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Emmanuelle Fournier-Lorentz, naissance d’une écrivaine

Elle est Française, mais vit en Suisse romande depuis dix ans. De quoi saluer d’un brin de fierté chauvine la parution en janvier, chez Gallimard, de «Villa royale», le premier et très réussi roman d’Emmanuelle Fournier-Lorentz, 32 ans. Confidences lausannoises.

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Emmanuelle Fournier-Lorentz

Emmanuelle Fournier-Lorentz photographiée dans son quartier lausannois en janvier dernier. «Maintenant, la Suisse, c’est chez moi. Quand je rentre, je suis contente de retrouver le lac.»

François Wavre | lundi13

Voir ses mots imprimés, noir sur blanc, dans la prestigieuse collection à couverture crème, la Blanche dans le jargon germanopratin, de la vénérable maison Gallimard, ça lui fait «super bizarre. Je le regarde et je me dis: «Sympa ce livre», rit-elle. Emmanuelle Fournier-Lorentz le tient, son rêve d’enfance, même s’il lui paraît irréel. «Enfant solitaire ballottée de gauche à droite» – comme Palma, la narratrice de son livre, «Villa royale» –, elle lit depuis toute petite. Et, fidèle au cliché, a «toujours voulu être écrivain». Mais son entourage lui fait comprendre que ce métier-là, il ne faut pas y songer.

Alors, elle se tourne vers la photographie. Et débarque en Suisse, il y a de cela dix ans, pour intégrer l’école de photographie de Vevey. Mais l’envie d’écrire est toujours là. Elle abandonne la photo, se lance dans le journalisme, collaborant notamment avec le quotidien genevois «Le Courrier.» Et reste en Suisse «par amour»: Marcel, travailleur social, est depuis devenu son époux. Quand elle se rend compte qu’elle ne veut pas faire de vieux os dans le journalisme, elle décide de s’offrir, pour ses 30 ans, un stage d’écriture chez Gallimard. «Si on me dit que ça ne vaut pas le coup, j’arrête», avais-je décidé. Mais j’étais curieuse de travailler avec Jean-Baptiste Del Amo, dont j’aimais l’écriture et l'exigence.»

Avec l’écrivain français, auteur des puissants «Une éducation libertine» ou «Règne animal», le courant passe. Il l’encourage à travailler sur son manuscrit, l’évocation par la jeune narratrice d’une fratrie terriblement soudée dont la vie a basculé après la mort du père et que la mère emmène dans ses errances. Et c’est tout naturellement qu’il parle d’elle à Jean-Marie Laclavetine, éditeur de la maison et également écrivain. Il y a un an et demi, décision de publier «Villa royale» est prise. Une immense fierté pour la jeune femme, qui tient à souligner qu’elle admire des maisons d’édition comme Zoé, «ils font des trucs de ouf».

Fière, inquiète aussi, même si les critiques ici comme en France font bon accueil à la langue précise et imagée de cette «primo-romancière». «Si tu as du succès, c’est génial. Mais pour moi, c’est la première pierre de l’édifice.» Et donc, Palma, c’est elle? Question facile, qui la fait sourire. «Non, ce n’est pas moi. Mais oui, j’ai deux frères, une mère qui m’a fascinée toute mon enfance, et je suis partie de mes souvenirs.» L’autofiction est une évidence. «A notre époque, ce serait insensé de faire de la fiction pure!» Et d’évoquer les grands auteurs «qui marchent», comme Emmanuel Carrère. Même si elle-même lit et relit Tolstoï, Modiano, Nabokov, Proust et l’Américaine Donna Tartt. «Ah, «Le chardonneret», il faut le lire!» Ce qui compte pour elle, c’est «avoir une scène en tête et penser autant à la sensation intérieure du personnage qu’à la description de la scène».

Ce qui ne veut pas dire qu’écrire coule toujours de source. «C’est ingrat, horrible. On passe par des moments de désespoir lors desquels on se dit qu’on n’intéressera personne et qu’on n’y arrivera jamais.» Et d’évoquer le discours de réception du lauréat 2014 du Prix Nobel de littérature, Patrick Modiano, sur l’acte d’écrire: «Vous avez, chaque jour, l’impression de faire fausse route. [...] C’est un peu comme d’être au volant d’une voiture, la nuit, en hiver et rouler sur le verglas, sans aucune visibilité.» Heureusement, ces bas alternent avec les hauts «de pure joie, qui font oublier tout le reste». Elle s’est également mise à l’écriture de scénarios, ce qui lui permet de ne pas «disjoncter en étant seule tout le temps». Elle a ainsi travaillé sur un futur projet du réalisateur de «Platzspitzbaby», Pierre Monnard, d’après une idée originale de l’ancien flic Yves Patrick Delachaux, sur un paysan du Jura qui va entrer dans l’illégalité pour sauver sa ferme. Et apprécie de jongler entre les différentes formes de narration.

Aux inquiétudes classiques de l’écrivaine qu’elle est se greffent désormais celles de sa maternité qui approche, avec un bébé prévu pour mai. «Cela va-t-il mettre ce métier précaire encore plus en péril?» Mais pas question de s’arrêter là. Elle tient d’ailleurs son prochain récit: «Une histoire d’amour qui se passe en Suisse.» Encore un peu de patience...

>> Retrouvez ici le roman «Villa royale» d’Emmanuelle Fournier-Lorentz

Par Albertine Bourget publié le 11 février 2022 - 14:24