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Douglas Kennedy: «Je suis fier de mes Etats-Unis, mais…»

L’écrivain américain que la francophonie adore Douglas Kennedy constate que son pays est plus divisé que jamais et craint que rien de fondamental ne change.

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Douglas Kennedy a passé le mois d’août dernier à Lausanne. Il en a notamment profité pour fréquenter assidûment la Cinémathèque suisse. JOEL SAGET / AFP via Getty Images

Il vient d’envoyer son dernier manuscrit à son éditeur. Il s’agit d’un «polar actuel». Mais Douglas Kennedy refuse de nous en dire plus sur ce récit qui ne paraîtra sans doute qu’en 2022. En attendant, on peut lire son dernier roman en date, «Isabelle, l’après-midi» (Ed. Belfond), une histoire d’amour parisienne en forme de déclaration d’amour à Paris.

- On imagine que vous êtes soulagé de voir Trump battu?
- Douglas Kennedy: Oui. Je suis très content du résultat, et même fier de mon pays pour la première fois depuis quatre ans. Mais je reste prudent, car ce n’est peut-être pas fini sur le plan procédural avec ce Parti républicain qui est désormais un parti d’extrême droite, qui est prêt à aller très loin pour invalider le résultat de cette élection. Et je constate aussi avec effroi que 70 millions de mes compatriotes voulaient maintenir Trump au pouvoir, ce qui démontre que la division du peuple américain est plus profonde que jamais.

- Le siècle américain, cette expression utilisée pour caractériser la domination politique, économique et culturelle des Etats-Unis au cours du XXe siècle, a-t-il quand même un nouvel avenir avec ce changement à la tête du pays?
- Non, le siècle américain est un concept révolu. Et c’est tragique. C’est d’ailleurs un de mes thèmes de prédilection. Le siècle américain a commencé à décliner avec la guerre du Vietnam. Mais ce qui l’a achevé, c’est cette guerre civile culturelle qui fait rage depuis les années 1970, depuis la présidence de Richard Nixon. Ronald Reagan a ensuite exacerbé cette division. Cette manière d’opposer deux Amérique, comme l’a systématiquement fait Trump, a enterré le siècle américain.

- Qu’est-ce que les Européens devraient savoir sur les Etats-Unis pour mieux comprendre ce pays et ses psychodrames actuels à répétition?
- Un élément qu’il faut garder en tête, c’est que les Etats-Unis sont un pays hyper-riche, mais où la classe moyenne a disparu. C’est un pays où il faut par exemple payer 25 000 dollars par année pour que son enfant suive des études universitaires dans une université pourtant publique.

- La singularité américaine serait donc plus économique qu’idéologique?
- L’économie et l’idéologie sont étroitement liées aux Etats-Unis. Le problème, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, c’est que ce pays ne sait pas attribuer un rôle clair à l’Etat fédéral, comme l’avait par exemple fait Roosevelt avec son New Deal. Cela fait des décennies qu’on débat de manière stérile sur le rôle de l’Etat, notamment en matière d’éducation et de culture. Notre système refuse de subventionner ces deux domaines pourtant cruciaux. Et je crains que, même avec un démocrate à la Maison-Blanche, les réformes indispensables ne puissent pas être menées avec un Sénat qui les bloquera toutes. Cette inertie est tragique.

- Quel est votre roman dont la lecture permet de mieux comprendre les Etats-Unis, l’esprit américain?
- C’est un choix difficile. J’en citerai trois: «La symphonie du hasard», une fresque de ces années 1970, qui sont la période charnière de l’Amérique moderne, «La poursuite du bonheur» et «Les charmes discrets de la vie conjugale». Ces trois récits se déroulent dans différentes époques de l’après-guerre et permettent, je crois, de mieux comprendre mon pays et ce qu’il est devenu.

- Et quel est le roman américain écrit par un autre écrivain que vous conseilleriez pour les mêmes raisons?
- Sans hésiter «La fenêtre panoramique», de Richard Yates. C’est un livre relativement peu connu mais qui m’a beaucoup influencé. C’est l’histoire d’un couple après la Seconde Guerre mondiale qui se marie et qui incarne le conformisme américain. Quand j’ai lu ce livre, je me suis dit: «Mon Dieu, mais ces personnages, ce sont mes parents!»

- Quelles sont les trois choses américaines qui vous manquent quand vous séjournez en Europe, et quelles sont les trois choses européennes que vous aimeriez emmener avec vous quand vous retrouvez votre maison dans le Maine?
- Le jazz new-yorkais, le baseball et la route américaine, c’est-à-dire les grands espaces, me manquent quand je suis en Europe. Et quand je suis aux Etats-Unis, j’aimerais y retrouver une démocratie sociale à la manière européenne, une cinémathèque dans toutes les villes et le subventionnement culturel.


«Le clivage déchire ma propre famille»

Ecrivain, entraîneur de basket et artiste peintre, le Vaudois d’adoption Jon Ferguson se désole d’une situation «triste et pathétique».

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En 1973, Jon Ferguson saute dans un avion et arrive, un peu par hasard, en Suisse. Quarante-sept ans plus tard, il habite toujours en Suisse romande et a publié 12 livres traduits en français. Alain Rouèche / VQH

A 71 ans, le natif d’Oakland, en Californie, ne pensait pas vivre pareil cauchemar une fois dans sa vie. «Quand je rentre dans ma famille, en Utah, je dois jouer au médiateur entre mes sœurs. Chez l’une, républicaine, Fox News est la seule chaîne de télévision d’actualité autorisée, alors que chez l’autre, démocrate, elle est au contraire totalement prohibée. Cette discorde règne au sein de presque toutes les familles américaines aujourd’hui.» La faute aux grands médias, selon l’auteur de «Des ballons et des hommes», un ouvrage qui raconte ses années en tant que joueur et entraîneur dans les clubs de basket helvétiques. «A gauche, il y a CNN, le New York Times et le Washington Post, qui vomissent intégralement tout ce qui vient de Trump et des républicains, et, à droite, Fox News, qui fait la même chose avec les démocrates. Et plus on avance, plus cette radicalisation se durcit», estime Jon Ferguson, qui réside en Suisse depuis quarante-cinq ans.

«A l’époque, les médias se bornaient à remplir leur mission d’information. Après avoir lu un papier de politique, bien malin était celui qui parvenait à déterminer les convictions de son auteur. Mais, depuis quelques années, j’ai le sentiment que les grands titres nationaux cherchent avant tout à faire l’opinion, comme on dit. Une dérive à laquelle les réseaux sociaux ne sont sans doute pas étrangers», estime le Morgien. A ses yeux, le clivage est tel que le dialogue est devenu impossible entre ces deux Amérique qui se regardent en chiens de faïence, tellement méprisantes l’une envers l’autre qu’elles semblent irréconciliables. «C’est à la fois triste et pathétique. Dangereux, surtout, puisque, dans le sillage de leurs mentors, les gens se forgent des opinions de plus en plus tranchées et catégoriques. Une spirale inquiétante qui contient tous les ferments des pires dérapages», craint notre interlocuteur. (C. R.)


Par Clot Philippe publié le 13 novembre 2020 - 09:45, modifié 18 janvier 2021 - 21:16