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Tout un roman

Gilles Paris, père de huit livres, auteur de 148 enfants

L’auteur d’«Autobiographie d’une Courgette» a fait d’innombrables boulots. A 20 ans, il donnait son sperme. En douze ans, il aura permis la naissance de 148 enfants.

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Gilles Paris.

Didier Gaillard-Hohlweg

«En 1979, j’ai 20 ans et je cumule les petits jobs. De serveur dans un bar gay du Marais à garçon de bureau au journal Le Monde; j’ai testé des médicaments, entre autres, contre les ulcères. Cette activité de cobaye était rémunérée 4000 francs français de l’époque (670 francs suisses d’aujourd’hui, ndlr). Ça m’aidait à payer le loyer de mon petit studio, à vivre mon indépendance, à sortir la nuit et à dépenser. C’est mon éternel côté cigale. J’ai aussi bossé en usine et j’ai été manutentionnaire dans une grande surface dès 5 h du matin. Un jour, un ami étudiant en médecine me met sur la piste d’un job inhabituel: le don de sperme. Il n’y avait alors, en France, aucune loi encadrant cette activité. Les banques de sperme existaient, les couples y déposaient un dossier en vue d’une insémination artificielle, mais l’attente, jusqu’à deux ans, était longue. Pour accélérer les choses, il y avait les «donneurs sauvages». Il suffisait de se rendre dans un cabinet gynécologique, à heure fixe, trois fois par semaine. A mon âge, gagner entre 350 à 450 francs (58 à 75 francs suisses, ndlr) par rendez-vous était ludique et rémunérateur. J’ai fait ça librement, de façon insouciante. En 1980, au début des années sida, la peur qui régnait a entraîné un changement radical. Un seul cabinet a continué jusqu’en 1992; il testait systématiquement les donneurs. Je m’y suis rendu jusqu’à l’âge de 32 ans. J’ai totalisé douze ans de dons ininterrompus. Des dizaines d’enfants – 148 m’a-t-on dit un jour – sont nés ainsi. Parfois, c’était à la demande d’une femme en accord avec son mari et parfois, aussi, sans le révéler à son conjoint. Il y avait des couples féminins ou une femme, lorsqu’elle souhaitait faire un bébé toute seule. Je ne suis en rien leur père. Ils ne sont pas des enfants nés de l’amour.

A l’époque, il n’existait pas de traçage informatique, les dossiers n’ont pas été conservés, nous étions classés sous la lettre «S», comme sperme. Dans le contexte des années 1980, libres et permissives, tout cela était normal. Aujourd’hui, et je le comprends, cela peut choquer. Moi, je n’étais qu’un gamin qui travaillait sans rechigner. J’acceptais tout. Je n’ai jamais autant appris de toute mon existence. Ces boulots différents – une trentaine – ont été mon socle. Ils ont fait l’homme que je suis aujourd’hui. L’empathie du regard que je porte sur les autres me vient de là. J’avais eu mon bac de justesse. Je devais bosser pour payer mes factures.

Ai-je eu des enfants moi-même? J’ai failli devenir papa à 20 ans, mais la jeune fille, restée une amie, a avorté. Je n’ai, finalement, jamais connu la paternité. Mes enfants sont mes livres; je les élève les uns après les autres. J’en ai écrit huit. En 1991, quand sort le premier, «Papa et maman sont morts», je travaille dans l’édition depuis cinq ans. «Autobiographie d’une Courgette» a paru en 2002. Il a inspiré, en 2016, le superbe film d’animation du Suisse Claude Barras (deux Césars, une nomination aux Oscars, ndlr). Moi-même, j’ai été un enfant plutôt solitaire, en proie aux violences de mon père. Un jour, il m’a cassé la gueule en me disant que «j’étais une m…» et que «je ne ferai jamais rien de ma vie». Il m’a laissé par terre, inanimé. Par la suite, j’ai connu huit dépressions en trente ans. Je les raconte dans «Certains cœurs lâchent pour trois fois rien» (2021, Ed. Flammarion). Ce ne sont pas les épreuves qui comptent, mais ce que l’on en fait. A la fin, je me suis toujours relevé.»

>> Gilles Paris fera un Insta Live avec les Fnac suisses le 25 mars entre 17h30 et 18h.


Le dernier récit de Gilles Paris
«Chaque fois que la dépression me reprend, je suis surpris. Il n’y en a pas deux semblables. Elles surviennent lorsque je termine un livre. Il faut savoir y résister, apprendre à apaiser ses colères et à grandir. C’est une leçon de vie que je partage, sans fard, pour la toute première fois. C’est ma vie…»

Par Didier Dana publié le 10 mars 2021 - 08:30