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Guillaume Dutoit, le plongeur qui a de la profondeur

Le meilleur plongeur du pays s’entraîne chaque jour sans gagner la moindre prime. Cinquante-six fois champion de Suisse, ce Vaudois attachant raconte une discipline où se mêlent grâce, technique, haut niveau athlétique. Et courage.

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Sedrik Nemeth

Les tapis sont bleus, le plongeoir vert, la lumière éblouissante à travers la baie vitrée. Ce matin-là, Guillaume Dutoit s’entraîne seul avec son coach dans un angle de la piscine de Mon-Repos, à Lausanne, à deux brasses d’une classe enfantine qui gazouille.

Il s’échauffe, il lève les bras. Avant d’entrer le début d’un orteil dans le bassin, la préparation dure près d’une heure, tant ce sport est exigeant. «Il comporte une dimension artistique tout en ressemblant à la gymnastique, glisse le plongeur, on doit se tordre dans tous les sens, il faut de l’explosivité et ne pas ressentir la peur. C’est un aspect qu’on oublie. Il n’est pas si simple de se retrouver à 3 mètres de haut, de lancer une rotation extrême sans savoir forcément où on se situe, avec le risque de se perdre dans l’air, de se faire mal.»

>> Découvrez le portrait en vidéo de Guillaume Dutoit:

Vidéo

Guillaume Dutoit, 23 ans et 56 fois champion de Suisse

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56 fois auréolé du titre de champion de Suisse de plongeon, Guillaume Dutoit possède, à 23 ans, un immense palmarès. Bourreau de travail, le plongeur du Gros-de-Vaud s’entraîne 25 heures par semaine sans gagner la moindre prime. Mais avec un rêve: une participation aux Jeux olympiques de Tokyo 2020. Johan Perruchoud

Il préfère le moment du vol à l’élément liquide. Avoue même en souriant qu’il ne se sent pas «100% en sécurité dans l’eau». Plus jeune, il avait la phobie du large, il n’aime pas plonger dans des eaux profondes. Au bord de l’océan, il préfère le rivage.

La peur, il n’a pourtant pas l’air de l’éprouver. A 23 ans, ce garçon qui a grandi à Vuarrens, dans le Gros-de-Vaud, dégage une douceur et une maîtrise de lui qui lui donnent un air de belle maturité. Champion de Suisse un nombre de fois astronomique (56!), il s’entraîne ainsi chaque jour à deux reprises pendant deux heures et demie, tout en préparant un brevet fédéral de masseur médical et en travaillant dans un fitness.

Exaltation

Le moment le plus exalté de son existence survient quand il saute. C’est une irruption dans un univers à la «Inception». «La préparation a lieu au ralenti, puis le saut lui-même se passe en un claquement de doigts. Avant, je me suis passé un film, je me suis représenté tout ce qui va se produire.» S’il compare, il se trouve dans la situation du tireur avant un penalty ou, mieux, du parachutiste sur le point de s’élancer de l’avion.

Puis il revient à la réalité, parfois brutale. Il a l’âge où on brûle de sortir, de goûter à une vie sociale échevelée. Lui s’en prive souvent, avec les 25 heures d’entraînement hebdomadaires qu’il s’impose. «Cela dit, si je "vis plongeon", j’ai aussi une existence à côté, une compagne, des amis.» Il aime par exemple manger et cuisiner. Ses raviolis, il les bichonne jusqu’à confectionner la pâte lui-même, pendant des heures. Il a aussi besoin de musique: «J’écoute de tout, j’aime l’idée de m’ouvrir à tous les types. Même si la base reste la techno, une électro plutôt méditative.» C’est elle qui emplit son casque audio pendant les compétitions.

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Guillaume est spécialiste des tremplins de 1 et de 3 mètres. Comme les autres plongeurs, il doit réaliser 6 groupes de plongeons différents lors des compétitions.

Keystone

Peu d'argent

Dans son sport, si l’eau coule à flots, l’argent gagné n’existe pas. Pour une saison dont le budget total approche les 45'000 francs, Guillaume Dutoit ne touche rien, ou presque. «J’ai reçu une fois une prime de 100 euros, lors d’un Grand Prix. Et j’ai dû partager avec ma partenaire, il s’agissait d’une épreuve mixte...» Quelques soutiens lui permettent de garder la tête légèrement hors de l’eau: l’association Cookie, l’Aide sportive, le canton de Vaud, la Loterie Romande. Sa motivation, il la puise aussi dans l’esprit de famille au sein de son club, le Lausanne-Natation: «Je suis seul sur la planche, mais tout un environnement me porte.»

Au niveau sportif, il n’arrête pas de progresser. Elu meilleur sportif vaudois 2018, il a osé passer neuf mois en Chine en 2015. Avec sa coéquipière Jessica Favre, ils ont été les premiers non-Chinois à s’entraîner avec les cadres du pays qui règne sur le plongeon. En 2018, épatant, il est devenu le premier Suisse depuis vingt ans à se qualifier pour une finale de Coupe du monde. En mai 2019, il vient d’avoir l’honneur redoutable de participer aux World Series, à Kazan (Russie), avec les meilleurs du monde.

Crève-coeur

Devant lui se profilent les Jeux olympiques. En 2016, il n’avait pas été sélectionné, un crève-cœur. «J’en rêvais, ils représentaient tout pour moi. J’ai eu une phase difficile ensuite. J’ai dû beaucoup travailler sur moi-même.» Cette fois-ci, la qualification va être rude, il le sait. D’ici à Tokyo, il a trois possibilités. La dernière occasion, en avril 2020, consiste à figurer parmi les 18 premiers à la Coupe du monde. Elle semble la plus réalisable.

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Guillaume Dutoit à la piscine de Mon-Repos, à Lausanne. Sa taille et son poids, 170 cm pour 60 kilos, constituent un avantage pour les rotations.

Sedrik Nemeth

A distance, discrets mais présents, ses proches veillent. Ses deux frères aînés, Samuel et Frédéric, ont aussi tâté du plongeon. Ce dernier envoie toujours un message aussi affectueux qu’ironique à Guillaume après ses concours. «Je trouve important que mon frère sache qu’on est là», dit-il. Son père, Jean-Luc, parle avec émotion de ce rôle de parent de sportif d’élite où se mêlent «l’inquiétude, la confiance, la passion. Avec le souci de ne pas briser le rêve de base, sans savoir si l’aventure durera.»

Parcours du combattant

Quant à sa mère, Sylviane, touchante, elle préfère poser par écrit ce qu’elle a envie de dire à son fils: «Je suis profondément admirative de ce que fait Guillaume, de ses grandes capacités sportives, de tous ses résultats. Mais ce qui me rend le plus heureuse, c’est l’homme qu’il est devenu à travers ce parcours du combattant. Il sait rester humble, heureux de ses réussites, apprenant de ses échecs. Toujours positif, attentif à l’autre. C’est une belle personne, et je pense que cette expérience sportive, quels que soient ses résultats futurs, le portera sa vie durant.»

A Mon-Repos, l’entraînement continue. Pendant l’instant qu’il passe en l’air, pointes des pieds et jambes tendues, le plongeur a une attitude de danseur, un art qu’il a pratiqué plus jeune. Un éclair de grâce et plouf, c’est déjà terminé.


Guillaume Dutoit en 3 dates

- 1996: naissance de Guillaume le 18 janvier. C'est en accompagnant ses frères au plongeon qu'il attrape le virus.

- 2007: premiers titres nationaux, aux tremplins de 1 et de 3 mètres; 54 suivront.

- 2018: premier Suisse qualifié pour une finale mondiale depuis 1999.


 

Par Marc David publié le 15 mai 2019 - 08:33, modifié 18 janvier 2021 - 21:15