des bobards ou si leurs discours sont ancrés dans la réalité. Trop d’êtres humains souffrent de naïveté. Le rôle des évangélistes aux Etats-Unis et au Brésil dans les élections de Trump et de Bolsonaro a été décisif. L’éducation devrait notamment permettre de réduire l’influence de certains milieux religieux hyper-rétrogrades et d’autres idéologies totalement infondées.

Le monde, c’était mieux avant?

Non, ce n’est pas mon genre de penser comme ça. Moi, je rêve d’une société qui applique rapidement les techniques qui la mettent à deux doigts du paradis. Mais j’ai aussi conscience que le comportement sociologique des humains, contrairement à l’aspect technologique, demeure un gros défi. Il faudra aussi améliorer les choses dans beaucoup de domaines: mépris des minorités, exploitation de l’homme par l’homme, écart croissant de la répartition des richesses. La société doit se mobiliser, comme le rappelle le titre de mon livre. L’électorat doit moins que jamais se satisfaire de préjugés, moins passer son temps à regarder de la téléréalité, et devrait consacrer plus de temps par année à réfléchir et à prendre du recul.

Par Clot Philippe publié le 26 août 2019 - 08:16, modifié 18 janvier 2021 - 21:05