Nous les entendions, au détour d’une conversation, évoquer ces paroles humiliantes, ces attouchements et bien pire encore. Depuis une semaine, le silence et l’ignorance ne sont plus de mise. La prise de conscience s’impose. Devant l’ampleur de ce mal que dénoncent les femmes du monde entier, il nous a paru essentiel de réagir. L’illustré rapporte les témoignages de 35 Romandes connues et moins connues. Celles-ci se livrent à visage découvert, évoquent la peur, l’émotion, la stupéfaction glaçante, la colère, l’abattement après qu’un homme, un jour, un soir, une fois, tant de fois, s’en est pris à elles.
Marina Rollman, 28 ans, humoriste, Genève
«Tu mériterais que je te viole»
«Dans le milieu du spectacle, j’ai rencontré beaucoup d’hommes plus âgés et puissants, qui m’ont fait miroiter des choses. Cela commence toujours par une approche professionnelle, des compliments sur mon travail et une proposition de sortie pour parler d’un projet, par exemple. Mais une fois arrivée au rendez-vous, ce n’est pas du tout ce qui était prévu, il se met à me draguer, à me proposer qu’on passe la nuit ensemble ou de partir en voyage. Il faut avoir assez confiance en soi et en son travail pour dire non. Les femmes sont rares dans l’humour, elles sont des proies. Je suis tout le temps sur mes gardes. Par ailleurs, en étant une fille un peu publique sur Internet, je reçois beaucoup de propositions qui vont de sympa à dégueulasse, et des photos de pénis. Certains utilisent la menace de la sexualité, avec des messages comme «tu mériterais que je te viole».
Alizée Gaillard, 32 ans, Euseigne (VS), actrice et mannequin établie à Los Angeles
«Ils disent tous: si tu veux tourner, tu couches»
«C’était à Paris. J’avais 20 ans, je débutais dans le mannequinat. Les mains aux fesses dans le métro, c’était si fréquent que cela semblait «normal», «pas si grave». Désolée, c’est grave! J’ai appris, par la suite, à composer dans un métier basé sur la séduction avec ses mots et ses codes, son côté tactile, ses «sweetie» ou «my love». On nous engage au mandat. Plaire ne veut pas encore dire que c’est une invitation à coucher. A Hollywood, j’avais entendu parler des méfaits de Weinstein. Deux amies ont eu affaire à lui. Ils sont nombreux à se comporter ainsi. Il y a quatre ans, un producteur m’a dit: «Si tu veux tourner, tu investis des millions, sois tu couches, soit c’est bonne chance.» J’ai choisi la troisième voie. Le fait d’être mariée m’aide. Je le dis très vite lors des rendez-vous et le ton change. C’est un frein. Enfin, beaucoup d’hommes se croient permis de nous envoyer une photo de leur sexe sur les réseaux sociaux. C’est primaire et écœurant. Un homme marié que je connais et dont l’épouse attendait un enfant m’a envoyé la sienne. J’ai hésité à le dire à sa femme.»
Anne-Flore Marxer, 33 ans, snowboardeuse et journaliste sportive, Préverenges
«Il a dit que j’avais un trop beau cul pour qu’il se retienne»
«Un jour, lors d’un événement organisé par Swatch, mon sponsor principal, un cadre d’un site de données techniques pour snowboardeurs, m’a mis la main au cul, mais vraiment à pleines mains, devant tout le monde! Je lui ai mis une droite! Tout le monde ne parlait plus que de cela. Le lendemain, le responsable de l’événement, scandalisé, est allé lui parler. Le type a répondu que j’avais un trop beau cul pour qu’il se retienne. J’ai tweeté le tout, en taguant le nom du site technique. Leurs 360 000 abonnés ont pu le lire. Le boss du site m’a reconnue un an plus tard: ma réputation m’avait précédée! Mais je n’ai jamais reçu autant de commentaires sur mon cul que depuis que je suis le circuit de surf en tant que journaliste. A 6 heures du matin, j’ai déjà entendu plus de douze remarques sur mon cul et mon short de la part des gars de l’équipe technique, cameramen, preneurs de son, monteurs, etc. Eux aussi sont en short, mais personne ne le leur fait remarquer! Ça nie mes compétences professionnelles, me fait douter de moi, alors que je n’ai plus à prouver mes connaissances du milieu, normalement.»
Caroline Leuba, 27 ans, youtubeuse «Dear Caroline», Tessin
«On m’insulte quand je refuse»
«Dans mon domaine, les hommes qui ont du pouvoir en profitent. On m’a souvent fait comprendre qu’en échange d’opportunités ou de mises en contact, il fallait aller plus loin. J’assume ma féminité, ma sexualité, et à cause de cela, certains hommes se sentent légitimes à me faire des avances, puis à se retourner contre moi si je leur dis non. Ils me traitent d’aguicheuse, m’insultent si je refuse. Aujourd’hui, ça ne me fait plus rien. Mais je me dis que ça doit être compliqué pour les jeunes d’assumer et de vivre leur sexualité dans ce contexte de harcèlement sexuel.»
Léonore Porchet, 28 ans, députée, Lausanne
«Le médecin scolaire m’a claqué le string sur les fesses»
«Je me souviens d’un médecin scolaire qui me faisait des commentaires sur mes sous-vêtements en me claquant le string sur les fesses. J’avais 14 ans. Ensuite, il m’a demandé de me pencher en avant alors qu’il était derrière moi et me tenait par les hanches. Ce n’était vraiment pas un geste médical, c’est sûr. Ça m’a marquée dans ma construction de femme. Il y a aussi eu cet homme que j’avais éconduit et qui s’est mis à m’appeler tous les jours à des heures indues, à m’envoyer des messages salaces très explicites sur ce qu’il comptait me faire. En politique, il y a souvent des mains baladeuses et des remarques déplacées.»
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Dossier réalisé par: Didier Dana, Robert Habel, Marie Mathyer et Malika Scialom