1. Home
  2. Actu
  3. Guillermo Fernandez: «Je m’attendais à me faire cracher dessus par la moitié des passants»

Climat

Guillermo Fernandez: «Je m’attendais à me faire cracher dessus par la moitié des passants»

Ses trente-neuf jours de grève de la faim sur la place Fédérale ont rendu célèbre Guillermo Fernandez dans toute la Suisse, et même au-delà. Qui est vraiment cet activiste solitaire du climat et comment compte-t-il prolonger son action en 2022?

Partager

Conserver

Partager cet article

Guillermo Fernandez

La sincérité totale de son désespoir à l’origine de sa grève de la faim n’empêche pas Guillermo Fernandez d’entretenir une saine autodérision. L’activiste autodidacte a ainsi accepté de bon cœur de poser devant un unique petit pois à la demande de notre photographe.

Darrin Vanselow

Une grève de la faim pour faire pression sur les autorités fédérales au sujet du dossier climatique… Pas très helvétique, un tel chantage au suicide. Quand la nouvelle de cette opération commando tombe le 1er novembre dernier, personne n’imaginait que Guillermo Fernandez, un Fribourgeois de 47 ans, père de trois enfants, allait réussir son coup: obtenir l’engagement officiel que les parlementaires fédéraux bénéficieraient enfin d’une présentation approfondie des dossiers climat et biodiversité par des scientifiques suisses, notamment par les auteurs suisses du dernier rapport du GIEC. Ce sera fait le 2 mai prochain. Mieux: on parle même de deux séances à Berne, et certains parlements cantonaux seraient intéressés, ainsi que des écoles dans tout le pays.

- Monsieur Fernandez, comment expliquez-vous qu’un citoyen lambda, usant d’un moyen de pression peu conventionnel et même étiqueté discutable comme la grève de la faim, ait réussi à convaincre les institutions fédérales?
- Guillermo Fernandez: Pour des raisons que je n’arrive pas à m’expliquer, je me suis dit que ma démarche avait des chances de réussir justement parce que c’était moi: un bon Suisse normal, avec un salaire normal, une maison normale. Contrairement à d’autres grèves de la faim en Suisse dont on n’entend même pas parler, ma «normalité» était un atout.

- Et vous avez eu raison de le penser. Votre «normalité» est-elle intacte maintenant que vous êtes devenu célèbre et après votre succès spectaculaire?
- J’ai déjà dit à toute mon équipe, qui s’est formée spontanément et progressivement durant mon action sur la place Fédérale, que, si je devenais un vieux con narcissique, il faudrait me taper sur l’épaule et me virer tout de suite. Je veux mener ce combat sérieusement et collectivement mais sans me prendre pour un gourou.
 

Guillermo Fernandez

Le 13 novembre, la sénatrice verte neuchâteloise Céline Vara («une grande dame», dixit Guillermo Fernandez) venait soutenir le gréviste de la faim sur la place Fédérale.

Francois Glories/Maxppp/Keystone

- Et pourtant pour faire ce que vous avez fait, pour vous être exposé publiquement de la sorte, il fallait un certain ego, non?
- Je crois que c’est l’inverse qui est vrai. Le plus gros sacrifice de l’aventure, c’était de m’exposer sur cette grande place avec une pancarte ridicule. Je suis quelqu’un de plutôt timide en fait. Surmonter mon inhibition naturelle pour m’asseoir sur une chaise sur la place Fédérale, ce fut un combat contre moi-même. Ce premier jour a été dur.

Et ensuite on se prend au jeu?
- Ce qui m’a donné du courage, c’est l’accueil général. Je m’attendais à me faire cracher dessus par la moitié des gens, mais j’ai constaté que les passants étaient au contraire très bienveillants à mon égard. Même la police. Je m’attendais à me faire arrêter ou expulser. Les agents m’ont d’ailleurs tout de suite demandé si j’avais une autorisation de manifester. Je leur ai répondu que je n’en avais bien sûr pas. Mais au lieu de sévir, ils m’ont ensuite demandé si j’avais un certificat de vaccination. C’était le cas et je le leur ai présenté. Et là, les policiers se sont exclamés: «Ah bon, vous n’êtes pas un antivax!» J’étais quelqu’un de respectable à leurs yeux. Tout cela m’a rapidement réconforté.

- Et les premiers échanges avec des passants?
- Il y avait plusieurs personnes dans ma situation: des parents qui ont peur pour l’avenir de leurs enfants. Certains venaient vers moi en pleurant. J’étais au fond l’incarnation publique de leur angoisse, de leur révolte. Et le fait de partager cela nous a, je crois, redonné un peu d’espoir.

- Puis c’est au tour des médias de venir vous voir.
- Oui et ça a commencé sérieusement avec TeleBärn, la chaîne locale, que je n’imaginais pas être aussi regardée. Après la diffusion de leur premier sujet sur moi, tout Berne me connaissait. Des grands-mamans venaient me dire qu’elles m’avaient vu à l’écran. On m’amenait des couvertures. J’ai parlé avec 30 à 40 personnes par jour finalement, donc près d’un millier de personnes en tout. Je n’ai comptabilisé que 13 interactions hostiles. La police elle-même a été très positive avec moi, notamment en dégageant un individu qui voulait me forcer à manger des frites.

- Sentiez-vous, sur la place Fédérale et le soir dans votre piaule bernoise, que votre très improbable action solitaire commençait à prendre une dimension nationale?
- Je dirais qu’une étape a été franchie quand des visiteurs, des classes d’école, des groupes de jeunes venaient à Berne juste pour me voir et échanger. Mais c’était terrifiant parfois. Il y avait une classe dont une fille est venue vers moi après notre discussion collective pour me dire que mes propres enfants avaient une chance énorme de m’avoir comme père. J’étais pourtant très clairement parti pour mourir si ça ne marchait pas. J’étais bouleversé qu’une adolescente puisse être angoissée à ce point pour dire cela.

- Faisons le tour de l’échiquier politique au travers des parlementaires qui sont venus vous rendre visite au fil de vos cinq semaines de grève de la faim. Lesquels sont venus les premiers?
- Je tiens d’abord à préciser que, dans mon amateurisme, je ne m’étais même pas rendu compte que mon action aurait lieu en même temps que la séance parlementaire d’hiver. Je voulais seulement me coordonner avec la COP26 de Glasgow! Les premiers à venir discuter avec moi, ce sont des membres de l’UDC. Mais c’est grâce à un ancien collègue chez l’opérateur téléphonique Orange, Jérôme Desmeules, coprésident de l’UDC Valais. Nous nous sommes toujours beaucoup appréciés et respectés. Quand il a su que j’allais faire ça, il a ramené tous les UDC. Et j’ai pu vérifier que ce parti comporte au fond une panoplie de sensibilités très différentes. Ils sont beaucoup moins monoblocs que je ne le pensais.

- Mais plutôt hostiles face à votre démarche quand même?
- C’est plus complexe que ça: certains m’ont franchement fait peur en étant carrément survivalistes. Ils savent parfaitement qu’on va dans le mur et se sont donc équipés de flingues et de boîtes de conserve en prévision de l’effondrement de nos sociétés. D’autres, comme le conseiller national bernois Manfred Bühler, étaient très intéressants. Ce dernier m’a par exemple dit qu’il fallait réformer en profondeur l’enseignement pour s’adapter à un monde dont les besoins allaient complètement changer. En revanche, Albert Rösti a été très hostile à mon égard. Reste que c’est pratiquement la seule formation politique où des hommes sont venus véritablement échanger avec moi. Dans les autres partis, ce n’était pratiquement que des femmes, visiblement bien plus ouvertes et concernées par la menace climatique.

- Le PLR?
- Presque aucun contact réel avec le PLR à part en coup de vent, comme le Genevois Christian Lüscher qui m’a souhaité à trois reprises bonne chance en passant, ce qui était sympa. Seule la sénatrice fribourgeoise Johanna Gapany est venue me voir, ainsi que le sénateur zougois Michel Matthias. Mais le PLR est décidément prisonnier de sa religion ultralibérale, selon laquelle tous les problèmes se résolvent spontanément.
 

Guillermo Fernandez

C’est dans le bureau de sa maison de Morlon (FR) que l’informaticien a pris la décision d’entreprendre son action radicale. Le 9 août dernier, c’est la lecture du dernier rapport du GIEC, plus alarmant que les précédents, qui l’avait convaincu de bousculer le système politique suisse.

Darrin Vanselow

- Le Centre?
- Le Centre, c’est intéressant. Les dames du Centre sont venues me voir à plusieurs par affinité avec mes préoccupations de parent.

- Et enfin la gauche?
- Monsieur Sommaruga est passé. Et puis la sénatrice neuchâteloise verte Céline Vara, une grande dame, a beaucoup œuvré pour trouver une solution.

>> Lire aussi: Céline Vara, engagée par nature

- Vous leur faisiez peur, aux politiciens? Ils se sentaient démunis sur la manière de gérer cet original venu faire pression sur eux?
- Je ne sais pas. En tout cas, ceux qui sont venus me saluer et dialoguer n’éprouvaient aucune gêne particulière. Un d’eux, que je ne nommerai pas pour éviter de lui causer des ennuis avec son parti, est passé en me disant: «Tu as quand même foutu une belle merde! Mais bravo! Bien joué!»

- C’était qui?
- Non, non, je ne vendrai pas la mèche. Cela ne lui rendrait pas service.

- Un UDC?
- Non.

- Un PLR?
- Peut-être. Mais arrêtez, je n’en dirai pas plus! (Eclats de rire.)

- Votre discrétion permet de vérifier que vous avez une certaine éthique.
- J’essaie. C’est important d’avoir de l’intégrité dans ce genre d’aventure. C’est ce que je demande à nos représentants à Berne. Donc, je me dois aussi d’être le plus honnête possible.

>> Lire aussi: Ne regardez pas de haut Guillermo (éditorial)

- Et puis vous avez bien sûr eu la visite de Mme Sommaruga, chargée de l’Environnement.
- Oui, je lui en suis reconnaissant, même si cette rencontre n’a rien donné et que je pensais à l’issue de celle-ci qu’il ne me restait plus qu’à mourir de faim. Mais j’étais très content de rencontrer Mme Sommaruga, car c’est bien l’exécutif, le Conseil fédéral, qui était ma cible prioritaire, pas le pouvoir législatif. Car, dans ma représentation du péril climatique, la responsabilité de produire l’indispensable information scientifique repose sur l’exécutif et non pas sur le parlement. C’était donc à Mme Sommaruga de faire cela. Elle a des rapports de ses offices fédéraux très précis et alarmants, ainsi que des rapports internes confidentiels encore plus inquiétants. Mais l’information qu’elle diffuse est scandaleusement édulcorée et non conforme à la réalité. Un exemple, le rapport «CH2018 Technical Report», qui est public. Il indique que le Tessin connaîtra, dans soixante ans, 45 jours de canicule par été avec un glissement des maxima de 4,9°C à 9°C! Et cela donne comme message fédéral: ««Nonna» Lucia n’arrive pas à dormir car il fait toujours plus chaud»! C’est de l’infantilisation grotesque, scandaleuse, inacceptable! On transforme un danger mortel en une simple nuisance. En un mot: on a des rapports scientifiques excellents, mais la population n’est pas informée.

- Question mesquine: vous n’avez vraiment rien mangé durant ces trente-neuf jours?
- J’ai ingurgité de l’eau de cuisson de brocolis, des pastilles de vitamines de la Migros et bu trois ou quatre litres de thé salé par jour. On a soif tout le temps pendant une grève de la faim.

- Un peu de glucose quand même?
- Le médecin m’avait dit surtout pas de glucose. Après trois jours, le corps a consommé tout son sucre. Il ne faut surtout pas en reprendre, car on risque alors une crise d’hyperglycémie. D’ailleurs, un jour, dans l’eau de cuisson de brocolis, quelqu’un avait mis une patate. Et les glucides de celle-ci m’ont fait me sentir très mal.

- Comment allez-vous prolonger votre action en 2022?
- J’ai dédié ma vie à ma tentative de permettre à mes enfants et aux enfants en général de vivre un futur pas désespérant, un avenir difficile mais pas désespérant. Dans l’immédiat, ma seule certitude, c’est que je roule déjà avec ces équipes qui se sont organisées spontanément lors de ma grève. Ni la forme ni l’objectif ne sont encore arrêtés. Nous discutons actuellement avec d’autres organisations pour accorder nos violons.

- Votre collectif, ce sera une organisation écoclimatique de plus ou bien un organisme différent, nouveau, avec des méthodes originales?
- Ces gens qui se sont retrouvés autour de mon aventure n’étaient pas militants, comme moi d’ailleurs. Ce sont souvent, simplement, des parents. Nous voulons éviter que nos enfants doivent tuer leurs voisins pour survivre quand la nourriture que pourra produire une planète surchauffée ne sera plus suffisante pour tout le monde. Il s’agit de dessiner des solutions pour aborder ces horizons difficiles avec de l’espoir et non le seul désespoir qui m’était tombé dessus le 9 août dernier, jour anniversaire de ma fille cadette, quand j’avais lu le dernier rapport du GIEC, rapport dans lequel il était clair que notre inertie collective nous menait vers un monde invivable à court terme.

- Que retenez-vous sur le plan humain de votre aventure?
- J’ai rencontré de très nombreuses personnes qui m’ont convaincu qu’il est possible d’inventer un monde agréable malgré les conditions de vie très difficiles qui nous attendent. Ces rencontres m’ont redonné de l’espoir.

- Une deuxième grève de la faim reste une option?
- Non, j’ai promis à ma femme de ne plus en faire.

 

Par Philippe Clot publié le 13 janvier 2022 - 08:26