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«Haïti aura encore besoin de nous pendant longtemps»

Cet Etat des Caraïbes ne connaît pas d’accalmie: dix ans après le violent tremblement de terre, une vague de protestation paralyse Haïti, pays démuni de tout. Markus Mader, directeur de la Croix-Rouge suisse (CRS), évoque le courage de sa population et les organisations débordées.

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Markus Mader: depuis 2008, cet homme originaire de Suisse orientale dirige la Croix-Rouge suisse. Auparavant, il travaillait pour le Village d’enfants Pestalozzi et était président d’honneur de la Croix-Rouge saint-galloise. Il a adopté deux enfants en Ethiopie. Kurt Reichenbach

- Markus Mader, depuis le tremblement de terre qui a eu lieu il y a dix ans, vous êtes allé plusieurs fois en Haïti. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué?
- L’ouverture, le côté chaleureux des gens. Et leur fierté.

- Comment cela?
- Après la catastrophe, je me suis rendu dans la capitale, Port-au-Prince. Partout, il y avait des tentes et des foyers pour les sans-abri. Et chaque matin à 7h30, on voyait sortir de ces misérables taudis des centaines d’enfants sur leur trente-et-un! Ils portaient des uniformes scolaires propres, des socquettes blanches à volants et étaient bien coiffés.

- La République dominicaine se trouve sur la même île. Comment expliquez-vous que ce pays se porte beaucoup mieux qu’Haïti des points de vue économique et touristique?
- On n’a pas déboisé la République dominicaine, contrairement à Haïti. C’est une différence fondamentale. La question de la durabilité se posait déjà à Haïti il y a deux siècles, et l’Europe est coupable de la manière dont on a alors orienté les choses.

- Et aujourd’hui?
- La situation du pays incombe principalement au gouvernement et aux élites. Nous sommes là pour aider la population.

- Depuis septembre, le peuple manifeste contre le président Jovenel Moïse. Les gens ont même bloqué les rues menant aux projets développés par la CRS. Soutenez-vous ces manifestations?
- Les conditions de vie sont très dures, on peut comprendre que les gens soient mécontents. Il est important qu’ils connaissent leurs droits et puissent les exercer.

- Vu d’ici, Haïti est avant tout synonyme de misère, il n’y a rien de commun avec la Suisse.
- On oublie vite les choses. Il y a un siècle, la mortalité infantile était la même chez nous qu’aujourd’hui en Haïti. Le développement prend du temps. Je suis sûr que nos efforts en valent la peine et que, d’ici à quelques décennies, en dépit de tous les revers, la situation des Haïtiens s’améliorera nettement. Mais on va encore avoir besoin de nous pendant longtemps.

- Impliquez-vous la population?
- En Haïti, pour deux de nos collaborateurs expatriés, 60 collaborateurs de la Croix-Rouge locale s’engagent dans nos projets. S’y ajoutent des centaines de volontaires formés. C’est donc surtout avec et grâce à la population locale que nous réalisons les choses.

- En Haïti, rien ne fonctionne vraiment bien. Comment faites-vous?
- Pendant six ans, j’ai été président de commune à Eggersriet, dans le canton de Saint-Gall. Je m’occupais notamment des sources d’eau souterraine, de la construction des routes et de l’électricité. En arrivant en Haïti, j’ai remarqué qu’ils faisaient la même chose que moi à l’époque.

- Eggersriet vous aurait donc préparé aux pires endroits du monde?
- Oui, en quelque sorte (il sourit). Je n’y aurais pas pensé sur le moment, mais maintenant, je m’en félicite.

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Au village de Morin, un groupe de femmes travaille à un projet de reboisement soutenu par la CRS. Florian Kopp

- Quelle influence le changement climatique a-t-il sur Haïti?
- Les tempêtes sont plus violentes et causent beaucoup de dégâts. Cependant, de moins en moins de gens meurent dans des catastrophes naturelles dans le monde, car la prévention s’est beaucoup améliorée. Cela montre à quel point notre travail – comme construire des habitations capables de résister aux tempêtes ou concevoir un dispositif d’alerte en cas de catastrophe – est important.

- En Haïti, où les catastrophes sont fréquentes, n’a-t-on pas pensé à ça?
- Pas vraiment. Un aspect important de notre action consiste par conséquent à construire des voies de fuite et à permettre aux habitants de s’entraîner aux évacuations. Mais beaucoup de gens ont du mal à abandonner leurs biens.

- Pourquoi?
- Par crainte des pillages. Ils n’aiment pas non plus laisser leurs animaux. La sensibilisation – rappeler que lorsque la cloche d’alerte sonne, c’est grave – est donc très importante.

- Les Haïtiens se battent pour survivre. Ne prennent-ils pas les exercices au sérieux?
- Si, du moins dans la région où nous sommes présents. Les avis de tempête deviennent de plus en plus précis, il y a beaucoup moins de fausses alarmes qu’auparavant. Cela aide.

- Quel rôle joue le vaudou en Haïti?
- Les habitations résistantes aux tempêtes sont pourvues d’une deuxième porte contre les mauvais esprits. Les Haïtiens mélangent leur foi profondément catholique avec leurs traditions vaudoues. Ces croyances les aident.

- Dans quelle mesure?
- Ils sont convaincus que, quoi qu’il arrive, ils s’en sortiront.

- Vous avez déjà voyagé dans beaucoup de pays pour la CRS. Est-ce en Haïti que cela va le plus mal?
- (Il réfléchit.) Non. Dans un pays chaud où il y a de l’eau, les gens sont fondamentalement plus heureux que là où cette ressource manque.

- La CRS est active en Haïti depuis dix ans. Quel bilan tirez-vous?
- Les Haïtiens ne se portent aujourd’hui pas plus mal qu’avant le tremblement de terre.

- Cela donne à réfléchir.
- Après une catastrophe, les gens mettent du temps à reprendre des forces. Ce serait pareil en Suisse. Le tremblement de terre a fait 230 000 morts, 1,6 million de sans-abris et il continue d’avoir un impact. Plusieurs administrations ont été complètement détruites. Les gens ne peuvent prouver ni quand ils sont nés, ni de quel bout de terrain ils sont propriétaires.

- Beaucoup d’organisations caritatives ainsi que l’ONU sont parties. Abandonne-t-on Haïti?
- Aujourd’hui, 5% des premières œuvres d’entraide arrivées sur place sont encore là. Se retirer peut avoir du sens, notamment en ce qui concerne les organisations non professionnelles qui sont venues rapidement et n’ont fait qu’aggraver la situation.

- Comment cela?
- Les petites organisations inexpérimentées, souvent d’inspiration religieuse, étaient débordées et manquaient généralement de nourriture pour elles-mêmes; il leur arrivait d’entraver l’aide. Celles qui, comme la CRS, étaient déjà présentes dans le pays avant le tremblement de terre ont le professionnalisme et l’élan nécessaires pour travailler avec la population et l’Etat sur le long terme.

- Quand les Haïtiens seront-ils capables de voler de leurs propres ailes?
- D’ici à deux ou trois générations. Les gens sont fiers d’avoir pu mieux résister au dernier gros ouragan qu’au tremblement de terre. Ils sont aujourd’hui plus résilients.


La Croix Rouge suisse en Haïti

Après le violent tremblement de terre en 2010, l’ouragan Matthew a dévasté Haïti en 2016. La CRS a contribué aux réparations, construisant 600 habitations résistantes aux tempêtes et concevant des systèmes d’alerte.

Elle sensibilise la population, lui apprenant les bases d’une nourriture saine et de l’hygiène, et l’aide à stabiliser les pentes.

>> Pour aider la Croix Rouge Suisse, vous pouvez faire des dons via:

- CCP: 30-9700-0
- IBAN: CH97 0900 0000 3000 9700 0
www.redcross.ch


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Par Lynn Scheurer publié le 14 janvier 2020 - 14:37, modifié 18 janvier 2021 - 21:07