Le chiffre d’affaires mondial des produits de protection solaire atteint 5 milliards d’euros. Pour des substances qui n’ont jamais prouvé leur efficacité, selon vous...
Utilisées contre les coups de soleil, les crèmes solaires sont efficaces. C’est d’ailleurs sur cet effet que se basent les indices de protection. Mais aucune étude n’a prouvé leur efficacité contre le mélanome, qui est le cancer de la peau le plus redouté, souvent mortel s’il n’est pas dépisté assez tôt. Or c’est bien contre ce cancer que les gens pensent se protéger en s’appliquant de la crème, ce qui les incite à s’exposer davantage au soleil. Les fabricant embrouillent les gens avec des arguments portant sur la protection contre les coups de soleil alors que la population est persuadée qu’elle concerne aussi le mélanome.
Est-il scientifiquement prouvé que le soleil est responsable de l’augmentation continue des cas de cancer de la peau?
Le lien entre soleil et cancer de la peau est très bien établi. Il est plus direct pour les cancers de la peau non-mélanomes, qui se développent surtout chez les personnes âgées, avant tout sur le visage et les zones exposées au soleil. Dans le cas du mélanome, le lien est également avéré mais plus complexe. Le type de peau, le nombre de grains de beauté, les coups de soleil, surtout dans l’enfance, jouent un rôle important. Par ailleurs, plus de la moitié des mélanomes apparaissent dans des zones du corps peu ou pas directement exposées au soleil.
Qu’en est-il des éventuels effets secondaires de ces crèmes solaires?
Ces crèmes contiennent de nombreuses substances chimiques dont on ne connaît pas bien les effets cumulés, ni leur devenir quand elles sont dégradées par la lumière du soleil et la transpiration. Ce que l’on sait, c’est que certains filtres chimiques utilisés sont des perturbateurs endocriniens et qu’ils traversent la barrière du derme. On en retrouve des traces dans l’urine, le sang et le lait maternel, sans que l’on connaisse les conséquences de cela. Mêmes interrogations concernant les sprays dont on respire les micro-gouttelettes en suspension dans l’air.
Dans l’un de vos articles, vous accusez les organisations scientifiques et les médecins de manquer d’esprit critique…
Les crèmes n’étant pas des médicaments, les fabricants ne sont pas tenus de prouver leur efficacité, ni de montrer leur absence de nocivité. Des campagnes de prévention portant sur des millions de personnes ont donc été soutenues par des médecins sans preuve d’efficacité. Les fabricants pourraient financer des études mais ne le font pas, probablement parce qu’ils doutent du résultat. Des scientifiques ont épluché l’ensemble de la littérature médicale disponible sur cette question et leur conclusion est claire: il n’y a aucune preuve que les crèmes solaires protègent du mélanome.
Vous dites que les coups de soleil subis dans l’enfance sont associés à un risque plus élevé de mélanome…
Oui, ce lien est bien prouvé. D’où l’importance de protéger efficacement les enfants soit en les gardant à l’ombre durant les heures chaudes, soit en les habillant avec des vêtements adaptés. Dans les pays asiatiques, les enfants portent tous des vêtements en lycra, des chapeaux et des lunettes.
Dans le même article, vous qualifiez le message de la Ligue suisse contre le cancer de vieille batterie. L’institution ne prend pas le problème au sérieux, selon vous?
Veille batterie parce que, sur son site internet, les recommandations de la Ligue contre le mélanome sont données en vrac: rester à l’ombre entre 11 h et 15 h, porter chapeau, lunettes de soleil et vêtements appropriés, appliquer un produit solaire. Pensant que c’est à choix, les gens utilisent la crème. L’ombre et les vêtements ont peu de succès. Le résultat du message est donc un faux sentiment de sécurité et davantage d’exposition au soleil. Il est quand même impressionnant que la ligue fasse de la prévention en ignorant ce que la population retient de ses messages et qu’elle ne prenne pas la peine de signaler l’absence de preuve d’efficacité des crèmes.
Les indices de protection sont calculés en laboratoire sur des personnes-cobayes qui appliquent 2 mg de produit par cm2 de peau, ce que personne ne fait jamais puisque cela équivaudrait à vider un tube en trois applications. Peut-on assimiler cela à de la tromperie?
Cette quasi-impossibilité d’utiliser les crèmes de la manière préconisée par les fabricants est en effet un indice de tromperie. Ce n’est pas sérieux. Il faudrait aussi parler du prix de ces produits, complètement exagéré, ou encore de la pollution qu’ils génèrent dans le milieu aquatique.
En fin de compte, le soleil est-il notre ami ou notre ennemi ?
Le soleil nous est indispensable. Il nous permet de synthétiser de la vitamine D et il a des vertus antidépressives. A petite dose et régulièrement, il est donc notre ami. A haute dose, en particulier lors d’expositions brusques, par exemple lors de vacances au soleil à Noël alors qu’on vit à l’intérieur depuis des mois, il est dangereux. Le mieux, c’est d’imiter ce que les populations du Sud font depuis toujours: se couvrir, rester à l’ombre aux heures les plus chaudes et privilégier le matin et la fin de la journée pour les activités au soleil. Enfin, il faut se faire dépister régulièrement chez le dermatologue et apprendre soi-même les critères de dangerosité des grains de beauté ou taches de notre peau.