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Stars romandes de la BD

Frederik Peeters: «L’ennemi, c’est l’ennui, ou disons la répétition»

Ils et elles ne sont pas forcément connus du grand public. Mais la Suisse romande peut être fière de ces bédéistes qui, à l’instar du Genevois Frederik Peeters, portent haut les couleurs du neuvième art.

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Frederik Peeters n’aime pas poser, ni, «par superstition», ouvrir son atelier, chez lui à Genève, aux curieux.  Mais il a bien voulu faire une exception.

Il y a Zep, hors concours. Et puis, il y a Frederik Peeters, l’autre Romand qui vit de ses albums et dont la figure règne sur le paysage romand et au-delà depuis vingt ans et la sensation «Pilules bleues», Prix Töpffer de la jeune bande dessinée en 2001. Depuis la parution de ce récit autobiographique en noir et blanc, sur la rencontre de l’auteur avec Cati et son fils, séropositifs, le Genevois aujourd’hui âgé de 46 ans enchaîne albums et romans graphiques à un rythme soutenu, remportant systématiquement l’assentiment d’une critique dithyrambique. C’est de nouveau chez Atrabile qu’il a publié, en janvier dernier, «Oleg»*. Réflexion foisonnante sur le travail, l’imaginaire et le quotidien du bédéiste. De nouveau, la critique a adoré.

«Je suis conscient que je vends des livres dans le monde entier», minimise l’homme de 46 ans lorsque nous le rencontrons. «Très tôt, cela a été mon objectif, pouvoir en vivre. Pour être libre. Et pour gagner cette liberté, il fallait travailler la technique.» La technique, certes, la maîtrise du trait. Mais l’homme est aussi, surtout, connu pour son regard singulier, à l’ironie désabusée, sur la condition humaine, et une réflexion en mouvement constant sur la société contemporaine.

Les lecteurs s’étaient peut-être attachés aux personnages de «Pilules bleues», mais pas question de donner de leurs nouvelles vingt ans plus tard. «En dédicace, on me demandait des nouvelles de ma famille. C’est si impudique…» Avec «Oleg», il a voulu interroger «ce que signifie être auteur de BD à l’ère de Netflix, de cette production de fictions exponentielles». Face à la pléthore d’offres, il utilise «la technique des barils jaunes: on voit ce qui remonte à la surface. «Game of Thrones», je l’ai regardée à cause de la hype, comme j’ai lu «Dune» à cause du film (initialement prévue fin 2020, la sortie a été reportée à octobre 2021, ndlr).»

Frederik Peeters

A droite, la reproduction d’un de ses personnages, offerte par une fan.

Blaise Kormann

«Je suis travaillé par cette tension autour de l’autofiction, poursuit-il. Le monde occidental s’abîme dans une zone grise qui mêle fiction et réalité. Vous allez à New York, vous sortez du métro et vous vous pensez dans un film. Ou vous partez au Japon voir les forêts ancestrales pour retrouver [le film d’animation] Totoro.» Un brouillage qui l’inquiète, avec en arrière-fond l’angoisse existentielle du réchauffement climatique, thématisée par des planches postapocalyptiques de couleurs dans «Saccage» (Atrabile, 2019). Ce mélange des genres, «c’est une forme d’anesthésie, avance-t-il, car c’est douloureux d’être adulte. Même si j’en joue aussi dans "Oleg".» Il sourit. «Bon, je fais un peu vieux con, là, non? D’autant que j’aurais de la peine à me proclamer adulte responsable, quand je passe des heures en transe à dessiner!»

Le dessin, justement. «Ça m’éclate, tout simplement. Je m’amuse autant, voire plus qu’au début, car j’ai le savoir-faire. Quand ça marche, je l’entends au bruit des outils sur le papier.» «L’ennemi, c’est l’ennui, reprend-il. Ou disons la répétition. Ce que je fabrique, en fait, c’est du rythme.» A chaque fois, il essaie de faire en sorte que le prochain ouvrage soit radicalement différent du précédent. Ces temps-ci, il travaille, avec l’écrivain et scénariste français Serge Lehman, sur un Saint-Elme dont le premier tome est prévu cet automne chez Delcourt. «Alors que dans la fiction, la pop culture, l’univers des super-héros, le Japon et les Etats-Unis dominent, l’Europe est inexistante. Nous voulons rendre iconiques les paysages européens. On peut faire du «Twin Peaks» à Besançon!»

Frederik Peeters

Frederik Peeters a publié sa première BD en 1997. Et continue d’adorer dessiner, plus que jamais.

Blaise Kormann

Il se voit vieillir avec son lectorat, persuadé que la bande dessinée va «se vinyliser». «C’est un truc underground, de niche, insiste-t-il. Et puis, c’est comme le rock. Dès que tu as un musée de rock ou de BD, c’est que c’est mort.» Devant notre air effaré, il sourit. «Est-ce vraiment si grave? Je ne sais pas.»

>> * Dernier ouvrage paru: «Oleg», Ed. Atrabile, 2021.

>> Voir le site de Frederik Peeters: https://frederikpeeters.tumblr.com/

Par Albertine Bourget publié le 3 juin 2021 - 08:15