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Interview

Franziska Herren: «Plus de plantes au lieu de la viande»

Avec son initiative sur l’alimentation, Franziska Herren veut améliorer la position des produits végétaux par rapport à la viande. Cette Bernoise est déjà à lʼorigine dʼune des campagnes de votation récentes les plus dures avec son initiative sur lʼeau potable.

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Franziska Herren

«Pourquoi une saucisse à base de plantes coûte-t-elle plus cher quʼune saucisse à base de viande?» se demande Franziska Herren dans son jardin de Wiedlisbach (BE).

Olivia Pulver

Franziska Herren est la citoyenne la plus connue de Wiedlisbach (BE), 2569 habitants. Elle a fixé rendez-vous à «L’illustré-Green» dans le jardin sauvage et romantique de sa petite maison. Elle y lit et travaille souvent. «Assise sous notre noyer, je peux me déconnecter et me ressourcer. C’est mon lieu de force», dit-elle. Cette femme de 56 ans a de l’énergie et en a besoin: en tant que personne privée sans groupes de pression financièrement puissants, elle a lancé trois initiatives. «Mühleberg vom Netz» (pour fermer cette centrale nucléaire) il y a plus de dix ans, l’initiative sur l’eau potable en 2017 et maintenant l’initiative pour une meilleure sécurité alimentaire. La collecte de signatures commence début juin. Pourquoi la «Jeanne d’Arc de l’eau», comme l'appelle son voisin, s’inflige-t-elle cela? Surtout après la votation sur l’eau potable, qui occasionna une des campagnes les plus violentes de toute l’histoire politique suisse.

- Vous n’en avez pas encore assez des affiches détruites et des menaces de mort?
- Franziska Herren: J’ai beaucoup appris sur le système, la communication et les gens. Le pire, pour moi, serait de laisser tomber quelque chose par peur alors que je suis consciente de son importance.

- Vous voulez maintenant rééduquer la population suisse pour qu’elle devienne végétalienne?
- (Elle rit.) Non, pas du tout. Nous voulons seulement établir un nouvel équilibre entre la production d’aliments d’origine végétale et la production d’aliments d’origine animale, au bénéfice de l’environnement, du climat et de notre sécurité alimentaire. Aucune forme d’alimentation n’est exclue.

- Comme l’UDC, vous êtes pour une autosuffisance plus élevée.
- A la différence près que l’UDC souhaite maintenir le même niveau d’élevage, au détriment des mesures écologiques.

- Et que voulez-vous?
- Renforcer une production indigène durable qui respecte la biodiversité et la fertilité des sols, et ainsi faire passer le taux d’autoapprovisionnement net de la Suisse de 50% à au moins 70%. Pour cela, la Confédération doit promouvoir davantage de denrées alimentaires végétales et orienter l’agriculture et l’industrie alimentaire dans ce sens. Actuellement, 82% des 2,8 milliards de subventions vont à la production d’aliments d’origine animale et seulement 18% aux aliments d’origine végétale.

- N’appréciez-vous pas de griller un steak juteux en été?
- J’étais déjà végétarienne enfant, même si mes parents mangeaient de la viande. Pour l’environnement, le climat et la sécurité alimentaire d’une population croissante, il faut davantage d’alternatives végétales ou de légumes sur les grils. Aujourd'hui, 60% des terres arables du pays sont consacrées à la culture de fourrage pour les animaux de rente, tels le maïs et les céréales, et 1,2 million de tonnes de fourrage sont importées. Cette culture fourragère est en concurrence directe avec l’alimentation humaine et affaiblit la sécurité alimentaire dans le pays et à l’étranger. Si l’on cultive sur des terres arables des denrées alimentaires – par exemple des légumineuses ou des céréales – pour les humains plutôt que des aliments pour les animaux, on peut produire beaucoup plus de calories par hectare. En revanche, les prairies et les pâturages de Suisse conviennent à la production de viande et de lait, basée sur les herbages.

Franziska Herren

Cette coach de fitness, qui possède son propre studio, est mère de deux enfants adultes. Elle a récolté presque seule les plus de 100 000 signatures pour l’initiative sur l’eau potable, rejetée dans les urnes en 2021. Lors de la campagne de votation, elle a été menacée, insultée, et a parfois eu besoin d’une protection personnelle.

Olivia Pulver

- Les aliments végétaux sont en plein essor. Votre initiative est-elle nécessaire?
- Oui, absolument! Plus de 60% de la population se nourrit déjà de manière flexitarienne et mange moins d’aliments d’origine animale. Or les matières premières pour ce marché en croissance des aliments végétaux sont presque toutes importées. Cela est dû à la politique de subventions. La production et la consommation d’aliments d’origine animale sont massivement privilégiées par rapport aux aliments d’origine végétale. Il en résulte qu’une saucisse végétale, dont la production nécessite moins d’eau et de terre, coûte jusqu’à 1,5 fois plus cher qu’une saucisse animale. 

- Vous exigez un virage?
- Oui, la politique agricole et de subventions est irresponsable. Elle empêche le changement nécessaire vers une production et une alimentation durables, respectueuses du climat et de l’environnement, comme l’exige aussi la science.

- Nos écosystèmes et notre eau…
- … sont nos plus grands trésors. Et ce, de manière totalement gratuite. Nous devons cesser de les détruire avec l’argent de nos impôts. Dans la lutte contre le changement climatique, ni les pesticides ni les engrais chimiques ne nous sont utiles. Il faut un changement de mentalité dans la politique. Il faudrait montrer ouvertement et honnêtement à la population comment la viande et le poulet suisses sont produits. Mais la publicité reste muette sur les conséquences pour l’environnement et la santé de l’utilisation d’antibiotiques et d’aliments importés pour l’élevage suisse d’animaux de rente.

- Pouvez-vous être plus concrète?
- Dans la production suisse de poulets et d’œufs, l’utilisation d’antibiotiques a plus que doublé entre 2020 et 2021. De nombreux animaux sont même traités avec des antibiotiques de réserve, car les antibiotiques traditionnels ne sont plus efficaces. Cela conduit à un nombre croissant de bactéries résistantes qui, selon la Commission fédérale d’experts pour la sécurité biologique, constituent la plus grande menace pour la santé publique. Depuis mon enfance, je connais le bio et je sais que les plantes n’ont pas besoin de pesticides. Au contraire, nous empoisonnons ainsi les abeilles, les insectes ainsi que les plantes et les légumes. Mais on continue à dire aux gens que l’on ne peut pas se passer de pesticides et que tout deviendrait plus cher. En réalité, nous payons des quantités énormes pour la destruction de l’environnement, qui n’est pas prise en compte dans le prix des produits.

- Vous aviez l’habitude de ramasser des vers de terre...
- C’était à l’école, à Münsingen (BE), après les orages d’été. A vélo, je devais faire attention à ne pas avaler d’insectes. Aujourd’hui, on ne voit presque plus de vers de terre, et plus aucun pare-brise n’est rempli d’insectes. Même les papillons ne volent presque plus. Cela montre l’influence de la politique agricole sur la biodiversité.

- La situation est-elle différente par rapport à l’initiative sur l’eau potable?
- Oui, personne ne peut nier aujourd’hui le changement climatique. Avec la chaleur et la pénurie d’eau dans beaucoup de régions et de pays, il est bien là. Là où l’eau manque, les denrées alimentaires font défaut. Le covid et la guerre en Ukraine ont montré qu’il est important de disposer d’un approvisionnement alimentaire national élevé. Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de réactions malveillantes à cette nouvelle initiative. De plus en plus d’agriculteurs voient que le changement climatique ne peut être maîtrisé que par une production écologique. C’est une nouveauté pour nous tous. Ni la population ni le secteur agroalimentaire n’ont été suffisamment préparés au fait que l’eau peut devenir une denrée rare, même dans le château d’eau de l’Europe.

Franziska Herren

«Jusqu’à présent, je n’ai pas eu de réactions malveillantes», assure Franziska Herren avant de commencer la collecte des signatures.

Olivia Pulver

- Qu’est-ce qui vous motive?
- Cela vient de l’intérieur. Tout ce dont nous avons besoin pour vivre est à notre disposition gratuitement, la nature nous le donne. Il nous suffit de travailler avec elle plutôt que contre elle. Je me demande souvent pourquoi nous ne faisons pas plus pour arriver à la paix. Enfant déjà, je n’ai jamais compris pourquoi je devais tout apprendre sur chaque guerre. J’aurais préféré apprendre comment construire la paix. 

- Dans votre appartement, il y a partout de petits papiers avec des mots comme «L'art de vivre est l’art de laisser tomber»...
- C’est important pour moi. Je m’entraîne régulièrement afin de rester centrée lorsque les choses ne vont pas. Je me demande toujours: «De quoi ai-je besoin dans ma vie?» De peu de choses, si l’on reste concentré. Deux jours sans eau, et tout l’argent du monde devient secondaire. Aujourd’hui, il est devenu presque normal de détruire notre environnement, de polluer notre eau potable et de devoir payer plus pour des produits écologiques que pour des produits qui détruisent l’environnement. Repenser nos normes me semble important. Mes projets sont le fruit d’expériences. Je n’ai jamais de «business plan». Tout ce que je fais vient de l’intérieur. Je ressens un sentiment d’énorme urgence et je mets en œuvre les projets, sans tout savoir faire. Ce n’est pas toujours facile, il y a des nuits où je reste éveillée en pensant que je n’y arriverai jamais. Mais le lendemain, une porte s’ouvre et apporte des possibilités. Je sais que je suis sur la bonne voie.

Par Max Fischer publié le 6 juin 2023 - 09:35