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Guy-Olivier Segond, dernier souffle

Hommage à Guy-Olivier Segond, ancien conseiller d’Etat radical par Alexis Favre, journaliste.

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©Eddy Mottaz

Quel est le point commun entre l’homme d’Etat que Genève a perdu jeudi et celui qui laissait, il y a très longtemps, un petit bonhomme de 11 ans grimper sur le toit de sa Lancia Delta sur une route de campagne? Le petit bonhomme, qui vous écrit, se pose la question depuis la mort de Guy-Olivier Segond.

Et à mesure que celles et ceux dont il a marqué l’existence saluent l’envergure envolée de l’ancien conseiller d’Etat radical, ancien maire et ancien beaucoup de choses, la réponse apparaît en creux dans le vide qu’il laisse, juste là, sur les pavés désertés de la Vieille-Ville, au cœur d’une Cité figée par la pandémie: le souffle.

Quand je l’ai connu, il me connaissait déjà. Ni parent ni parrain, mais un peu quand même. Ami de la famille. Pour nous, Guy-Olivier Segond, c’était Guy-Ol, avant d’être GOS. Et quand Guy-Ol était dans les parages, il allait se passer quelque chose de chouette. Un sirop grenadine avec André Chavanne après les promotions, derrière les barrières, pas peu fier. Le concert de Michael Jackson, à la Pontaise, quand il s’envole à la fin avec une fusée dans le dos (Michael Jackson, donc). Du rafting sur le Rhône. Ou alors Raymond Devos au Grand Casino, chez Jack Yfar, qui faisait un métier qui n’existe plus: imprésario.

Guy-Ol, c’était un peu l’oncle d’Amérique, avec des lunettes. Il arrivait, il nous embarquait, et on allait en prendre plein les yeux. Plein les oreilles aussi. Il allait nous faire rigoler, nous raconter des histoires, nous emmener quelque part et peut-être même nous présenter des gens importants. Bref, ce serait une journée pas comme les autres. Une journée qui passerait trop vite, comme dans un souffle. Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. Jeudi matin, un certain souffle est tombé.

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Alexis Favre, journaliste, producteur, présentateur de l’émission «Infrarouge» tous les mercredis sur RTS 1.

Le souffle qui porte les vivants, et les survivants plus encore. Le dossier médical de Guy-Olivier Segond était une encyclopédie, la chronique d’un combat permanent. Il aurait dû mourir 10 000 fois déjà, lui le meilleur client des HUG. Mais mourir, ce n’était pas son truc. Hypertrophie du conatus, aurait diagnostiqué Spinoza, s’il avait été médecin. Jusqu’à jeudi matin, rendre ce souffle hors du commun n’avait jamais figuré au programme. Alors puisqu’il a fallu s’y résoudre, c’est ici qu’il l’a rendu. Aux Hôpitaux universitaires de Genève, ses HUG, qui lui doivent d’exister et dont il reste la figure tutélaire. A la maison.

Le souffle qui emporte, aussi. Qui emporte la décision et déplace des montagnes. Appelons cela l’élan. Je l’entends m’en décrire le principe moteur un jour au téléphone, en peu de mots pour une fois, alors qu’il pérorait sur la timidité d’un ministre encore en place et dont les égards m’obligent à taire le nom. Le ministre en question consultait, tergiversait, tardait à livrer à l’adversité politique les contours d’une réforme explosive. «Ce n’est pas comme ça qu’on gouverne, asséna, amusé, l’Homo politicus, canal exécutif. Tu ne peux pas attendre d’avoir tout verrouillé, tout calculé, d’être sûr à 100% que ça va passer. Dès que tu sens que tu es à 51, tu y vas, et tu laisses le vent gonfler tes voiles!»

Sentir le monde, avoir une vision, se l’approprier, en faire un projet républicain, jauger les forces en présence, tordre quelques bras, construire une majorité, et laisser le souffle faire son œuvre. Les esprits les plus fins sont aussi les plus clairs. Et les plus efficaces. Petite enfance, aide sociale, trithérapies, soins à domicile, réforme hospitalière: d’autres vous diront mieux que moi comment cette mécanique a changé les choses et la vie des Genevois, sous le sceau de l’action publique. Quitte à tenir son protestantisme originel très loin des arbitrages budgétaires, et à fâcher les caciques orthodoxes du Parti libéral.

Pour le vieux parti des patriciens, avec qui il n’aura jamais fusionné, Guy-Olivier Segond avait toujours un mot gentil, d’ailleurs. «Tu vois, le problème des libéraux, c’est que depuis longtemps les vraies vieilles familles ont délégué les affaires publiques à leurs employés. C’est eux qu’ils envoient au Conseil d’Etat, ils n’y vont plus eux-mêmes…» Toutes mes excuses envers celles ou ceux qui se reconnaîtraient. Non, décidément, Guy-Olivier Segond ne manquait pas de souffle.

Nous pourrions en manquer, nous, si nous ne prenons pas garde à cultiver ce qu’il nous laisse, lui, l’homme d’Etat et l’oncle d’Amérique. Alors rêvons, osons, vivons, faisons et laissons le vent gonfler nos voiles. Il finira par se lever, vous verrez.


Par Alexis Favre publié le 17 novembre 2020 - 09:14, modifié 18 janvier 2021 - 21:16