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Hannah Schlaepfer: «J’aimerais créer une émission politique au ton décalé»

Hannah Schlaepfer n’a que 28 ans, elle dirige le bureau régional fribourgeois de la RTS-TV depuis un an et fait partie de l’équipe des présentateurs du TJ depuis trois ans. Avec sa voix rassurante, son look «tomboy» et sa maîtrise du métier, elle réussit à vulgariser les sujets les plus âpres de l’actualité. Elle a reçu «L’illustré» dans son lumineux appartement fribourgeois, autour d’un café et quelques douceurs italiennes.

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Hannah Schlaepfer

Hannah Schlaepfer va bientôt quitter son appartement lumineux situé au dernier étage d’un immeuble fribourgeois. Un lieu qui lui ressemble.

Pierre-Yves Massot / realeyes.ch

Hannah Schlaepfer vit dans le ciel. Plus exactement au dernier étage d’un immeuble fribourgeois, ce qui fait qu’il n’y a rien entre elle et le soleil. Celui-ci a l’élégance de se lever dans la salle à manger et de se coucher dans sa chambre. Ce lieu lumineux lui ressemble.

Dans le salon, des cartons de déménagement attendent d’être remplis: «Avec mon compagnon nous allons déménager. J’adore cet appartement, mais il est trop petit pour nous deux», dit-elle. Trop petit pour la vie à deux, peut-être, mais pas pour partager des moments d’amitié. La table de bois clair peut recevoir jusqu’à huit personnes. On imagine la jeune femme passer des heures dans sa cuisine pour recevoir sa tribu d’amis, mais c’est une vue de l’esprit: «J’aime avoir des amis à la maison, mais ils viennent avec le repas», dit-elle en riant.

La journaliste parle beaucoup de ses proches et l’on sent que le tissu humain qu’elle a déployé tout autour d’elle est solide, comme un merveilleux filet de trapéziste dans lequel elle peut se jeter en pleine confiance et se ressourcer. On en a besoin quand on a 28 ans, que l’on a été nommée responsable du bureau régional fribourgeois de la RTS-TV un an auparavant et que l’on présente le téléjournal.

Malgré les responsabilités, elle possède une simplicité désarmante, une forme de décontraction responsable, si tant est que ces deux mots puissent se marier. Elle est consciente de ses forces et de ses capacités, mais sans arrogance. La jeune femme possède cette qualité que l’on peut reconnaître à sa génération: être sérieuse mais ne pas se prendre au sérieux. Quand la pression professionnelle est trop forte, elle va courir: «Je ne fais pas de marathon, mais je cours parfois 20 km», dit-elle.

Sur la table, des «amaretti» et des «tartufi» au chocolat attendent la main qui se tendra vers eux pour les dévorer. Sans doute pour honorer ses origines italiennes: «Ma grand-maman était originaire de Varese, en Lombardie, ce qui tranche avec le côté appenzellois de mon grand-père. Appenzell… Rhodes-Extérieures! Mon grand-père tenait à cette nuance», précise-t-elle.

Hannah Schlaepfer

Hannah Schlaepfer s’habille sur un plateau de télévision comme dans la vie: elle aime porter des pantalons et des vestes de couleur.

Pierre-Yves Massot / realeyes.ch

- Votre visage est devenu familier aux téléspectateurs romands et fribourgeois, mais ils vous connaissent peu. Si vous deviez vous décrire en quelques mots?
- Hannah Schlaepfer: Quand on me demande qui je suis, je parle surtout de ma famille: je suis la cadette d’une fratrie de quatre filles. Mes parents viennent de l’Arc lémanique, mais lorsqu’ils ont voulu construire une maison de famille, ils ont choisi de s’installer dans le canton de Fribourg. Ma mère a des origines fribourgeoises, c’était pour elle un retour aux sources. Mais j’ai bougé: j’ai fait mon collège à Fribourg, mes études de sciences po à Lausanne et mon master de journalisme à Neuchâtel.

- Venez-vous d’un milieu proche de l’information?
- Non, pas du tout. Mon père est planificateur électricien et ma mère enseignante spécialisée. Mais c’est à travers eux que m’est venue la passion pour le journalisme. Ce sont deux grands consommateurs de télévision! La passion m’est venue par le sport surtout, en regardant les JO avec mon père. J’adorais cela! Pouvoir commenter la cérémonie d’ouverture des JO, c’était mon rêve d’enfant. Je voulais devenir journaliste sportive, puis j’ai développé d’autres intérêts.

- Fribourg est votre port d’attache?
- J’aimais moins Fribourg quand j’étais jeune. Je suis allée faire mes études ailleurs, mais quand on part, on se rend compte que l’on aime ce que l’on a laissé derrière soi, et j’ai eu envie de revenir. J’ai travaillé pour Vaud Région. C’était une expérience géniale mais ce qui me manquait, c’était de pouvoir traiter une matière que je connaissais bien. Quand on grandit dans un lieu, cela crée du lien avec les gens, on vous parle plus facilement.

- Avez-vous un modèle parmi les grandes figures du journalisme féminin en Suisse ou ailleurs?
- Je dirais Françoise Giroud. Je l’ai connue par ma maman, qui a beaucoup lu ses livres et me les a passés quand j’étais plus jeune. Ce qui m’a marquée, c’est la façon d’écrire de Françoise Giroud: c’est du velours, elle savait très bien décortiquer la complexité des personnalités qu’elle décrivait dans ses ouvrages. C’était une très bonne observatrice du monde, or c’est le cœur de métier du journalisme.

Hannah Schlaepfer

S’il y avait un seul… modèle: «Je dirais Françoise Giroud. Ce qui m’a marquée, c’est sa façon d’écrire: c’est du velours, elle savait très bien décortiquer la complexité des personnalités qu’elle décrivait dans ses ouvrages. C’était une très bonne observatrice du monde, or c’est le cœur de métier du journalisme.»

Gamma-Rapho/Getty Images

- En juin 2020, vous avez été nommée responsable du bureau régional fribourgeois de la RTS-TV. Curieuse époque pour reprendre un poste comme celui-ci en pleine crise sanitaire… 

- J’ai commencé en août, en réalité. L’actualité était monothématique, mais ce n’est pas ce qui m’a le plus choquée. J’avais tant d’autres défis à relever: assurer le rôle de responsable d’équipe, m’y intégrer. D’ailleurs, tout le monde a été très bienveillant à mon égard: je ne suis pas arrivée en terrain hostile. J’ai conscience de ma jeunesse, mais cela n’a pas été un sujet. Le plus difficile fut de maintenir le moral des troupes tout en étant garante du cadre sanitaire.

- Avez-vous un secret pour gérer le stress? 
- Courir. Mon père était un sprinteur: il a dû courir avant de savoir marcher. Je cours le soir pour évacuer: cela me permet de me vider la tête. Il y a des moments où je n’ai pas le choix. Mes proches, aussi, sont un exutoire. Ma sœur aînée est avocate, la deuxième est enseignante et la troisième infirmière. Grâce à elle, j’ai pu me rendre compte de la réalité du covid en milieu hospitalier et lorsqu’on discutait de la situation aux soins intensifs en séance de rédaction, j’avais à ma disposition une source on ne peut plus fiable. C’était précieux.

- Vous avez un ton de voix ferme et doux qui rassure. L’avez-vous travaillé? 
- Si mes amies vous entendaient! (Rires.) Non, je ne l’ai pas travaillé, la musique et moi, ça fait deux. Quand on commence à travailler à la télé, on nous fait faire des exercices. Je n’avais pas assez de coffre. Ça va mieux. Sinon, j’essaie de prendre les choses avec sérénité, le but étant de ne pas être anxiogène pendant qu’on annonce les nouvelles. Même si on l’a été parfois, car, comme tout le monde, on naviguait à vue…

Hannah Schlaepfer

Hannah Schlaepfer, journaliste JRI à la RTS, responsable bureau fribourgeois.

Pierre-Yves Massot / realeyes.ch

- Vous avez publié un article dans l’European Journalism Observatory sur la politique romanesque. Vous arrive-t-il d’utiliser la forme du récit narratif pour amener votre auditoire à se passionner pour une matière rugueuse?
- C’est le but d’amener les gens à la politique et de leur faire comprendre simplement des thèmes compliqués. Il nous arrive de faire des mises en scène, pas toujours réussies d’ailleurs. Par exemple, pour les élections cantonales fribourgeoises, je voulais parler de la réforme hospitalière qui attend le canton. En images, c’est compliqué à expliquer. J’ai donc utilisé un hôpital Playmobil pour illustrer cela. Mais ce fut un fiasco: ça ne fonctionnait pas à l’image. On aurait dit de la télé des années 1980. Du coup, j’ai rendu son jouet à ma nièce et on a fait différemment. J’ai un certain nombre de jeux en tous genres sur mon bureau, mes collègues sont habitués maintenant.

- Parvenez-vous à débrancher de l’actualité, lorsque vous êtes en congé?
- Oui, je décroche. Sauf bien sûr si une personne de mon équipe m’appelle, auquel cas je serai là pour elle. J’ai besoin de faire autre chose, d’être avec mes proches, ne pas avoir d’horaires, sinon je n’ai pas assez d’énergie pour continuer.

- Vous êtes une femme brillante, jeune et jolie, vous évoluez dans les milieux de la politique, du journalisme, qui sont souvent sexistes. Avez-vous rencontré des situations problématiques?
- Non. Je ne me suis jamais retrouvée dans une situation dérangeante ou qui m’aurait mise en danger. Je n’aime pas entrer dans ces paradigmes. Je n’ai pas envie de me poser la question de savoir si mon genre est un problème.

- Le 31 octobre 2018, vous avez présenté le «19h30» avec d’autres journalistes qualifiés de millennials. La vision journalistique diffère-t-elle entre les générations? 
- Je ne suis pas sûre. Je suis convaincue que la vision journalistique dépend plutôt du milieu d’où l’on vient, des motivations qui nous ont amenés à faire ce métier. Parfois je suis surprise, quand je regarde les archives de la RTS, de voir à quel point ils pouvaient être fun et finalement «modernes» dans le passé: on n’oserait plus faire cela aujourd’hui. La vraie différence de génération à mon avis réside plutôt dans la perception du métier: peut-être que la nôtre est moins encline à intégrer l’idée que l’on est journaliste vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cela ne nous attire pas. Mais en ce qui concerne le fond, je ne vois pas de différence. On fait ce métier pour le contenu. Les formats évoluent mais pas le cœur du métier. Prenez «Le Rencard», sur Instagram: c’est la version réduite d’un TJ, ce que l’on estime être l’essentiel de l’actualité, mais la mission reste la même.

Hannah Schlaepfer

Lorsqu’elle n’est pas à l’antenne, au travail ou dans une séance de rédaction, la journaliste décroche et se consacre à ses proches, à ses amis, et à la course à pied, qui lui permet d’évacuer le stress.

Pierre-Yves Massot / realeyes.ch

- Cet hiver, quand vous présentiez le «19h30» sur la RTS, vous aviez un look «tomboy». Est-ce vous qui choisissez vos tenues ou les stylistes de la RTS?
- Nous sommes toujours accompagnés d’une styliste quand on va chercher des vêtements. On ne peut pas mettre n’importe quoi à la télévision: il y a des matières, certains motifs qui moirent. C’est comme si on était pixélisé. Et parfois il y a des couleurs qui ne rendent pas bien. Mais si je porte une tenue, c’est parce que je l’aime. J’ai le même style dans la vie.

- Avez-vous un budget pour vos tenues?
- Les stylistes se font prêter des vêtements, on en choisit beaucoup, on va sur le plateau, on essaie tout, cela dure des heures, on se fait photographier avec chaque look et on ne garde que ce qui rend bien. Ce qui ne va pas est rendu, les autres pièces sont achetées et appartiennent alors à la RTS. Un portant nous est dédié dans lequel on va se servir. On peut aussi piocher dans un vestiaire commun. Et si je veux garder une pièce pour moi, je dois la racheter à l’entreprise.

- Existe-t-il un look de l’info?
- Non. On ne m’a pas donné de directives. J’ai essayé de porter des robes et des jupes, mais cela ne rendait pas bien à l’antenne. J’aime les vestes, ce qui est coloré: on me laisse m’habiller en fonction de mes goûts.

- Quand on est en direct, on peut se retrouver dans de drôles de situations. Avez-vous des anecdotes?
- J’ai fait une petite blague à la fin d’un TJ, un jour. Il s’agissait d’un sujet autour de chercheurs qui se disputaient sur les origines de Christophe Colomb: était-il Italien, Espagnol ou Portugais? Comme je suis assez chauvine avec l’Italie, tifosa dans l’âme, je n’ai pas résisté à glisser un commentaire à l’issue du sujet. On m’a dit gentiment que ce genre de commentaire n’était pas nécessaire. Il m’est aussi arrivé de ne pas avoir de retour de son lors d’une interview. Je regardais les lèvres de mon interlocuteur pour poser la question suivante, en espérant qu’il n’ait pas déjà répondu… J’ai subi une sacrée montée d’adrénaline!

- Si l’on vous donnait carte blanche pour créer votre propre émission, ce serait?
- Ce serait une émission politique sur un ton décalé, léger, décontracté justement. Je suis persuadée que l’on peut parler de politique de façon légère et la rendre plus accessible.

Par Isabelle Cerboneschi publié le 10 mars 2022 - 08:31