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Faut-il jeter les AirPods?

Produit phare d'Apple lancé il y a tout juste deux ans, les écouteurs sans fil AirPods défraient la chronique depuis quelques semaines: ils augmenteraient le risque de cancer.

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Julie de Tribolet / L illustre

La polémique est lancée. Alors qu’Apple vient de présenter au monde sa nouvelle génération d’AirPods, des écouteurs Bluetooth (sans fil) en forme de petits sèche-cheveux voués à remplacer les écouteurs à fil et lancés à la fin de l’année 2016, un article alarmiste publié sur le site d’information américain Medium pose tout haut cette question que l’on se pose tout bas: «Les AirPods et les écouteurs Bluetooth sont-ils sans risque?» Non, lit-on entre les lignes.

Pour étayer leurs propos, les lanceurs d’alerte s’appuient sur une pétition signée par 250 scientifiques de 40 pays remise aux Nations unies et à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un appel international demandant une protection efficace contre les expositions croissantes à des champs électromagnétiques causées par des appareillages électriques ou sans fil. «Cancers, troubles neurologiques et problèmes génétiques», cite l’article, repris par des médias du monde entier; porter des AirPods reviendrait à mettre deux petits micro-ondes dans nos conduits auditifs, proches de notre lobe temporal où se développe la majorité des tumeurs cérébrales. Il n’en faudra pas plus pour créer l’angoisse. Décryptage.

Le Bluetooth, c’est quoi?

Norme lancée en 1994 par la marque suédoise de téléphonie mobile Ericsson, le Bluetooth permet de remplacer une connexion par câble entre deux équipements électroniques très proches l’un de l’autre, comme une souris et un ordinateur ou un téléphone et des enceintes ou des écouteurs. Comme le wifi, le Bluetooth se sert des ondes radio sur la bande de fréquence 2,4 GHz mais, contrairement à celui-ci, sa puissance d’émission est très faible et son débit très limité. L’immense majorité de nos téléphones est équipée de l’une des dernières technologies Bluetooth et la disparition croissante des entrées mini-jack sur les iPhone (et bientôt sur les Android) accélère notamment la vente de ce genre d’écouteurs.

Et cette pétition…?

C’est là que ça coince. La pétition reprise par les articles dénonçant la dangerosité des AirPods date de… 2015. Et ne cite à aucun moment la technologie Bluetooth et encore moins les AirPods, même dans sa dernière version actualisée au mois de janvier dernier. Annie Sasco, médecin épidémiologiste du cancer, est la coordinatrice européenne de cet appel international. «J’ai été très étonnée du regain d’intérêt pour notre pétition. Cependant, nous ne mentionnons le Bluetooth nulle part et n’avons pas de réponse précise pour un appareillage particulier.» Dans cet appel international, les 250 scientifiques dénoncent les risques pour l’humain et en particulier pour les enfants d’une exposition aux champs électromagnétiques, soit l’ensemble de la téléphonie mobile. Le Bluetooth pourrait donc y trouver sa place? «A proprement parler, oui, car il rentre dans cette catégorie. Mais, à ce jour, il n’existe aucune étude prouvant l’impact néfaste du Bluetooth et le risque de cancer. Ce qu’il faudrait, c’est exposer des animaux à des ondes Bluetooth pour savoir quelle est l’exposition réelle du cerveau.»

Les Airpods en chiffres

Les AirPods sont le nouveau gadget phare d’Apple. Plusieurs études considèrent que près de 24 millions de paires ont été vendues l’année dernière dans le monde, soit 48 millions d’oreillettes. Et les chiffres annoncés pour l’année à venir sont mirobolants: plus de 40 millions d’AirPods devraient être vendus en 2019. Aucun autre produit Apple ne s’est vendu aussi rapidement depuis le lancement de l’iPad. Le 20 mars dernier, en direct de Cupertino, en Californie, la firme à la pomme a présenté sa dernière génération d’AirPods. Temps de connexion moins long, 50% de temps de conversation en plus, une option de charge sans fil et un prix qui prend l’ascenseur: pour se les procurer, il faudra débourser 229 francs!

Qu’en dit l’OMS?

Rien. Ou, du moins, pas beaucoup plus qu’en 2011, soit bien avant l’arrivée des AirPods sur le marché. Il y a huit ans, le Centre international de recherche sur le cancer, créé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), classait les champs électromagnétiques de radiofréquences (dont fait partie le Bluetooth) dans sa catégorie 2B, soit comme «peut-être cancérogène pour l’homme», comme le plomb ou l’aloé véra. A titre de comparaison, le glyphosate est, lui, classé dans la catégorie 2A et l’amiante dans la catégorie 1. Signification? Il pourrait y avoir un risque. L’agence internationale avait alors annoncé qu’elle surveillait de près le lien possible entre les téléphones portables et le risque de cancer et reconnaissait qu’il était «crucial que des recherches supplémentaires soient menées sur l’utilisation intensive à long terme des portables». En outre, elle recommandait l’utilisation des kits mains libres ou des textos à la place des appels. Mais, depuis, silence radio.

Les Airpods, l’arbre qui cache la forêt?

Pour certains scientifiques, l’embryon de polémique autour des AirPods aurait un but tout autre que celui annoncé. C’est le cas de Daniel Favre, docteur en biologie vaudois, président de l’Association romande Alerte aux ondes électromagnétiques et signataire de la pétition de 2015, qui dénonce «une méthode grossière de diversion et d’enfumage pour minimiser les risques sanitaires et environnementaux de la 5G, incommensurablement plus importants que ceux du Bluetooth et des AirPods. C’est une technique basique de gestion des crises d’opinion. Cela s’appelle communément «noyer le poisson».

Et les écouteurs, avec ou sans fil?

Par mesure de précaution, la médecin épidémiologiste du cancer Annie Sasco recommande d’utiliser des écouteurs avec fil, «car ce type d’écouteurs ne fait que transmettre et n’émet rien, contrairement aux AirPods». De manière plus générale, la scientifique rappelle aussi qu’il est important de ne pas coller son téléphone à sa peau lorsque l’on passe des appels.
«C’est d’ailleurs ce qui est écrit sur les recommandations d’usage des téléphones… mais en tout petit!»


L'éditorial: l'électrosmog nous tue-t-il, oui ou non?

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  Julie de Tribolet / L'illustre

Par Philippe Clot

Est-ce vraiment sorcier d’évaluer le degré de dangerosité réel des ondes électromagnétiques qui nous bombardent en permanence à haute dose? La recherche scientifique démontre et quantifie des choses invraisemblables, progresse de manière fulgurante dans des domaines d’une extrême complexité, mais quand il s’agit d’épidémiologie, c’est-à-dire de problèmes de santé dans les populations humaines, il faut se contenter d’inextricables et interminables débats contradictoires.

La polémique autour des AirPods, ces écouteurs sans fil que la version d’Apple a popularisés à l’échelle mondiale, est révélatrice de cette opacité. Est-ce que ces petits bijoux de technologie favorisent, oui ou non, le développement de tumeurs au cerveau? Est-il complotiste de penser que la lenteur de la réponse scientifique à cette question pourtant simple est directement proportionnelle aux intérêts financiers en jeu?

La dangerosité du tabac avait déjà mis des décennies à être officiellement reconnue. Et on commence aujourd’hui seulement à sanctionner des fabricants de pesticides notoirement cancérogènes et à désigner l’excès de sucre dans l’industrie alimentaire comme un fléau de santé publique.

Le flou complet qui règne encore sur les conséquences sanitaires de l’électrosmog, qu’il s’agisse d’écouteurs Bluetooth dans les oreilles, du wi-fi ou de la très puissante 5G qui s’apprête à nous ioniser tous, ce flou n’est-il pas dû lui aussi à un tabou économique et industriel? Pour effacer ce genre de doute, le monde politique devrait enfin diligenter une étude scientifique d’ampleur mondiale et totalement indépendante.


publié le 5 avril 2019 - 15:05, modifié 18 janvier 2021 - 21:03