Bonjour,
Chaque année à Kinshasa, en République démocratique du Congo, d’étranges créatures sillonnent les rues de la capitale. Ces êtres mi-objets, mi-humains, faits de détritus savamment agencés, s’adressent à notre conscience sociale et écologique et remettent en question notre mode de vie.
Sous son harnachement fait de pièces de caoutchouc, Hemock Kilomboshi s’en prend au pillage des ressources de la RDC, à la mondialisation et aux guerres abominables qui déchirent le pays.
COLIN DELFOSSECe sont de véritables sculptures vivantes, à la fois comiques et inquiétantes. Une épaisse couche de déchets, agglutinée en surface comme la mue d’un serpent, leur forme une solide cuirasse. De l’artiste qui les anime ne subsiste qu’une vague silhouette, dressée sur deux pattes. Ces êtres bizarres, les «ensorcelés» comme les appellent les Kinois (les habitants de Kinshasa), sortent en meutes dans les rues de la capitale de la République démocratique du Congo chaque année à l’occasion de KinAct.
Fondé en 2015 par l’artiste local Eddy Ekete et la Française Aude Bertrand, ce festival se déroule dans plusieurs quartiers de la capitale à la fin de l’été.
Consacré avant tout aux spectacles de rue, il propose aussi des ateliers pour initier les enfants au théâtre, à la sculpture, à la peinture et à la poésie. Mais le clou du spectacle, c’est le défilé de ces monstres carnavalesques faits de déchets recyclés.
Son fondateur et leader, Eddy Ekete, fut l’un des premiers artistes à parcourir les rues de Kinshasa recouvert d’un imposant costume fait de canettes de boissons. Cette œuvre, intitulée «Homme canette», lui a été inspirée par des artistes rencontrés au Brésil et en Afrique de l’Ouest. Depuis, l’«homme canette» a fait boule de neige.
Aussi colorées et drôles que soient ces sculptures vivantes, leur décryptage provoque des interrogations sérieuses. L’explosion démographique de la ville de Kinshasa et les besoins croissants de sa population ont provoqué une transformation radicale des modes de consommation.
A son tour, ce changement a entraîné des conséquences écologiques et sociales dramatiques, que les artistes masqués dénoncent à leur manière: le manque chronique d’accès aux soins, l’état déplorable du réseau électrique, la pollution dramatique, le déboisement, le gaspillage et les guerres sanglantes menées pour accéder aux ressources minières du pays.
Leur démarche se veut militante, politique et écologique. Des seringues aux canettes, des pièces automobiles aux aspirateurs, des emballages pharmaceutiques aux vieux ordinateurs portables, tout peut servir à la création d’un costume. Ces personnages aux allures de totems remettent en question notre modernité basée sur le gaspillage. Ils provoquent inévitablement de vives réactions de la part des passants, contribuant ainsi à la prise de conscience des citoyens congolais.
Vêtu d’un costume fait de centaines de seringues, Florian Sinanduku, fondateur du collectif Farata, remet en question les gigantesques lacunes de la santé publique.
Colin Delfosse/INSTITUTEVêtue d’un costume fait de fils électriques, Falonne Mambu dénonce les rues sans éclairage de Kinshasa et les violences sexuelles qu’elle y a subies, lorsqu’elle était une jeune femme sans-abri. Dans le noir, les résidents n’osent pas sortir de leur maison et de nombreuses filles sont à la merci des violeurs. Seulement 19% des Congolais ont accès à l’électricité. En RDC, la corruption a paralysé le barrage national d’Inga, qui ne fonctionne qu’au minimum de sa capacité.
Colin Delfosse/INSTITUTENada Tshibwabwa dénonce les méfaits des téléphones portables. Trente pour cent du coltan, un minéral clé pour la production des smartphones, proviennent de la RDC. Son exploitation provoque de nombreux conflits sanglants.
Colin Delfosse/INSTITUTESous son costume de tablettes de pilules, Florian Sinanduku s’insurge contre le danger du commerce sauvage des médicaments. En RDC, trouver de vrais médicaments reste un véritable problème. Leur composition est rarement connue. La plupart proviennent de Chine sans aucun contrôle.
Colin Delfosse/INSTITUTETickson Mbuyi a créé un costume fait de préservatifs qu’il porte dans les rues du quartier du Bon-Marché, à Kinshasa, un endroit populaire surtout connu pour sa vie nocturne. Il dénonce l’exploitation que les prostituées y subissent.
Colin Delfosse/INSTITUTESous son harnachement fait de pièces de caoutchouc, Hemock Kilomboshi s’en prend au pillage des ressources de la RDC, à la mondialisation et aux guerres abominables qui déchirent le pays.
Colin Delfosse/INSTITUTEL’artiste congolais Junior Mungongu pose dans son costume fait de bouchons de bouteilles en PET et dénonce la pollution due aux plastiques. Il tente d’éduquer son public en demandant aux enfantsde visser leurs bouteilles en plastique sur les bouchons de son costume.
Colin Delfosse/INSTITUTEL’artiste congolais Eddy Ekete s’est confectionné un costume fait de canettes d’aluminium. Le fondateur du festival KinAct a été l’un des premiers artistes à parcourir les rues de Kinshasa ainsi déguisé pour attirer l’attention sur le gaspillage des ressources.
Colin Delfosse/INSTITUTERecouvert de tuyaux de plastique, Junior Mungongu dénonce l’inaction politique à Kinshasa, une ville de 13 millions d’habitants où le plastique à usage unique est roi et son gaspillage atteint des sommets.
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