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Dans l’action, avec Extinction Rebellion

Condamnés à maintes reprises, les militants de XR ne lâchent rien. Le mouvement pro-climat attire même de plus en plus de sympathisants. Nous les avons suivis depuis l’atelier de formation à l’action directe non violente jusqu’au débriefing émotionnel.

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Extinction Rebellion

Opération Game Over: une vingtaine d’activistes attendent dans la cage d’escalier avant d’occuper les bureaux de la Fondation Ethos, à Genève.

Blaise Kormann

Un vendredi matin, 9 h 55. Au cœur du chapitre 1 de l’action Game Over. Nom de code de la cible: Judas. Le lieu était tenu secret jusqu’au petit matin, y compris pour la majorité des rebelles. Le souffle court, la vingtaine d'activistes divisés en deux groupes d’affinités – des formations de militants avec différents rôles, comme ceux d’ange-gardien, de bloqueur, de peacekeeper – est postée dans un escalier de secours. Dans une chaleur étouffante, tous attendent le feu vert des négociateurs.

Ces membres d’Extinction Rebellion (XR) viennent de grimper silencieusement les 10 étages qui les séparent de l’entrée des bureaux de la Fondation Ethos, à Genève, conseillère de caisses de pension dont certaines sont pointées du doigt parce qu’elles investissent dans Nestlé et LafargeHolcim, géants dans les émissions de CO2. C’est là que XR a frappé le 18 juin dernier. De manière méthodique.

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Un atelier pour apprendre les bases de la désobéissance civile. En deux heures et demie, les formateurs d’Extinction Rebellion transmettent toute une série de stratégies de communication, de gestion du stress, de positionnement du corps et de la voix pour être le plus «apte» à manifester. 

Blaise Kormann

Tout leur système de communication est mis en place pour éviter les fuites d’informations. Les données étaient transmises au compte-goutte via Signal, une application de messagerie cryptée qui permet de créer des discussions éphémères. Elles s’effacent à la demande. Quant à la presse, elle a été conviée en amont à couvrir l’événement. Il faut savoir que le mouvement s’inspire du concept de la «fenêtre d’Overton»: il vise à rallier l’opinion publique en popularisant son combat dans les médias. De ce fait, tout est extrêmement bien encadré. Pour eux, la culture autour de la sécurité est essentielle. Il a donc fallu établir un rapport de confiance pour qu’ils nous laissent les suivre avant, pendant et après Game Over.

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Alors que des groupes négocient avec la direction, d’autres accrochent des messages sur les façades de l’immeuble ou taguent les vitres.

Blaise Kormann / L'illustrᅢ

Nous voilà les seuls journalistes dans les étages bétonnés en compagnie de citoyens qui agissent par «état de nécessité pour sauver la planète», pour reprendre leurs propos. Pendant une dizaine de minutes, on entend les cœurs battre. De petits regards complices s’échangent alors que la tension monte d’un cran à chaque claquement de porte dans les couloirs. Dans leur sac, tout le matériel nécessaire pour la phase 2 de l’action, celle «des performances»: du faux sang, de la craie, des nez rouges de clown, des billets imprimés et de la nourriture pour tenir le siège si nécessaire.

Cette partie qualifiée de «théâtrale» est un peu l’une de leurs marques de fabrique. «Il y a une dramaturgie. Ce que l’on connaît d’avance, c’est la chute. Car cela finit toujours par des arrestations», confie l’un des militants expérimentés avant le jour J. Précisons ici qu’être arrêté fait partie de leur stratégie pour accentuer la visibilité de leur message. Engagés, ils sont prêts, si nécessaire, à avoir un casier judiciaire (pour infractions mineures) au nom de leur lutte pour l’environnement.

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Alors que des groupes négocient avec la direction, d’autres accrochent des messages sur les façades de l’immeuble ou taguent les vitres.

Blaise Kormann

La porte du dixième étage s’ouvre doucement. Les deux GA (groupes d’affinités) s’engouffrent devant la réception vitrée d’Ethos. Fidèles à leur précepte de non-violence, ils décident de libérer le passage devant les ascenseurs. «Ils ne faut pas que les employés aient l’impression d’être pris en otage», murmure l’une des membres. Chacune de leurs tactiques est votée de manière démocratique dans un langage gestuel qui leur est propre. Ils font d’ailleurs régulièrement des temperature checks pour sonder le bien-être général et valider ensemble la suite du processus.

Pro de la communication numérique, XR filme en live ses activités. Sur les réseaux sociaux, leurs contenus sont abondamment partagés, dans une optique de transparence mais aussi de sensibilisation. Leur objectif? Recruter. En Suisse, il y aurait déjà entre 1000 et 2000 rebelles actifs à ce jour. Pour rappel, Extinction Rebellion est un mouvement social écologiste international né en 2018. Il compte aujourd’hui plus de 1184 sous-branches dans 77 pays. «XR, ce ne sont pas que des actions spectaculaires, c’est une start-up nation!» résume Paul*, un fidèle de la cause qui revient sur leur fonctionnement décentralisé, indépendant et créatif.

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Seuls les rebelles qui ont pénétré dans le bâtiment passeront par la case «prise d’identité». Ce jour-là, il n’y a pas eu d’interpellations.

Blaise Kormann

Ce qui impressionne surtout, c’est leur capacité de formation. Il suffit d’observer un de leurs ateliers huilés de deux heures et demie qui enseignent les bases de l’action directe non violente (NVDA) pour en saisir l’efficacité. Nous y avons fait une halte fin mai à Lausanne. Une quinzaine de personnes y apprenaient, dans une ambiance chaleureuse, les bases de la désobéissance civile: coaching juridique, techniques de communication non violente, tactiques de résistance passive ou active, comme la position de repli dite «de la tortue», où les bras et les jambes sont entrelacés pour compliquer la tâche de ceux qui doivent les déloger.

Les profils des participants étaient extrêmement variés: une jeune grand-maman, un étudiant ou un professionnel de la santé. On est loin de l'image «hippie anarchiste» qui leur colle encore parfois à la peau. Quant au taux d’engagement après ce type de séance, il est assez élevé. «On revoit les visages lors des actions», précise Bhaka*, la formatrice.

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Les activistes devant la fondation Ethos.

Blaise Kormann

10h20 à la réception d’Ethos. On apprend que, dehors, d’autres entités autonomes de XR s’activent en écrivant des slogans colorés sur les vitres de l’immeuble. Il y en a même qui ont grimpé sur une des façades en brandissant les bannières «les investiss’ mentent» ou «greenwashing: game over». Ils seraient une centaine en tout à manifester. En général, ils sont plus nombreux. En 2019, 500 activistes bloquaient la rue Centrale de Lausanne.

Plusieurs facteurs expliqueraient une première action, en 2021, plus timide. Tout d’abord, les examens universitaires, car, même si XR est multigénérationnel, il y a beaucoup d’étudiants dans les troupes. Autres impacts, la multiplication récente de condamnations de militants et les perquisitions chez des grévistes du climat dans le canton de Vaud, début juin. «Les descentes de Fedpol peuvent en refroidir certains et certaines ou, au contraire, attiser la flamme, car il y a trop d’injustices», souffle Paul*, qui martèle que XR agit pour dénoncer les systèmes de répression.

A Genève, en moins d’un quart d’heure, un important dispositif de policiers est déjà sur les lieux. Ont-ils été informés en amont de l’action? Leur porte-parole, Sylvain Guillaume-Gentil, avance que «les forces de l’ordre préfèrent garder le mystère» quant à la raison de leur rapide intervention, tout en précisant que des enquêteurs surveillent en continu ce type de rassemblements non autorisés.

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A chacune de leurs apparitions, les activistes d’Extinction Rebellion soignent l’esthétique de leurs actions. Ici, ils ont reconstitué une scène de crime et des performeuses déambulent tels des oracles.

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Au sommet de la tour, le directeur d’Ethos, Vincent Kaufmann, a de son côté désamorcé la situation. Seul face à 20 activistes. D’abord sur la défensive, car surpris d’être envahi en ce vendredi matin par Extinction Rebellion, il a ensuite dialogué avec calme avec ceux qui lui réclamaient de faire pression auprès des caisses de pension pour retirer les investissements chez Nestlé et LafargeHolcim. «La fondation n’a aucun pouvoir décisionnel. Nous émettons des recommandations, mais nos membres ne sont pas obligés de les suivre. Je sais que vous pensez qu’on ne va pas assez loin, mais nos combats pour l’environnement sont complémentaires», clame le directeur, avant d’ajouter: «Est-ce que je dois m’arrêter de travailler tout de suite et venir dans la rue avec vous? Je pense qu’il y a d’autres moyens d’action, même si je soutiens votre démarche!»

Soudain, un bruit d’ascenseur. Une dizaine de policiers débarquent dans le hall. Les activistes continuent de partager leurs revendications. Face à une situation sous contrôle, la brigade de sécurité publique reste en retrait et se prépare à collecter les identités des personnes présentes. Anecdote cocasse au milieu de la négociation, le téléphone d’un des agents sonne: c’est la marche impériale de Dark Vador qu’on entend. Petits éclats de rire dans l’assemblée avant qu’elle ne soit priée de descendre, sous escorte. Entre-temps, Vincent Kaufmann a quant à lui accepté de donner une conférence de presse à l’improviste pour éclaircir certains points publiquement. Il invite également une délégation de XR lors d’une prochaine séance avec son conseil de fondation en décembre.

Mission jugée accomplie mais avec un petit goût amer. «La population sait maintenant que leur retraite finance des entreprises nocives!» lance Paul* lorsque les activistes de l’étage débarquent dans la cour à l’extérieur sous une pluie d’applaudissements. L’accueil des autres militants est plein d’entrain, même si des murmures sur le potentiel embarquement des grimpeuses (toujours accrochées) circulent. D’une seule voix, les activistes s’écrient: «Soit personne au poste, soit tous et toutes au poste!»

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Après les actions sur le terrain, il est de coutume pour les militants d’Extinction Rebellion de se retrouver pour recharger les batteries et faire le point. Ici, ils sont des dizaines à la Perle du Lac, à Genève. Le plaisir d’être ensemble est palpable après un an de pandémie.

Blaise Kormann

Fait rare en comparaison avec les dernières manifestations du mouvement, personne n’a été interpellé à la suite de Game Over, chapitre 1. C’est un peu la surprise générale parmi les activistes, qui projetaient de finir la journée en cellule. L’événement s’est finalement dissout.

«Doit-on nettoyer le parvis tagué?» se questionnent des groupes d’affinités. «Non, l’orage de ce soir s’en chargera, car la peinture part à l’eau», scandent d’autres. La majorité vote pour entrer dans la partie «régénération» de l’action et décide d’échanger à chaud sur le déroulé. Ils se donnent rendez-vous au parc de la Perle du Lac, à Genève, pour piquer une tête.

Pour Yaëll*, activiste chevronné-e, Ethos aurait eu le poids d’être un plus grand levier de pression. «C’était un peu de la langue de bois. La fondation aurait pu demander publiquement à ses actionnaires de ne plus investir dans ces sociétés qui détruisent notre planète», affirme-t-iel (pronom non binaire) en soulignant l’éco-anxiété dont souffrent certains membres d’Extinction Rebellion. «Nous sommes terrorisés, car on ne peut pas se projeter dans un avenir qui n’existe pas!» Pour beaucoup, s’engager dans XR, c’est le seul moyen «de reprendre les choses en main». Ils croient fermement qu’une autre société est possible, en instaurant pour commencer des assemblées citoyennes. Ils les considèrent comme un véritable instrument de démocratie.

Le soir du débriefing officiel, un projet du futur rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est publié. Il les conforte dans leur révolte pacifiste. «Pénurie d’eau, exode, malnutrition, extinction d’espèces... La vie sur terre telle que nous la connaissons sera inéluctablement transformée par le dérèglement climatique quand les enfants nés en 2021 auront 30 ans, voire plus tôt», lit-on dans les colonnes du journal Le Monde.

Avec les mesures sanitaires qui s’allègent, un retour en force d’Extinction Rebellion est à donc prévoir. Il y a quelques jours, ils étaient d’ailleurs une poignée à se coller la main sur le mur de la Chancellerie fédérale, à Berne, pour lancer un ultimatum au Conseil fédéral. «Déclarez l’urgence climatique et écologique, agissez maintenant au-delà des divisions politiques», écrivent-ils. Ils insistent et avertissent: l’humanité fait face au plus grand danger de son histoire et, sans réponse satisfaisante des autorités, ils occuperont la ville de Zurich dès le 3 octobre et ce, à durée indéterminée. Game Over is not over.

* Prénoms d’emprunt.

Par Jade Albasini publié le 5 juillet 2021 - 08:29