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Dossier «sommeil»

Dormir en un bloc de huit heures, une invention récente

Le sommeil de nos ancêtres était structuré en deux périodes. Les insomnies nocturnes en seraient un vestige et non un trouble. Dormir d’une traite est-il bon pour la santé?

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Sommeil

Aujourd’hui, on dort peu – une heure et demie de moins qu’il y a un siècle – mais surtout très mal, explique un spécialiste du sommeil pour «L'illustré». 

C.J. Burton/Getty Images

Les humains dorment depuis toujours. Mais ils ne l’ont pas toujours fait de la même manière. Comme le montrent les travaux de l’historien Roger Ekirch, dont le livre «La grande transformation du sommeil» vient d’être traduit en français, dormir de manière monophasique, c’est-à-dire en une seule fois, n’est devenu la norme qu’au moment de la révolution industrielle, avec l’arrivée de l’électricité. Avant, les gens allaient se coucher plus tôt, se réveillait vers minuit, avant de se rendormir jusqu’au matin. Ce sommeil biphasique, encore ancré en nous biologiquement, rappelle que se réveiller la nuit n’a pas toujours été considéré comme un problème. Les insomnies de type réveil nocturne en seraient donc un vestige.

Plus profondément, cette perspective historique montre que les troubles du sommeil sont un mal en grande partie propre à nos sociétés contemporaines. Pression et culte de la performance: l’angoisse autour du fait de bien dormir n’a jamais été aussi forte. Résultat: un tiers de la population se plaint de mal dormir. Aujourd’hui, on dort peu – une heure et demie de moins qu’il y a un siècle – mais surtout très mal. Explications avec le docteur José Haba Rubio, médecin au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV et au Centre du sommeil de Florimont.

1 - Dormir en une fois, une habitude récente

Le sommeil est un impératif biologique. Tous les animaux dorment, mais d’une manière différente les uns des autres. «Les espèces se sont adaptées à la pression évolutive, explique José Haba Rubio, médecin spécialiste du sommeil. Pour survivre, certains animaux ne peuvent pas se permettre de dormir plusieurs heures d’affilée. La girafe est un bon exemple. C’est une proie qui, au vu de sa taille, ne peut que difficilement se cacher. La nuit, elle ne dort que deux heures. Le lion, qui n’a pas de prédateurs, dort, lui, jusqu’à quatorze heures par jour.» Chez l’homme également, le sommeil, comme bon nombre de fonctions biologiques, a évolué. On sait aujourd’hui que la grande majorité d’entre nous devraient dormir d’une traite de sept à huit heures environ.

Mais cela n’a pas toujours été le cas. «Nous sommes des animaux diurnes, poursuit le médecin vaudois. La lumière joue un grand rôle pour notre rythme d’éveil et de sommeil. Avant l’arrivée de la lumière artificielle et des activités de loisirs du soir, les gens allaient se coucher quand il commençait à faire nuit.» Avant de s’endormir, il n’était pas rare de passer une ou deux heures dans son lit avant de passer à une phase dite de premier sommeil. Les personnes se réveillaient ensuite quelques heures. Les Romains en profitaient par exemple pour faire la fête. Puis on se rendormait et on se réveillait avant le lever du soleil, qu’on attendait dans son lit.

«Ce sommeil biphasique est ancré dans notre cerveau, détaille le docteur Haba Rubio. Des chercheurs américains ont fait des expériences d’extension du sommeil pour le prouver en faisant passer douze heures au lit à des volontaires. La première semaine, ces personnes dorment pour rattraper leur dette de sommeil, mais, ensuite, ils développent le même sommeil biphasique que nos ancêtres.»

Se réveiller la nuit fait donc partie de notre physiologie. C’est notre mode de vie actuel qui a conduit à une concentration extrême du sommeil qui fait que celui-ci se déroule maintenant en une seule phase. Un mode de fonctionnement qui n’est d’ailleurs pas inédit dans l’histoire d’Homo sapiens. Le chercheur américain Jerome Siegel a ainsi constaté, en étudiant le sommeil de populations primitives qui vivent encore aujourd’hui sur plusieurs continents, que le sommeil du chasseur-cueilleur était relativement court et probablement monophasique comme le nôtre. Contrairement à nous, ce n’était toutefois pas la lumière mais surtout la température qui influençait la durée du sommeil des premiers Homo sapiens.

>> Lire également: Bien dormir en six leçons

2 - Se réveiller la nuit, un problème contemporain

En moyenne, une personne se réveille entre 20 et 30 fois par nuit et se rendort la plupart du temps tout de suite sans même remarquer qu’elle s’est réveillée. Certains d’entre nous sont toutefois plus sensibles au réveil nocturne que d’autres. Une mouche, par exemple, peut les réveiller. Cette sensibilité peut les prédisposer aux insomnies nocturnes, un type de troubles qui fait qu’on n’arrive pas à se rendormir une fois réveillé pendant la nuit. «Le problème vient du culte de la performance de nos sociétés contemporaines, note José Haba Rubio. Lorsqu’on se réveille la nuit aujourd’hui, on se met tout de suite à stresser. On se dit: «Comment tenir demain, comment être performant?» L’angoisse nous fait entrer dans un cercle vicieux qui nous empêche de nous rendormir.»

Or le problème n’est pas de se réveiller mais de ne plus réussir à se rendormir ou à rattraper sa dette de sommeil à un autre moment de la journée. Ce que montre l’histoire du sommeil, et surtout sa période biphasique, c’est que se réveiller la nuit n’a pas toujours été un problème. Dans les tribus primitives qu’il a étudiées, le chercheur américain Jerome Siegel a d’ailleurs constaté que ces populations n’avaient pas de mots pour décrire les insomnies nocturnes. Autrement dit: mal dormir n’existe pas chez eux, ce n’est pas un souci. Lorsque les humains dormaient en deux fois, se réveiller la nuit ne posait pas non plus de problèmes particuliers. Les troubles du sommeil sont, en fait, en grande partie des maladies de nos sociétés contemporaines qui ont transformé le fait de ne pas dormir en peur et en pression de ne pas pouvoir faire face aux défis du quotidien.

3 - Huit heures par nuit, la durée idéale?

Des sportifs, les marins ou les travailleurs de nuit ont un sommeil très fragmenté. Si nos ancêtres avaient un sommeil polyphasique, ce type de sommeil est-il vraiment mauvais pour la santé? Ou bien faut-il dormir huit heures d’une traite pour vraiment profiter des bienfaits du sommeil? «La durée fait en tout cas partie de l’équation, répond José Haba Rubio. Chacun a son propre rythme et le temps de sommeil est vraiment variable d’une personne à l’autre. C’est comme la coupe d’une montagne. Il y a le début et la fin de la pente: ce sont les petits et les très grands dormeurs. Ces types de dormeurs sont toutefois rares.» La majorité d’entre nous devraient dormir de sept à huit heures environ, ce qui semble une durée nécessaire à notre bon fonctionnement général.

Mais la durée ne fait pas tout. Il faut aussi que le sommeil soit de qualité. Pour cela, les phases de sommeil lent profond (lire encadré), qui sont celles qui sont les plus réparatrices et les plus essentielles pour nos fonctions cognitives, ne doivent pas être perturbées par des réveils inopportuns. Il faut donc que le sommeil soit le plus continu possible. Si le sommeil est très fragmenté, il est difficile d’entrer dans les phases de sommeil profond, ce qui rend la récupération difficile. Se réveiller, pour autant qu’on se rendorme, n’est par contre pas un problème.

Il existe un signe simple pour savoir si son sommeil est assez réparateur: l’absence de fatigue durant la journée.

4 - Mal dormir, des conséquences immédiates et à long terme pour la santé

Lorsqu’on passe une ou deux mauvaises nuits, on constate rapidement des effets néfastes immédiats pour notre santé. Le sommeil est nécessaire à notre fonctionnement cérébral et si on ne respecte pas ce besoin, les dysfonctionnements se font rapidement ressentir. Ne pas assez dormir fait qu’on mémorise moins bien et qu’on est souvent irritable. La fatigue et la somnolence ont aussi un rôle sur la vigilance, qui peut conduire à des accidents qui auraient pu être évités dans un état normal.

Mais ce n’est pas tout. De plus en plus d’études pointent aussi de nombreuses conséquences à plus long terme du manque de sommeil. En particulier, il augmente le risque de maladies cardiovasculaires et neurodégénératives.

Mal dormir aurait aussi une influence sur les gènes qui régulent nos horloges internes. Dans une étude parue en 2019, des chercheurs de l’Université de Lausanne et de l’EPFL ont montré, chez des souris, que ces gènes pouvaient être endommagés par le manque de sommeil chronique et ainsi favoriser l’émergence de maladies non transmissibles à long terme. Pire: si les souris retrouvaient rapidement leur rythme de veille et de sommeil, les gènes restaient endommagés plus longtemps…

5 - La sieste, cette autre phase du sommeil biphasique

Une zone de notre cerveau, le noyau suprachiasmatique, gère nos rythmes et notamment celui qui nous dit quel moment est favorable à l’endormissement. «Il y a des périodes de la journée où, même si vous êtes très fatigué, vous ne pourrez pas dormir, explique José Haba Rubio. En anglais, on les appelle les forbidden gates of sleep. Par contre, la vigilance fluctue au cours de la journée, avec des phases biologiques qui ouvrent les portes du sommeil.»

La période de début d’après-midi serait ainsi propice à la sieste. Entre vingt et trente minutes de sommeil à ce moment suffiraient à nous permettre de recharger nos batteries. «On ne fait pas des réserves de sommeil, prévient toutefois José Haba Rubio. On rembourse plutôt la dette qui s’accumule au fur et à mesure des nuits trop courtes.» Une dette qui s’élèverait à 25 à 30 heures par personne active. Attention toutefois. Si on ne compte plus les études pointant les bénéfices de la sieste sur la créativité et l’attention, elle n’est pas faite pour tout le monde. Elle peut conduire à des problèmes d’endormissement chez les personnes qui ont déjà des difficultés à trouver le sommeil. Une sieste trop longue peut aussi perturber le sommeil de nuit de ceux qui dorment bien. Choisir de faire une sieste, comme aller se coucher le soir d’ailleurs, doit répondre à un besoin.

Le principe de base est de s’écouter et de dormir quand notre corps et notre esprit en ressentent l’envie.

>> «La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits», de Roger Ekirch, postface de Matthew Wolf-Meyer, traduction de Jérôme Vidal.


Les cycles du sommeil

Après la période d’endormissement, nous enchaînons habituellement de quatre à six cycles de sommeil – lent léger, lent profond, puis paradoxal – qui durent chacun environ une heure et demie.

- Endormissement
Très variable d’un individu à l’autre, il dure en moyenne quinze minutes. Les muscles et les paupières se relâchent. Le sommeil est toutefois fragile.

- Sommeil lent léger
Cette phase occupe environ la moitié de la nuit. Le sommeil est plus profond mais reste léger.

- Sommeil lent profond
Le cerveau se met au repos et émet des ondes longues et amples. La respiration est régulière, le cœur bat lentement. C’est le sommeil le plus réparateur, il est difficile de s’en extraire.

- Sommeil paradoxal
Les muscles sont flasques et le corps est comme paralysé. Par contre, les yeux bougent et le cerveau fonctionne à plein régime. C’est pendant cette phase que nous rêvons le plus.

*Rédigé en collaboration avec Planète santé

Par Michaël Balavoine publié le 29 avril 2021 - 08:21