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Sauvetage

Des chiens et des hommes en première ligne du séisme en Turquie

Grâce au travail des chiens sauveteurs et de leurs maîtres, Redog et la Chaîne suisse de sauvetage ont pu dégager 11 survivants en Turquie à la suite du violent séisme ayant eu lieu le 6 février dernier. Un record pour celles et ceux que les sinistrés ont baptisés «les envoyés de Dieu». Chronique d’une mission héroïque. 

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Benjamin Tissot-Daguette, membre de la Chaîne suisse de sauvetage, et son chien Fantasio fouillent les décombres à la recherche de survivants.

Benjamin Tissot-Daguette, membre de la Chaîne suisse de sauvetage, et son chien Fantasio fouillent les décombres à la recherche de survivants. Ils sont mobilisés dans la province de Hatay en Turquie.

Michael Fichter/EDA

Ils et elles s’appellent Luna, Sam, Clooney, G’Nox, Athena, Fantasio, Arox et Nooki. Ce sont des labradors, des border collies et des bergers belges malinois. Ce sont surtout huit super-héros dont les noms devraient s’étaler à la une des journaux. Grâce à leur courage et à leur flair ultra-développé par des millions de récepteurs, 11 personnes ont en effet pu être sorties des décombres en Turquie après l’épouvantable tremblement de terre qui a ravagé le pays et la Syrie voisine, lundi 6 février à 2h17 (heure suisse). Un record pour les canidés helvétiques de Redog et leurs maîtres, dépêchés sur les lieux au soir même du séisme avec une équipe de 87 personnes réunies par la Chaîne suisse de sauvetage.

Parmi elles, le Neuchâtelois Benjamin Tissot-Daguette, un économiste de 34 ans travaillant à l’Administration fédérale des finances, opérant en binôme avec Fantasio, son labrador qui fêtera ses 6 ans le 24 février. «Je promenais mes chiens ce lundi matin quand Redog (ndlr: Société suisse des chiens de recherche et de sauvetage) m’a appelé pour me demander si je pouvais me libérer de suite. Cinq heures plus tard, nous étions à l’aéroport de Zurich avec Fantasio et, huit heures après, nous arrivions à Hatay, l’une des villes les plus sinistrées», raconte au téléphone le vice-président de la section Vaud, Neuchâtel, Fribourg, Jura de Redog, également membre du comité central. 

Un engagement volontaire et bénévole que le citoyen de Peseux honorait pour la deuxième fois, après le séisme qui a secoué le Népal en avril 2015. «L’ordonnance fédérale sur le personnel permet un engagement de dix jours maximum par mission sans toucher à son décompte de vacances», indique-t-il. Ce qui serait d’ailleurs un comble tant ces «envoyés de Dieu», comme les ont surnommés les populations turques, réalisent des miracles à chacune de leurs interventions. Parmi les derniers en date figure notamment le sauvetage de plusieurs membres de la famille de Yassine, un jeune homme qui n’a pas hésité à parcourir les 1000 km séparant Hatay d’Istanbul, où il travaille, pour venir au secours des siens. «Alors qu’on s’apprêtait à changer de site, il nous a demandé de poursuivre les recherches en nous indiquant avec précision le lieu où vivait sa famille. C’est grâce à ses informations que nous avons finalement pu dégager son grand-père, sa sœur et le bébé de 5 mois de cette dernière. Cela a bien sûr été un très grand moment d’émotion pour toute l’équipe», confie le Neuchâtelois, en rendant hommage à toute la chaîne des sauveteurs, dont les chiens et leurs maîtres ne sont que des maillons. «Un sauvetage est avant tout le fruit d’un travail collectif», s’empresse de préciser Benjamin Tissot-Daguette.

Un jeune a demandé l’aide des secouristes suisses pour sauver sa famille.

Yassine, jeune syrien, a demandé l’aide des secouristes suisses pour sauver sa famille prise au piège depuis trois jours sous 9 mètres de gravats. Cette famille syrienne avait fui la guerre en s’installant en Turquie, dans la province de Hatay.

Michael Fichter/EDA

Une opération souvent bien plus complexe qu’on ne pourrait l’imaginer, se déroulant parfois pendant plus de dix heures. «Nous quêtons d’abord le plus d’informations possible auprès des gens vivant sur le site. Puis nous demandons le silence afin de pouvoir entendre d’éventuels appels de personnes ensevelies. Pour amplifier ces derniers, une équipe descend des micros dans les décombres. Si des bruits sont perçus, nous intervenons avec les chiens afin de localiser précisément les personnes. Pendant quinze à vingt minutes, pas plus. Leur travail demande énormément d’énergie de leur part.

Dès qu’une victime est localisée, l’ingénieur introduit alors des caméras dans les failles afin d’obtenir une image de l’environnement dans lequel elle se trouve. On ne peut pas percer des dalles ou des murs pour dégager quelqu’un sans savoir ce qui se trouve derrière ou autour», explique le conducteur de Fantasio, pour qui le nombre d’heures après lesquelles l’espoir de retrouver des survivants s’amenuise varie d’un événement à l’autre. «On situe à environ septante-deux heures le temps moyen de survie. En réalité, cela dépend beaucoup de la météo. Ici, les nuits sont certes froides mais les journées plutôt douces et sèches. Ces conditions allongent l’espérance de vie des sinistrés. Un autre facteur détermine les chances de survie: le mode de construction des bâtiments. Un édifice qui s’écroule par morceaux laisse plus de chances que celui qui s’émiette.» 

Un secouriste suisse sauvant une femme

Yassine, jeune syrien, a demandé l’aide des secouristes suisses pour sauver sa famille prise au piège depuis trois jours sous 9 mètres de gravats. Les sauveteurs se sont fiés aux cris de la famille piégée pour la libérer des décombres. Les sauvetages se sont poursuivis durant la nuit.

Michael Fichter/EDA

Deux équipes, Alpha et Bravo


Deux équipes se succèdent toutes les douze heures. Nommées Alpha et Bravo, chacune d’entre elles comprend un chef technique, un ingénieur, un ou deux médecins, quatre chiens et leurs conducteurs ainsi qu’une dizaine de sauveteurs, tous bénévoles eux aussi. Des militaires en service long ou des ambulanciers par exemple. L’organisation de la Chaîne suisse de sauvetage, qui émarge au Département des affaires étrangères (DFAE), est parfaitement rodée. «Une équipe se rend d’abord sur place avec un jet de la Rega pour trouver un endroit sécurisé susceptible d’accueillir le campement.

A cause des risques d’effondrement, loger dans des hôtels n’entre pas en ligne de compte. Afin de ne pas représenter un poids supplémentaire pour les gens sur place, nous emmenons tout avec nous, excepté l’eau et le carburant pour nos machines mais y compris la nourriture des chiens, leurs jouets, leurs tapis et leurs manteaux. Cette première partie bouclée, le gros de l’équipe suit. En l’occurrence, nous avons rallié Hatay via un vol affrété par Swiss», confie Benjamin Tissot-Daguette, qui suit à périodes régulières des cours de formation pour la recherche de survivants avec Fantasio. «Le chien est engagé pour les opérations internationales jusqu’à l’âge de 10 ans et 12 ans pour les interventions en Suisse. Pour nous, la limite est fixée à l’âge légal de la retraite. De plus, les chiens doivent passer des tests d’aptitude tous les trois ans pour pouvoir poursuivre leur mission.» 

L’association Redog compte 12 groupes régionaux, réunissant 750 membres, dont trois en Suisse romande (Valais, Genève et Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Jura). En 2022, elle est intervenue en Suisse à 13 reprises pour les recherches de personnes disparues en surface, «dans la nature ou lors d’accidents de chantier», précise Benjamin Tissot-Daguette, qui se réjouit de croiser pas mal de francophones et de Tessinois au sein de la Chaîne suisse de sauvetage. «Je pense qu’en proportion le nombre de Romands qui y appartiennent est plus élevé que dans la répartition du pays.» Des origines différentes qui contribuent à cimenter la solidarité et le travail d’équipe, selon lui.

Une fois leur noble mission terminée, rendue souvent périlleuse à cause des innombrables répliques, les équipes bénéficient d’un soutien psychologique qui se prolonge au pays. «Nous sommes très bien entourés et soutenus dans la gestion des émotions. La structure est très professionnelle», conclut le Neuchâtelois, fier de son coéquipier à quatre pattes et d’appartenir à ce réseau qui fait l’admiration des pays auxquels il vient en aide et la fierté de la Suisse... 

>> Les équipes Redog sont prêtes 24h/24 et peuvent être alertées au 0844 441 441. Redog.ch

Par Christian Rappaz publié le 22 février 2023 - 09:20