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Témoignages

«Il ne faut jamais mettre un thérapeute sur un piédestal!»

Fin avril dernier, le pseudo-guérisseur mais véritable abuseur d’Orbe a écopé de 1 an et 6 mois de prison supplémentaires, à la suite des témoignages de cinq nouvelles victimes. Deux d’entre elles nous racontent leur parcours dans l’espoir de mettre en garde d’autres femmes.

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2 victimes du faux thérapeute

Julianne* et Gabrielle* se sont liées d’amitié au premier jour du procès de leur abuseur. Les deux femmes ont voulu témoigner pour éviter à d’autres de vivre de tels abus sexuels et psychiques.

Jean-Guy Python

Julianne* et Gabrielle* ne se connaissaient pas il y a quelques semaines encore. Les deux trentenaires sont maintenant presque des amies. Assis face à elles dans le salon de la seconde, on ressent confusément qu’un fil invisible relie les deux femmes. Pour le pire mais pour le meilleur aussi. C’est ce lien que le pseudo-«guérisseur d’Orbe» a tissé entre ces Vaudoises et une vingtaine d’autres femmes, reconnues comme ses victimes entre 2008 et novembre 2018, date de son arrestation. Jugé pour la seconde fois à la fin avril dernier à Yverdon, ce Français de 70 ans a vu sa condamnation passer de 13 ans et 6 mois de prison à 15 ans. Soit la peine plafond dans ce cas. L’homme a été principalement reconnu coupable de contraintes sexuelles et d’actes sexuels sur des personnes incapables de discernement et de résistance par le Tribunal correctionnel de l’arrondissement du Nord vaudois.

César* (c’est ainsi que nous le prénommerons) aimait à se présenter comme «guérisseur», «magnétiseur», «médium», «thérapeute énergétique» ou même «ange gardien». Cet ancien gendarme, père de trois grands enfants arrivé en Suisse en 2000, prétendait maîtriser les magies blanche et noire et être capable de bloquer ou de débloquer à loisir l’énergie sexuelle de telle ou telle femme par la seule force de sa pensée… Et il semblait en être lui-même tellement convaincu qu’il en devenait très convaincant. Au final, le «thérapeute» s’est révélé être surtout un escroc surfant habilement sur le légitime engouement enregistré par les médecines alternatives ces dernières années, mais aussi sur la parfois plus discutable et protéiforme vague New Age. Et ce, avec un objectif névrotique et obsessionnel en tête: tirer un maximum de plaisir sexuel de ses «patientes».

Un charisme trompeur


Julianne avait à peine 20 ans lorsqu’elle s’est retrouvée sur la table de massage trônant au cœur même du domicile conjugal du faux thérapeute. Gabrielle en affichait dix de plus au compteur, avec un mari et une fille dans le paysage. Les deux femmes au profil pourtant très différent ont été endormies par l’étrange «charisme» de César. «Il avait une autorité naturelle et une bienveillance de façade qui semblait sincère au premier abord. Je le voyais comme une sorte de figure paternelle à l’écoute, avec une bedaine rassurante. Il occupait l’espace avec son accent chantant du sud de la France», résume Julianne, désormais employée dans les ressources humaines. La Vaudoise était allée le voir sur les conseils d’un proche. A l’époque, la jeune femme se cherchait. Elle revenait de neuf mois de voyage et peinait à accueillir la force de sa sexualité naissante.

Gabrielle, elle, souffrait d’intenses douleurs au dos et traversait une passe difficile au niveau professionnel. C’est son mari qui lui avait alors recommandé César, car il connaissait bien son épouse, une praticienne de médecine alternative respectée dans la région… Mauvaise pioche! Le «magnétiseur» est évidemment formel dans les deux cas: le problème de ses patientes découle du blocage de leur «énergie sexuelle» qu’il se fait fort de débloquer… Le hic est qu’il ne s’y prend pas comme prévu. Sous le couvert d’ostéopathie uro-gynécologique, une pratique reconnue et efficace mais qu’il n’a aucune légitimité à exercer, l’abuseur se livre à de graves attouchements sur ses patientes. Et ce, sans même les prévenir et avec un aplomb incroyable. De là naît une sorte de dissonance cognitive qui favorise les abus et leurs répétitions ultérieures.

Un charisme trompeur


Julianne avait à peine 20 ans lorsqu’elle s’est retrouvée sur la table de massage trônant au cœur même du domicile conjugal du faux thérapeute. Gabrielle en affichait dix de plus au compteur, avec un mari et une fille dans le paysage. Les deux femmes au profil pourtant très différent ont été endormies par l’étrange «charisme» de César. «Il avait une autorité naturelle et une bienveillance de façade qui semblait sincère au premier abord. Je le voyais comme une sorte de figure paternelle à l’écoute, avec une bedaine rassurante. Il occupait l’espace avec son accent chantant du sud de la France», résume Julianne, désormais employée dans les ressources humaines. La Vaudoise était allée le voir sur les conseils d’un proche. A l’époque, la jeune femme se cherchait. Elle revenait de neuf mois de voyage et peinait à accueillir la force de sa sexualité naissante.

Gabrielle, elle, souffrait d’intenses douleurs au dos et traversait une passe difficile au niveau professionnel. C’est son mari qui lui avait alors recommandé César, car il connaissait bien son épouse, une praticienne de médecine alternative respectée dans la région… Mauvaise pioche! Le «magnétiseur» est évidemment formel dans les deux cas: le problème de ses patientes découle du blocage de leur «énergie sexuelle» qu’il se fait fort de débloquer… Le hic est qu’il ne s’y prend pas comme prévu. Sous le couvert d’ostéopathie uro-gynécologique, une pratique reconnue et efficace mais qu’il n’a aucune légitimité à exercer, l’abuseur se livre à de graves attouchements sur ses patientes. Et ce, sans même les prévenir et avec un aplomb incroyable. De là naît une sorte de dissonance cognitive qui favorise les abus et leurs répétitions ultérieures.

le faux thérapeute allant à son procès

Le pseudo-«guérisseur d’Orbe» arrivant à son second procès, le 24 avril dernier à Yverdon.

DR

«Anesthésiée émotionnellement et sexuellement»


«J’étais allongée sur la table. Détendue car dans un contexte de soins et bercée par les paroles de César, qui répétait en boucle, avec une apparente bienveillance, qu’il m’aimait et était mon ange gardien», se souvient Julianne. La jeune femme entend alors ce qu’elle a besoin d’entendre et ce que César lui a suggéré avant la séance, c’est-à-dire: «Je te vois, je vais t’aider.» Ses attouchements la cueillent à froid. «J’étais comme dans un épais brouillard. Une partie de ma tête me disait que ce qu’il se passait n’était pas normal, tandis que l’autre pressentait le contraire. Mon corps, lui, était comme paralysé.» Son de cloche similaire de la part de Gabrielle, dont le malaise est renforcé par le fait qu’elle entend son mari et leur fille parler dans la salle d’attente attenante. Les deux victimes mettent pourtant du temps à se reconnaître comme telles et à ne plus revenir chez César, qu’elles mettaient jusqu’alors «sur un piédestal» et qui correspondait avec elles régulièrement par SMS, jonglant savamment entre intrusion et complicité.

Si les deux amies ont voulu témoigner, c’est pour que d’autres victimes de situations similaires parlent et portent plainte, mais également pour que celles qui risqueraient de se faire abuser de la sorte soient plus méfiantes. Car pour les deux femmes, l’addition s’est révélée salée. Non pas tant financièrement, évidemment, car César facturait 100 francs la séance – ce qui est dans la norme –, mais surtout psychiquement et physiquement. Gabrielle confesse carrément qu’elle a vu sa situation personnelle complètement changer après son agression. Quant à Julianne, elle lâche, les larmes aux yeux: «Sans ces abus, je serais peut-être une maman et une femme épanouie aujourd’hui… Or, malgré mes thérapies, je reste encore trop anesthésiée émotionnellement et physiquement. Aucune de mes relations amoureuses n’a jamais duré plus de quelques semaines. Une carapace épaisse me sépare de la femme que je suis. M’entendre dire «je t’aime» m’est totalement insupportable à ce jour!»

Parler libère


Gabrielle souffre aussi de blocages d’ordre sexuel. «Nos corps enregistrent tout et ces expériences douloureuses sont cristallisées en moi. Je ne parviens pas à les dissoudre et lorsque je fais l’amour avec mon compagnon, cela vient parasiter nos échanges», confesse pudiquement cette cheffe de projet. Aujourd’hui, elle se montre ultra-méfiante avec les hommes en général et avec les soignants en particulier. Elle reste cependant fidèle aux médecines alternatives, mais invite les patients qui font de même à la vigilance. «Dans ce milieu, nombreux sont ceux qui ont un don mais certains en viennent plus ou moins insidieusement et sans toujours se l’avouer à prendre un ascendant sur le soigné…» Une telle relation bancale ne peut évidemment en aucun cas être réellement curative. Gabrielle et Julianne invitent donc les personnes à écouter leur intuition et à ne jamais abandonner une once de leur libre arbitre à qui que ce soit.

Leur agresseur fera appel de sa condamnation auprès du Tribunal cantonal. Son avocate, Me Véronique Fontana, conteste l’emprise de son client sur ses victimes. Quant à ce dernier, il a nié toute culpabilité dans le cadre de son procès. Gabrielle et Julianne ne se laissent pas ébranler par cette vision. Et les deux Vaudoises se promettent de revenir faire face à leur agresseur en seconde instance. Elles n’en nourrissent d’ailleurs plus aucune peur.

Et Julianne de conclure: «César nous a fait beaucoup de mal mais il n’a plus d’impact sur nous par sa présence. C’est un homme malade incapable de se regarder en face. Nous aimerions tirer le maximum d’enseignement de toute cette souffrance. Une des premières grandes leçons est toute simple mais tellement salutaire: parler fait du bien. C’est le début de la libération et de la reprise de pouvoir!» Gabrielle énonce quant à elle la leçon numéro deux, en guise de morale de sa triste histoire: «Il ne faut jamais mettre un thérapeute sur un piédestal!»

* Noms véritables connus de la rédaction.

Par Laurent Grabet publié le 30 mai 2023 - 08:56