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Frani ELLE, la drag-queen valaisanne qui cartonne sur les réseaux sociaux

Depuis 2020, le Valaisan Francesco Iapozzuto, alias Frani ELLE, son alter ego drag-queen, publie sur les réseaux sociaux des saynètes sur les problématiques des Suisses avec un humour et une dérision qui plaisent à tout le monde. Il prépare un one man/woman show pour la fin de l’année et il est pressenti pour animer une nouvelle série sur la RTS en 2024.

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Francesco Iapozzuto, alias Frani Elle

Avec 31'400 followers sur Instagram et 81'800 sur TikTok, Frani ELLE cartonne sur les réseaux avec ses interventions qui parlent de nous, les Suisses, de nos petits et grands soucis. 

Guillaume Perret

Francesco Iapozzuto arrive un quart d’heure en avance au rendez-vous, malgré le fait qu’il a été arrêté des dizaines de fois dans les rues lausannoises pour faire des selfies avec ses fans. Nous arrivons ensemble, comme deux caricatures de Suisses aux doubles origines qui ont peur d’être en retard pour une première rencontre. «Peut-être devrait-on apprendre à être plus légers?» dit-il. 

Avec 31 400 followers sur Instagram et 81 800 sur TikTok, cette drag-queen valaisanne, comme il se définit, cartonne sur les réseaux sociaux avec ses saynètes qui parlent de nous, les Suisses, de nos petits et grands soucis, mais aussi des voisins français, italiens, des amis espagnols ou portugais. Il s’adresse à chacun, à chacune, quels que soient sa nationalité, son âge, son genre, son orientation sexuelle. Et pour transmettre ses messages, il utilise indifféremment la voix de Frani ELLE au masculin ou celle de Frani ELLE, son alter ego drag. Il nous tend un miroir si juste que l’identité qu’il prend, lors de ses mini-sketchs, ne joue plus aucun rôle. C’est ce qui explique sans doute qu’il ne soit pas victime d’attaques homophobes sur les réseaux. «Très peu de gens me critiquent. Les personnes qui me suivent sont des papas, des mamans, plein de jeunes aussi, qui m’écrivent. Dans mes vidéos, je ne revendique pas mon homosexualité, ce serait réducteur et cela ne me définit pas. Les problèmes dont je parle sont ceux de tout le monde.» 

Frani ELLE aborde en effet tous les sujets qui fâchent, ceux qui font rire aussi: le prix des assurances maladie, celui du cappuccino sur les quais de gare, la Foire du Valais. Il joue les guides touristiques dans les villes de Suisse romande (attention, ça pique), il parle des femmes qui sont ostracisées parce qu’elles ne veulent pas suivre un schéma social préétabli, des enfants qui se font harceler à l’école parce qu’ils sont différents, de nos habitudes de consommation, de nos silences, tout y passe. Il a une manière de dénoncer certaines aberrations avec humour et bienveillance. «J’aimerais faire passer des messages qui soient des pistes de réflexion, mais sans que ce soit pompeux – je ne suis pas politicien – tout en gardant une certaine légèreté.»

Francesco Iapozzuto, alias Frani Elle

Francesco Iapozzuto semble avoir mille vies qu’il a l’art de rendre toutes compatibles. Il a été coiffeur et maquilleur, puis gestionnaire de comptes et aujourd’hui formateur.

Guillaume Perret

Adolescence difficile


Francesco Iapozzuto a eu très tôt la prescience de sa «différence». «Vers l’âge de 10 ans. J’étais attiré par les copains de mon âge dont je tombais amoureux. Je sentais que je n’étais pas comme tout le monde: j’étais efféminé et je savais surtout qu’il fallait que je me taise. Quand on séparait la classe en deux, les garçons me disaient d’aller avec les filles. Mais en même temps j’étais extrêmement sportif. On n’arrivait pas à me mettre dans une case.» Le 25 janvier, Frani ELLE a posté une vidéo sur le harcèlement à l’école dont sont victimes celles et ceux qui se découvrent une orientation sexuelle différente de la plupart de leurs camarades, encourageant les enfants à parler et les parents à écouter. Cela sentait le vécu. «J’ai eu une adolescence difficile. Je ne sais pas comment j’ai survécu. Je n’ai jamais été frappé, j’ai eu beaucoup de chance, mais la violence s’est exprimée avec des mots et je n’avais personne à qui me confier.» 

Le Valaisan est né à Sion et a grandi dans le village de Conthey. Dans la famille, on regardait la télé italienne, le pays d’origine de son père. «Les présentatrices stars, hyper-féminines, me fascinaient. J’ai parfois eu des doutes sur mon identité, mais j’ai vite compris que je me sentais très bien en homme. En revanche, je voulais ressembler à ces créatures, sans savoir que l’on pouvait en faire un métier. Je me déguisais en femme pour le carnaval, mais cela n’était pas très bien perçu.»

Lorsqu’il a eu 18 ans, il a eu le courage d’annoncer son homosexualité à ses parents. «C’est normal, tu as un handicap», lui a répondu son père. Pierrette, sa mère, s’est mise à pleurer. «Elle pensait au fait qu’elle ne deviendrait jamais grand-mère. Elle aurait pu, pourtant: il y a eu un moment où j’avais envie d’avoir des enfants, mais plus aujourd’hui.» Si elle a très bien accepté l’orientation sexuelle de son fils, elle a moins bien vécu son désir de devenir drag. «Elle avait peur que je veuille faire une transition. J’imagine que même si elle accompagne son enfant avec amour et sincérité, une mère qui a accouché d’un garçon ou d’une fille doit faire une forme de deuil en voyant son enfant changer de sexe. Je sentais aussi chez elle une gêne au début. Elle m’a expliqué plus tard que je lui rappelais sa mère. Ma grand-mère était grande, blonde, mince, je lui ressemble un peu. Mais maintenant ma mère me soutient à 100%: elle est fière de son fils!»

Francesco Iapozzuto, alias Frani Elle

Francesco devient Frani ELLE en trois bonnes heures. «J’écris mes sketchs, je joue tous les personnages, je filme mes vidéos, je fais le montage, mon maquillage, tout.»

Guillaume Perret

Une des choses qui occupent l’esprit de Francesco Iapozzuto actuellement, c’est le fait qu’il a été pressenti pour animer une nouvelle série qui sera lancée sur la RTS en 2024. La rencontre entre Frani ELLE et la productrice de télévision Valérie Rusca, qui l’a choisi, s’est faite de la manière la plus inattendue qui soit: «Pendant le premier confinement, ma mère m’a dit qu’elle prêtait ses vêtements à son voisin qui était drag-queen sur Instagram, explique-t-elle. C’était Frani ELLE. C’est comme cela que je l’ai rencontré. Il est très charismatique et plein d’empathie. Tout le monde l’arrête dans la rue, que ce soient des gamins ou des personnes âgées. Il sera parfait pour jouer le rôle pour lequel il est pressenti. On ne va pas faire appel à son personnage de drag-queen: il interagira en tant que Frani ELLE au masculin.»

Outre la télévision, la scène l’appelle. Il prépare un one man/woman show pour la fin de l’année, un spectacle qu’il a entièrement écrit et qu’il conçoit avec son mari, metteur en scène. «Les gens qui me suivent sur les réseaux sociaux ne le savent peut-être pas, mais je fais tout moi-même: j’écris mes sketchs, je joue tous les personnages, je filme mes vidéos, je fais le montage, mon maquillage, tout. La première fois que je suis monté sur scène, c’était pendant la Pride de Bulle: je me suis retrouvé seul devant 10 000 personnes. J’ai même chanté en live avec le chanteur genevois Luca Leone et cela m’a donné envie…» On lui a souvent proposé de faire des stand-up dans des bars à Paris, à Genève, à Neuchâtel, mais Frani ELLE se garde jalousement pour lui/elle et son propre spectacle.

Pendant le covid


Francesco Iapozzuto semble avoir mille vies qu’il a l’art de rendre toutes compatibles. Il a été coiffeur, maquilleur, gestionnaire de comptes dans une banque où il occupe désormais le poste de formateur. «Le maquillage commençait à me peser: les objectifs de vente avaient pris le pas sur le plaisir. J’ai postulé chez PostFinance. J’ai passé un entretien. La responsable m’a dit que je n’avais pas le profil, mais qu’elle voulait me donner ma chance. J’ai passé des examens, que j’ai réussis, et j’ai commencé en tant que gestionnaire de comptes, puis comme formateur. Je trouve mon bonheur dans cet équilibre. J’adore former des jeunes, même si la matière est rude. J’essaie de leur insuffler une joie dans le travail. Ils n’ont plus envie de travailler comme les générations précédentes: leur vie privée est ce qui compte le plus pour eux. Dans un sens, ils ont raison: travailler jusqu’à 65-70 ans et en perdre la santé, ce n’est pas la vie pour laquelle ils veulent signer.»

Son personnage de Frani ELLE, Francesco l’a fait naître un peu avant la pandémie de covid, le 11 septembre 2019. Le fait qu’il soit maquilleur l’a beaucoup aidé à définir son personnage, «même si le maquillage de drag est beaucoup plus appuyé que celui des femmes, avec des couches, des sous-couches. Cela s’apparente au maquillage de théâtre mais avec des spécificités comme l’ombrage, pour affiner les traits, ou le face taping (qui consiste à tirer le haut du visage avec un scotch spécial, ndlr). Quand j’ai commencé le drag, les gens me disaient que j’étais jolie, mais je ne voulais pas être juste cela. Je voulais faire rire. J’ai donc commencé par faire un sketch et le personnage est né.»

«Frani ELLE me donne de la force»


Etre une drag-queen requiert un certain budget: les robes, les perruques, les produits de maquillage, à la longue, cela coûte cher. Avec le succès qu’il rencontre, Frani ELLE pourrait se faire sponsoriser – les propositions de marques cosmétiques ne manquent pas – mais il refuse tout. «Je ne suis pas un influenceur. Cela ne m’intéresse pas. Pourquoi irais-je conseiller à quelqu’un d’utiliser tel ou tel produit? Il peut me correspondre mais pas aux autres. En revanche, j’accepterais de devenir une égérie si on me le demandait.» 

Francesco Iapozzuto, alias Frani Elle

Ses perruques sont réalisées par Les Martines Wigs.

Guillaume Perret

Son personnage de Frani ELLE lui permet-il d’exprimer plus facilement une facette de sa personnalité? «Oui. Le courage. Je prends plus facilement position dans la peau de Frani ELLE: elle me donne la force d’exprimer des choses que je n’ose pas dire. En Suisse, on se freine, or ce personnage me donne la force de passer outre. Avec mes vidéos, j’aimerais apporter une certaine légèreté aux gens qui s’empêchent: leur donner le courage d’être ce qu’ils désirent être. Depuis le covid et tous les événements que l’on observe dans le monde, on ressent tous une tristesse, une lourdeur. On ne s’approche peut-être pas de beaux jours, mais il ne faut pas oublier que l’on est un groupe et ce n’est qu’ensemble que l’on peut s’en sortir. Avec mes vidéos, j’ai envie de dire: «Vous n’êtes pas seuls. Ce que vous vivez, je le vis peut-être aussi.» J’aimerais donner cette petite force-là.»

Par Isabelle Cerboneschi publié le 27 mars 2023 - 09:06