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Ces entrepreneurs qui cultivent des idées d’avenir

Mobilité, habitat, alimentation, nouvelles façons de travailler… la crise sanitaire a aussi permis de s’interroger sur nos modes de vie. Voici six personnalités dont les projets, la vision nous donnent envie d’aller de l’avant.

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Olga Dubey, biologiste russe à la tête de la start-up Agro Sustain. Blaise Kormann

Un site, du local, et c’est livré

Paul Charmillot et son site MagicTomato ont eu un très grand succès pendant le confinement. C’est simple: commander en ligne avec livraison gratuite des produits locaux.

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Paul Charmillot centralise les activités de MagicTomato dans son entrepôt à Plan-les-Ouates (GE). Blaise Kormann

Un monde sans supermarché, c’est possible? «Pas totalement, mais on peut réduire à une ou deux fois par mois», sourit Paul Charmillot, qui a créé MagicTomato en 2016. Ce trentenaire d’origine libanaise propose de faire ses courses en ligne chez des artisans locaux. Tablettes de chocolat, viande séchée ou bière de la région, mais pas que. Des poivrons d’Espagne «fournis par un maraîcher local qui les a importés», mais aussi, et surtout, du local. Rien n’est stocké: le client commande chez l’artisan, qui prépare à la minute et MagicTomato se charge de la livraison gratuite à domicile le jour même, le tout en véhicule électrique! Le service couvre les régions genevoise et lausannoise en passant par Gland et Morges.

Ce type de consommation durable s’adresse à une clientèle à l’image du concepteur de l’idée, «urbaine et pressée, stressée, mais qui est friande de produits artisanaux», décrit Paul, qui arpentait autrefois les stations-services et les gares pour ses courses après les heures de bureau. Le modèle appâte également les familles, avec des prix qui «ne sont pas forcément plus chers que ceux de la grande distribution». Compter tout de même 60 francs minimum par commande.

Avec MagicTomato, cet ancien de la finance et du luxe croit à la revalorisation économique des producteurs locaux par leur clientèle de proximité. Il prône aussi la réduction des emballages en utilisant des sacs en jute ou isothermes, réduisant ce qui représente 26 tonnes de déchets par année en Suisse. Le confinement a accru la charge de travail de la vingtaine d’employés. «On livrait en un jour ce qu’on faisait d’habitude en une semaine.» Pourvu que ça dure. ● (M. B.)


Des jus d’ici qui ont la pêche

Aline Défayes est une jeune arboricultrice valaisanne qui cultive et produit de doux nectars à base de «Fruits Défendus». Tout un programme.

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Aline Défayes, 38 ans, gère dix hectares de pommiers, poiriers et abricotiers dans la plaine de Saillon. Blaise Kormann

On pourrait y voir une analogie avec le récit biblique de la Genèse. «Pas du tout», se marre Aline Défayes, qui s’amuse de la comparaison avec Eve. «La marque de mes jus de fruits, Les Fruits Défendus, est juste un clin d’œil à mon nom de famille et à mon statut de femme au sein d’un univers qui reste encore essentiellement masculin.» Cheffe d’entreprise agricole. Il est vrai qu’écrit au genre féminin, le titre n’est pas très courant. A peine plus que celui d’arboricultrice. «A ma connaissance, nous sommes trois en Valais», énumère la cultivatrice de Saillon.

Cultiver les fruits qu’elle transforme en jus, c’est bien cela qui démarque Aline Défayes de la concurrence. Dix hectares de pommiers, poiriers et abricotiers qui jalonnent la plaine de Saillon, à deux pas des bains du même nom. Une production intégrée, comprenez pratiquement dépourvue de traitement chimique, qu’elle dirige seule depuis le décès de son papa, il y a quatre ans. «Je ne me voyais pas faire autre chose. Je suis tombée dedans à ma naissance», confie la joviale jeune femme de 38 ans au regard limpide.

Cinq ans après le début de l’aventure, la marque cumule les succès. Distinguée au Concours suisse des jus de fruits, elle a récemment obtenu le label «Marque Valais». «Et grâce à l’engouement des consommateurs pour les produits locaux durant le confinement, nous n’avons pas trop souffert de la fermeture des bistrots et des restaurants», se réjouit la Valaisanne. «Bécote mes poires Williams», «Doux comme un abricot» ou encore «Et mes pommes, tu les aimes?», l’image volontairement sensuelle et sexy des jus de fruits défendus n’a pas fini d’intriguer et de faire de nouveaux adeptes… ● (C. R.)


Repenser nos habitats de façon plus collective

Valentin Bourdon, architecte qui rédige une thèse à l’EPFL, voit dans l’après-confinement une occasion de créer des logements plus flexibles face aux évolutions à venir.

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L’architecte Valentin Bourdon, 31 ans, terminera en septembre à l’EPFL une thèse originale sur les aspects collectifs de l’habitation. Blaise Kormann

Avec le confinement, la question est devenue centrale: comment envisager son logement s’il est destiné à accueillir des pratiques plus variées? Doctorant à l’EPFL depuis 2017 après avoir travaillé six ans à Paris dans le bureau d’architecture MGAU, ce Normand est en passe de terminer une thèse qui traite justement de l’avenir du logement. Elle prend soudain une dimension insoupçonnée: «L’habitation devenait un thème peu discuté, dans l’ombre de cahiers des charges bien rodés. Mais cette crise révèle qu’il faut se reposer des questions de fond, et la recherche est là pour ça.»

Son étude, entamée il y a trois ans, avance des propositions simples, comme associer aux logements des espaces flexibles et mutualisés pour répondre avec plus de réactivité aux imprévus. «La grande transformation que cette période annonce, c’est le retour du travail à l’intérieur de la maison. Aujourd’hui subi, mais demain organisé? Des pièces supplémentaires, des volumes plus atypiques ou des cloisonnements plus transformables permettraient d’accueillir davantage d’activités. Le télétravail, même partiel, peut aussi passer par l’aménagement d’espaces adaptés, mis en commun, à l’échelle de l’immeuble ou du quartier. Cela aurait pour effet de recentrer la vie urbaine autour de ses logements et de ses habitants.»

La qualité de vie peut être augmentée. «La proximité, la flexibilité et la mutualisation sont des sujets dans l’air du temps, très discutés depuis quelques années autour de cette question: qu’est-ce que l’architecture peut offrir comme nouveaux horizons collectifs?» Passionné, ce trentenaire se partagera dès la fin de sa thèse entre activités pratiques et théoriques, au travers de l’enseignement. ● (M. D.)


Des moisissures anti-gaspi alimentaire

Olga Dubey a imaginé un traitement pour conserver les végétaux de manière biologique. Avec sa start-up AgroSustain, elle espère réduire le gaspillage.

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Olga Dubey, dans une serre de l’Agroscope à Changins (VD). Blaise Kormann

Augmenter la durée de vie de ses fruits et légumes de près d’une semaine sans utiliser de traitement chimique? L’idée semble utopique, et pourtant elle est portée par Olga Dubey, une jeune entrepreneuse russe de 29 ans. Elle a posé ses valises à Lausanne pour y faire son doctorat en biologie moléculaire des plantes en 2016. «Depuis toute petite, j’ai observé mes parents et mes grands-parents jardiner. J’ai vu l’énergie que cela prenait de faire pousser une plante et ça m’a fascinée», se souvient celle qui partage désormais sa passion du développement durable avec son mari, Sylvain Dubey.

Elle lance officiellement sa start-up en 2018 avec le prototype d’un spray naturel qui conserve les plantes. Celui-ci préviendrait l’apparition des champignons sur les végétaux une fois récoltés. AgroShelf+ est avant tout conçu pour les détaillants de la grande distribution et les fournisseurs, tout en favorisant une approche éthique des produits. «Nous voulons réduire le gaspillage alimentaire, mais aussi protéger la biodiversité, étant donné que nos solutions n’ont pas d’impact négatif pour les insectes», précise la biologiste.

En attendant les autorisations pour la mise sur le marché du concept d’une valeur de 3 millions de francs, Olga cherche à diversifier son offre. Elle profite notamment de sa collaboration avec l’Agroscope de Changins, à Nyon (VD), spécialisé dans l’arboriculture. C’est sur ce site qu’Olga dispose de son terrain d’expérimentation scientifique, avec son équipe de neuf employés, pour travailler sur un autre traitement qui devrait voir le jour en 2023. Cette fois, il devrait s’adresser directement aux agriculteurs et pourrait s’administrer sur les fruits et légumes avant même qu’ils soient récoltés. Silence, ça pousse! ● (M. B.)


La bonne piste, c’est le vélo

Député au Grand Conseil genevois, médecin aux HUG et membre de l'association Pro Vélo, Patrick Saudan a, au nom de la santé publique et de son engagement pour la mobilité douce, choisi la bicyclette plutôt que le PLR.

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Patrick Saudan dans le local à vélos des HUG. «Il faut une coercition bienveillante entre automobilistes et cyclistes.» Blaise Kormann

Les rues de Genève, cela fait des années qu’il y circule à vélo. Mais durant le confinement, en faisant «les dix-huit minutes sans brûler les feux rouges» de chez lui aux HUG, où il est médecin au service de néphrologie, Patrick Saudan est frappé par «la qualité d’absence de bruit et la qualité de l’air» liées à la chute massive du trafic automobile. Le vélo, il en a fait son dada politique depuis son entrée au Grand Conseil, en 2007, sous la bannière radicale. «Je me suis servi de ce mandat pour faire avancer la mobilité douce.» Car, insiste-t-il, la moitié des maladies non transmissibles (hypertension, obésité, maladies cardiovasculaires…), «qui représentent 80% des coûts de la santé», pourraient être évitées avec un mode de vie plus sain.

Le 12 mai, c’est le drame: la majorité du Parti libéral-radical (PLR), et avec elle automobilistes et commerçants, s’étrangle en découvrant 7 kilomètres de pistes cyclables provisoires, dans une ville certes déjà engorgée et avec un trafic qui a repris de plus belle. Et dépose une résolution exigeant leur retrait. En porte-à-faux avec son parti, Patrick Saudan démissionne, il siégera en indépendant. «Je suis médecin avant tout. Et puis, le développement des pistes cyclables n’est pas antinomique avec la prospérité des villes, voyez Amsterdam, Bordeaux ou Copenhague!»

Depuis, Lausanne et Fribourg ont annoncé mettre en route leurs propres pistes cyclables, et le PLR genevois, dont la résolution a été balayée, a approuvé une résolution d’Ensemble à gauche demandant à compléter le réseau cyclable. S’il revendique sa fibre libérale, Patrick Saudan, lui, se dit convaincu qu’il faut désormais une «coercition bienveillante» et qu’à terme, c’est le trafic automobile individuel qui va devoir être interdit. Ça va klaxonner… ● (A. B.)


Une nouvelle façon de travailler, plus éthique et plus sociale

Etre à la fois salarié et entrepreneur, c’est le statut innovant proposé par Neonomia aux indépendants soucieux de garder leur liberté tout en bénéficiant d’une protection sociale. Avec un partage des compétences stimulant.

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Des membres de Neonomia réunis dans l’espace de coworking de Genève. A droite, Yann Bernardinelli, cofondateur de cette coopérative innovante. Blaise Kormann

«Un écosystème en action», c’est ainsi que se définit Neonomia. Cette coopérative créée à Genève en 2016 est un système d’entrepreneuriat unique en Suisse. En son sein, une vingtaine d’indépendants venus d’horizons variés, allant de l’informatique au journalisme en passant par la traduction, les audits humanitaires ou le tourisme.

Chaque membre est à la fois entrepreneur et salarié grâce à un système de mutualisation qui lui permet de percevoir le chômage, d’être protégé du côté des assurances et de la prévoyance sociale, et de déléguer l’administration et la comptabilité. Un gain de temps et d’argent idéal pour un indépendant: devenir salarié de son entreprise tout en restant le seul maître à bord. Pour autant qu’on puisse afficher un chiffre d’affaires minimum de 30 000 francs par année et qu’on adhère à la charte d’entreprise, qui s’inscrit dans le développement durable et éthique. «Nous mettons la notion de collectif en avant, explique Yann Bernardinelli, membre fondateur, président du conseil d’administration et rédacteur scientifique. On essaie de créer des synergies, de partager nos réseaux, certains membres «slasheurs» cumulent même plusieurs activités.» Chacun d’entre eux est tenu de s’impliquer dans le bon fonctionnement de la structure.

Une façon de concevoir le travail, où chaque coopérateur-entrepreneur participe aux décisions. Aujourd’hui, les femmes sont représentées à 70% dans la coopérative, même si cela ne se traduit pas sur la photo, car elles n’étaient pas disponibles le jour de la prise de vue. Et la fourchette des âges est étendue, ce qui permet un brassage du savoir fertilisant, une «pollinisation des idées», comme le claironne Neonomia, qui espère ne pas rester pionnier dans ce domaine. ● (P. Ba.)


Par Baumann Patrick, Albertine Bourget, Marc David et Meryl Brucker et Christian Rappaz publié le 17 juin 2020 - 08:24, modifié 18 janvier 2021 - 21:11