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Entre deux frères, le respect retrouvé grâce au bodybuilding

De prime abord, ils sont deux frangins que tout oppose. A travers leurs passions, le bodybuilding pour l’un et la photographie pour l’autre, David et Gary Parel se sont retrouvés. Récit d’une relation fraternelle unique.

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Gary et David Parel n'ont pas toujours été si proches et complices... David Nicolas Parel

D'un côté, Gary, 32 ans, bodybuildeur et patron du fitness dans lequel nous sommes reçus. De l’autre, David, photographe, le grand frère, de dix ans son aîné. Entre eux, une certaine distance. Quelques centimètres qui les séparent sur le canapé, symboliques de leur relation si particulière. «Nous avons toujours été une famille assez conflictuelle, dans laquelle on ne sait pas trop se dire les choses», expliquent-ils à l’unisson. Leur histoire, c’est celle de deux frères aux parcours si différents mais si liés. Deux frères qui se sont inspirés mutuellement pour trouver leur voie.

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Régulièrement, Gary s’entraîne avec son mentor, Patrick Muller, champion du monde 2001 et considéré comme une légende du bodybuilding en Suisse. David Nicolas Parel

A l’âge de 20 ans, David se met au fitness pour vaincre son obésité. En dix mois, il perd 55 kilos. Il sculpte son corps pendant trois ans, jusqu’à participer à une compétition de bodybuilding. «Je n’ai jamais aimé ce sport», avoue-t-il. L’expérience lui permet cependant de prendre confiance en lui. «Si j’avais réussi à transformer mon corps de la sorte, je pouvais réussir à faire ce dont j’avais vraiment envie.» Il quitte le cocon familial pour Paris, où il apprend le théâtre, le cinéma et se nourrit de culture de tout genre.

Gary, adolescent durant cette période, découvre le monde du bodybuilding à travers son frère. Quand l’aîné rentre de Paris quelques années plus tard, il retrouve un petit frère méconnaissable, transformé en une montagne de muscles. Il empoigne alors son appareil photo et commence à le suivre.

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Gary se prépare mentalement. Dans son travail, David Parel cherche à nous faire comprendre ce qui motive les culturistes en montrant l’envers du décor. David Nicolas Parel

Dans les coulisses et de manière totalement autodidacte, il se forme à la photographie et à la vidéo. Jusqu’à réaliser un long métrage, «Body», le corps du frère», sorti en 2015. «Le but était de tacler les préjugés et de montrer l’envers du décor d’une discipline finalement peu connue. La relation avec mon frère était la porte d’entrée parfaite.»

Dans le film, David suit son cadet dans sa préparation à l’Arnold Classic. Sorte de graal absolu pour les culturistes du monde entier, la compétition fondée par leur mentor Arnold Schwarzenegger se tient chaque année dans la ville de Colombus, aux Etats-Unis. La présence constante de la caméra engendre cependant des tensions entre les deux frères. Sentant que l’intimité nécessaire au succès du film manque, David décide de se remettre à la compétition pour se rapprocher de son frère. Dix ans après, il regagne les salles de fitness et se prépare à son tour pour un concours. Mission accomplie: Gary se prend au jeu et devient son coach.

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Gary se prépare à monter sur la scène des Championnats de France 2013, pendant le tournage du long métrage de David. David Nicolas Parel

S’il a laissé des traces dans leur relation – les deux frères ne se sont plus parlé pendant six mois dès la fin du tournage –, le film a atteint son but. «Nous avons reçu énormément de retours positifs de l’extérieur. Je pense que le film a aidé à changer le regard des gens sur le milieu», explique le réalisateur. Les bodybuildeurs insistent beaucoup sur le fait que leur pratique est personnelle. Le regard des gens de l’extérieur leur importe-t-il donc vraiment? «Il y a deux choses à distinguer, analyse Gary. Il faut le faire pour nous, tout en rendant notre sport accessible à tous. Et ne pas s’enfermer dans une image négative et bourrue.»

Le bodybuilding a, en effet, de quoi déconcerter. La discipline exige une rigueur extrême. Gary, qui compte parmi ses plus grands succès un titre de champion suisse et une septième place aux Championnats du monde, s’entraîne six fois par semaine. Quand il prépare une compétition, la fréquence peut grimper à deux entraînements par jour. Des séances durant lesquelles il soulève jusqu’à 3 tonnes au cumulé. A la presse, il pousse 530 kilos avec ses jambes. Des chiffres qui peuvent impressionner, mais auxquels le principal intéressé refuse de donner de l’importance. «C’est la façon de travailler qui importe, pas les kilos.»

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Gary en action lors d’un concours à Epalinges (VD) en 2012. Ce soir-là, il sera sacré champion suisse junior. David Nicolas Parel

Au-delà de ces heures de folle intensité, c’est leur vie entière que les bodybuildeurs dédient à leur sport, avec notamment des règles de nutrition et de diététique très strictes. Des sacrifices immenses pour une reconnaissance dérisoire. En Suisse, les compétitions ont lieu dans un relatif anonymat et les récompenses se résument bien souvent à «un pot de protéines et une médaille». Une question brûle les lèvres: pourquoi s’infliger tant de souffrances pour si peu de profit? Après avoir observé le milieu de l’intérieur à travers l’objectif de son appareil photo et de sa caméra, David tient sa réponse: «C’est une façon d’exister. Comme dans l’art.» Le cadet confirme: «L’important n’est pas le but, mais le chemin. Certains bodybuildeurs n’aiment pas la scène. C’est dans tout le travail qu’il y a derrière qu’ils tirent leur satisfaction.»

Ce plaisir d’utiliser et de sculpter son corps peut également fournir aux athlètes un moyen de surmonter leurs fragilités psychologiques. En adoptant une philosophie quasiment cathartique consistant à aller au-delà de la douleur. «Je me suis parfois entraîné en pleine nuit, à 3 heures du matin, avoue Gary. On ne fait pas ça si tout va bien.» La souffrance et la sueur servent alors d’exutoires suprêmes. Plus jeune, Gary a connu la rue et plusieurs épisodes violents. Son sport l’a aidé à canaliser cette agressivité. «L’important est d’en être conscient et d’en faire quelque chose de bien. Le positif peut parfois émerger du chaos.»

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L’alimentation est un aspect fondamental dans le bodybuilding. Avant une compétition, les athlètes s’astreignent à un régime hyper-strict. David Nicolas Parel

Le bodybuilding doit composer avec une réputation salie par le dopage, très présent dans le milieu. Les deux frères ne le nient pas, «il est impossible de gagner des compétitions sans prendre de produits». Gary dénonce cependant une certaine hypocrisie. «Dans tous les sports, on oblige les sportifs à avoir des compétences largement supérieures à ce que le corps humain est capable de produire. Les performances ont augmenté de manière exponentielle depuis une trentaine d’années. Simplement, comme notre discipline est basée sur l’esthétisme, la différence saute davantage aux yeux.» Tous deux s’accordent cependant pour dire que des dérives existent au sein du petit monde fermé qu’est le culturisme. «La plus importante, c’est l’oubli de soi, au profit du but à atteindre», explique Gary.

Dans sa salle, il met justement tout en place pour éviter ces errements en offrant un suivi personnalisé à chaque client. La prévention y est poussée au point qu’un physiothérapeute a installé son cabinet, à plein temps, dans le fitness.

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Papa depuis trois ans de la petite Oskana, Gary a quitté le milieu carcéral pour ouvrir son fitness pour «donner une direction plus positive» à sa vie. David Nicolas Parel

Ce fitness, il l’a ouvert il y a un an à Noville, dans le canton de Vaud. Gardien de prison pendant sept ans, il a quitté le milieu carcéral à la naissance de sa fille. «Je ne voulais plus ramener cette violence avec moi quand je rentrais à la maison, raconte-t-il. J’avais envie de donner une direction différente, plus positive, à ma vie.»

David, de son côté, l’avoue: il a, dans un premier temps, caché son passé de culturiste à son arrivée à Paris. «Je ne voulais pas que les gens pensent que j’étais un fan d’Arnold, qui ne s’intéressait à rien d’autre, alors qu’en réalité j’étais déjà fasciné par l’art et la culture.» Renier son passé est rarement la bonne méthode pour réussir. Très vite, son parcours devient son atout. «Notre sport n’avait jamais été exploré artistiquement. C’est un milieu qui intrigue et intéresse le monde culturel parisien.»

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Gary et sa petite fille Oskana. David Nicolas Parel

Gary n’a jamais réussi à accéder à l’Arnold Classic pour lequel il s’entraîne dans le film. David, avec son appareil photo, a donc décidé de poursuivre le rêve inachevé de son cadet. Durant plusieurs années consécutives, il s’est rendu à Colombus. Grâce à son travail sur le bodybuilding, reconnu jusqu’aux Etats-Unis, il a pu gagner la confiance de l’organisation, même celle d’Arnold Schwarzenegger en personne. Et accéder aux coulisses de la compétition. Des photographies dont il a fait une exposition*, actuellement visible dans le fitness de Gary, à Noville. Une façon pour eux de se réunir. «Ce qui lie nos parcours, c’est le travail, estime Gary. J’ai ouvert un fitness sans argent et lui est devenu photographe sans suivre de formation. Même si cela peut paraître vieux jeu, je trouve que le travail est une valeur pas assez estimée.»

Ils ne savent pas se le dire, mais un respect mutuel existe entre les deux frères. En fin d’entretien et à l’abri du regard de Gary, David nous le glisse: «Je ne pensais pas le dire un jour, mais je suis très admiratif de ce qu’il a construit ces dernières années.»

>> * L’exposition photo est visible jusqu’au 31 décembre au fitness Atlethics Center, ch. du Pré-des-Fourches 2, Noville (VD).


Par Robin Torrent publié le 4 décembre 2020 - 08:38, modifié 18 janvier 2021 - 21:16