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Témoignage

«Les électro-sensibles comme moi sont des sentinelles»

Depuis 2016, Léon Warnier souffre de violents maux de tête, d’acouphènes et de troubles cardiaques. En cause, les rayons émis par les antennes téléphoniques et le wifi, notamment. Témoignage d’un électrohypersensible qui fait de ses souffrances «un combat pour l’information».

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Pour se protéger des rayons  des antennes téléphoniques  et du wifi, Léon Warnier porte  en permanence un survêtement et un voile tissés de fil d’argent. Jean-Blaise Besençon

Les personnes souffrant d’électrosensibilité passent encore souvent pour des illuminés. Léon Warnier, 63 ans, juriste de formation, le sait très bien. Malgré cela, si cet homme de nature discrète a, «dans l’état» où il est, accepté de nous recevoir, c’est «parce que la santé publique est en jeu». Sa femme venue m’accueillir devant la maison me prie de laisser dans la voiture mon téléphone portable; lui m’attend à l’intérieur dans une tenue que l’on croirait celle d’un apiculteur. Le grand salon est lumineux, ouvert sur le jardin où vont courir les deux chiens de la maison, mais «beaucoup d’électrohypersensibles comme moi doivent vivre dans les sous-sols pour limiter leur exposition aux rayonnements non ionisants (RNI)».

Devant lui sur la table, une documentation abondante et plusieurs livres de référence pour mettre des mots sur un mal sournois devenu à la fois son enfer et son combat: comment se protéger des ondes électromagnétiques? Sous sa combinaison, on devine une chemise blanche impeccable et un pantalon noir plus conformes à sa vie «d’avant». D’origine belge, Léon Warnier est licencié en droit et en criminologie. Soucieux de garder privée l’histoire de sa vie, il la résume en une seule phrase: «J’étais quelqu’un de plutôt en forme.» Jusqu’à sa «grosse casse» en 2016. «J’étais à Pully au bord du lac, au restaurant avec ma femme… Soudain, mon cerveau s’est mis à grésiller et ma peau à brûler, littéralement. Par la suite, j’ai ressenti des vertiges, de très violents maux de tête et des acouphènes, des troubles digestifs aussi. Quelques mois auparavant, j’avais éprouvé brutalement de graves troubles cardiaques.»

Un baldaquin blindé

Deux ans plus tard, le survêtement et le voile dont il vit recouvert n’ont rien d’un déguisement de carnaval. C’est une combinaison blindée, tissée de fils d’argent et fabriquée pour retenir autant que faire se peut les rayonnements: ceux de basse fréquence générés par les lignes à haute tension et le courant domestique, et ceux de haute fréquence produits par les antennes-relais et le wifi. Sournoisement, ces RNI ont, en quelques années, envahi le monde moderne, nos maisons, nos voitures, nos magasins et même nos campagnes, sans que l’on s’en aperçoive vraiment, à moins d’être équipé d’un détecteur. Les trois modèles que possède Léon Warnier lui permettent de repérer les endroits les plus exposés et de vérifier les aménagements protecteurs mis en place dans son logement: «Les prises électriques ont été mises correctement à la terre; le courant est coupé pendant la nuit (sauf pour le chauffage et le frigo); le téléphone, comme tout dans la maison, fonctionne avec des fils, tandis que dans la chambre à coucher, mon lit est protégé par une cage de Faraday, à savoir un baldaquin en tissu blindé.»

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Enseignant en culture maraîchère depuis treize ans à Lullier, Jean-Marc Vuillod veille sur ses favorites. C'est la deuxième année qu'il s'essaie aux morilles. Photo: Magali Girardin Magali Girardin

Face à des menaces aussi insidieuses, Léon Warnier explique que «les personnes électrohypersensibles (EHS) sont des sentinelles» et place désormais en priorité dans son engagement «l’identification des facteurs de risque parce que, aujourd’hui, on expose la population de manière déraisonnable notamment aux antennes-relais et au wifi». A la suite de nombreuses études scientifiques démontrant que des métaux lourds comme le mercure, l’aluminium, le plomb ou le cadmium tendent à s’accumuler dans nos organismes, Léon Warnier explique que «si le taux de métaux lourds est trop élevé, on peut devenir de véritables antennes vivantes, c’est ce qui se passe chez beaucoup d’EHS». Le malaise et les douleurs ressentis ont beau être aussi violents que spectaculaires – «j’avais perdu 12 kilos et mon teint était littéralement verdâtre» – les personnes touchées ont toujours beaucoup de difficultés à faire reconnaître leurs maux par le corps médical. «La médecine allopathique n’aborde même pas cette question. Elle n’a aucun traitement à proposer. Certains patients sont même envoyés chez le psychiatre.» En Suisse, concernant l’EHS, le site de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) rappelle en une phrase la position officielle: «A l’heure actuelle, il n’existe pas de critères de diagnostic médical reconnus.» 

Pourtant, depuis 2011, l’OMS considère les ondes wifi comme un possible facteur cancérigène; et des pays de plus en plus nombreux – l’Angleterre, la Suède, la Norvège, la Finlande, le Danemark et l’Islande – reconnaissent l’EHS comme un handicap fonctionnel ou une maladie professionnelle. «En France, le Pr Belpomme, cancérologue, a mis au point un protocole de diagnostic de l’EHS, explique Léon Warnier, qui a été validé notamment par le Pr Montagnier, Prix Nobel de médecine 2008.» Compte tenu de son état, Léon Warnier redoute la pose d’une nouvelle antenne sur le toit de l’immeuble voisin, à 28 mètres seulement de sa maison. Ainsi à Orbe, à Bex ou à Versoix, comme partout où l’installation d’une antenne est projetée, des oppositions citoyennes s’élèvent. Néanmoins, dès lors que les normes d’émission sont respectées, celles-ci sont le plus souvent balayées par les tribunaux. Plutôt que de se poser en victime, Léon Warnier se voit en «lanceur d’alerte», et rappelle que «toutes les normes ont été fixées sans tenir compte de la biologie, mais sous le diktat des opérateurs de téléphonie mobile et de l’industrie du sans fil». Alors, avec les mots du juriste et la détermination d’un homme «aujourd’hui contraint à une retraite forcée», il affirme «qu’il incombe désormais aux industriels et aux opérateurs de prouver la prétendue innocuité des appareils et des installations».

Signe de l’inquiétude actuelle, le Conseil des Etats vient de refuser à une voix près une motion visant à permettre une augmentation de la puissance des antennes-relais. «C’est une excellente décision, mais les parlementaires sont sous la pression de lobbys très puissants.»
En Suisse, plus de 18 000 antennes assurent nos connexions téléphoniques. Et les villes, les gares, les aéroports, les lieux publics baignent désormais dans un bouillon d’ondes d’une densité inimaginable. Face aux hôtels et autres espaces offrant généreusement du «free wifi», Léon Warnier rêve de lieux «wifi free» et demande «la création de zones blanches pour permettre aux électrohypersensibles de se ressourcer».

«Je veux simplement informer»

Malgré ses propos anxiogènes, Léon Warnier assure vouloir «éviter la psychose». Intarissable sur ce vaste sujet, il évoque encore, livre à l’appui, «le Dr Maschi qui a découvert en 1967 une possible explication de la sclérose en plaques par la pollution électromagnétique alors que l’on s’est acharné à chercher un virus depuis cent cinquante ans». «Je veux simplement informer. Ensuite, chacun décide s’il veut ou pas prendre ces risques-là, pour lui-même et pour ses enfants…»

A l’issue de notre rencontre, Léon Warnier a fermement demandé à pouvoir relire ce texte avant sa publication. «Parce que l’article aborde de nombreux sujets très complexes et extrêmement controversés et que des actions judiciaires sont en cours.» Il l’a légèrement remanié, soucieux «d’évacuer toute question d’ego», rappelant encore une fois que s’il a accepté de sortir de l’anonymat, «c’est uniquement pour attirer l’attention du public sur le péril des rayons non ionisants».

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Pour travailler à l’ordinateur, Léon Warnier ajoute une paire de gants à son équipement de protection. Jean-Blaise Besençon
Par Jean-blaise Besencon publié le 27 mars 2018 - 00:00, modifié 17 mai 2018 - 10:25