Je roulais de Washington à Hagerstown, espérant arriver à temps pour assister au deuxième débat entre Barack Obama et Mitt Romney. C’était en 2012. Soudain, le flux des voitures a ralenti. Enorme embouteillage. Loin devant, un camion-remorque était couché en travers de l’autoroute. Englué dans le bouchon, j’ai écouté le débat sur la radio de bord, convaincu à la fin qu’Obama s’en était bien sorti.
Quand la circulation a repris, une heure plus tard, j’ai passé d’un poste à l’autre pour entendre les commentaires. Ils étaient unanimes: Romney l’avait emporté haut la main. Les images que j’ai vues ensuite montraient effectivement un Obama aux mimiques parfois embarrassées. Mais il disait ce que j’avais entendu. Que s’était-il passé? Le «spin».
En anglais, «to spin» veut dire «tourner, faire tourner», en politique «influencer». Ces influenceurs-là sont des spin doctors. On les rencontre dans la «spin room». Et la «spin room», c’est ce que les citoyens spectateurs ne voient pas. C’est l’endroit où on ne dit pas la vérité.
A côté du studio ou de la scène du débat, une grande salle vidée de ses meubles se remplit de journalistes dès que les derniers arguments – ou les dernières insultes – ont été échangés. Lorsque les directeurs de campagne, les communicants de chaque camp et parfois les candidats eux-mêmes pénètrent dans la salle, des essaims se forment autour d’eux, et les questions fusent. Les réponses ne sont pas des informations, mais des tentatives, préparées à l’avance, d’imposer une lecture du débat. En utilisant quelques réparties saillantes, ou des maladresses de l’adversaire, le «spin doctor» doit convaincre, très vite, un maximum de micros et de caméras que son patron l’a emporté. Travail subtil et malhonnête, qui peut rapporter gros. Dans ma voiture clouée sur l’autoroute, j’en avais fait l’expérience.
Le «spin», bien sûr, se pratique aussi hors de la room. Donald Trump, ancien animateur de TV, est le roi de cette embrouille. Après le débat chaotique de Cleveland, alors que la plupart des commentateurs jugeaient sévèrement son comportement anarchique, il s’est répandu en proclamations autosatisfaites, brandissant des sondages de provenance inconnue, pour dire qu’il était vainqueur, haut la main.
Le président sortant peut aussi compter sur une armée d’assistants hors de sa campagne: les «talk radios», ces monologues radiophoniques qui peuplent les ondes américaines. Il y en a une quinzaine, presque tous conservateurs et acquis à Trump, comme le plus célèbre de ces bateleurs politiques, Rush Limbaugh.
Mais pour les spin doctors républicains, la tâche devient difficile. Leur poulain a refusé le débat qui devait se dérouler jeudi à Miami, parce que les organisateurs (neutres) voulaient qu’il ait lieu à distance, pour cause de covid. Et le dernier débat, le 22 octobre à Nashville, est sur le balan. Les sondages sont de plus en plus mauvais, et les millions d’Américains qui ont déjà commencé à voter ne paraissent pas très désireux de voir le rescapé du virus rempiler pour quatre ans.
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La mouche
Autres acteurs, autres débats. Après le tumultueux affrontement entre Donald Trump et Joe Biden, l’échange qu’ont eu Kamala Harris et Mike Pence, candidats à la vice-présidence, paraissait presque serein. La démocrate, assez fougueuse, s’est appliquée dans la modération. Son adversaire n’avait pas à se forcer pour être froid. Le spectacle, puisque c’en est aussi un, aurait disparu des mémoires s’il n’y avait eu la mouche. Un insecte noir s’est posé, bien visible, sur la chevelure blanche et soigneusement peignée de Pence, et y est resté plus de deux minutes, comme collé par la laque.
Les amuseurs de la TV s’en sont donné à cœur joie. La campagne Biden a mis en vente un chasse-mouche: 10 dollars. Les esthètes et les historiens se sont mis au travail. Qu’annonce une mouche? En peinture, elle est signe de fragilité ou d’humilité, parfois utilisée par l’artiste comme trompe-l’œil. Et dans la Bible (Exode), Dieu envoie des mouches venimeuses à Pharaon qui ne veut pas libérer le peuple d’Israël…