«J’ai encore du mal à mesurer ce qu’il m’a été donné de vivre et l’impact de cet événement sur ma vie. Il y a deux semaines, j’étais un parfait anonyme et cela m’allait très bien… Il y a quelques jours, alors que je traversais une place du centre-ville d’Annecy, tout le monde s’est mis à m’applaudir en criant: «Merci!» C’était un peu gênant, et étrange aussi…» C’est un drôle de pèlerin, Henri. Le longiligne Français de 24 ans, bombardé «héros national» d’un jour à l’autre à la suite de son rôle dans le «drame d’Annecy», est convaincu que la Providence guide nos pas. Et cela fait bien longtemps maintenant que sa profonde foi catholique lui a appris qu’il fallait toujours lui répondre un grand oui… Alors une nouvelle fois, il s’exécute du mieux qu’il peut.
Le regard franc et doux du jeune homme nous met immédiatement à l’aise alors qu’il nous tend la main devant le domicile de son oncle à Annecy-le-Vieux. A son cou, caché sous son t-shirt, pend un scapulaire (un objet de dévotion catholique). Dans son dos, un énorme sac de 20 kilos. Et devant, sur son ventre, telle une cuirasse, un autre, plus petit. C’est celui qui lui a permis de faire fuir et ainsi d’empêcher Abdalmasih H., requérant d’asile syrien chrétien de 31 ans à la dérive, de faire plus de victimes encore le 8 juin dernier lors de sa folle et sanglante attaque au couteau sur une place de jeu des bords du lac d’Annecy, en France voisine.
Par miracle, Ennio, 2 ans, Alba, 2 ans, Ettie, 3 ans, Peter, 22 mois, Youssouf, 78 ans, et Manuel, 62 ans, les victimes poignardées, ont toutes survécu. «J’ai pardonné à cet homme et je ne veux pas l’accabler. C’est un être humain en proie à quelque chose de monstrueux, mais ce n’est pas un monstre. Je prie pour lui comme pour ses victimes et leurs familles», explique Henri alors que nous mettons le cap en voiture sur Aix-les-Bains.
La multiplication des followers
En ce vendredi 23 juin, le «héros au sac» reprenait le «tour de France des cathédrales» qu’il avait entrepris à pied et en stop voici presque trois mois «pour sensibiliser via les réseaux sociaux un maximum de personnes à cette beauté architecturale, artistique, historique et spirituelle façonnée par nos ancêtres et qui irrigue nos paysages et nos imaginaires français». Ce périple se terminera le 24 décembre. Avant l’attaque, Henri affichait 12 000 followers sur son compte Instagram Le chant des cathédrales. Il en a désormais plus de 134 000!
L’abbaye d’Hautecombe, splendide nécropole néogothique des comtes de Savoie érigée sur les bords du lac du Bourget au XIIe siècle, est sa première escale. Beaucoup de visiteurs regardent passer Henri admirativement sans mot dire. D’autres l’abordent. Et là, entre les mercis et les bravos initiaux et leurs nombreuses déclinaisons qui suivront, une chose frappe: qu’ils le vouvoient ou le tutoient, tous l’appellent par son prénom.
Une sexagénaire dit à Henri son admiration, émue aux larmes. Ce sont en définitive tous ces gens qui ont décidé qu’Henri était un authentique «héros national». Lui réfute sans fausse modestie ce qualificatif, mais ne refusera pas la Légion d’honneur qui viendra le couronner bientôt. Ce serait interprété comme une sorte de péché d’orgueil, tout comme le fait de l’accepter pourrait l’être aussi d’ailleurs... «Beaucoup de personnes m’ont dit être heureuses que je la reçoive. Je me dois donc de l’accepter, mais j’aimerais la recevoir dans un cadre privé et aussi que mon grand-père, qui l’a reçue comme général, me la remette», confie le jeune diplômé en philosophie et en management originaire du Pecq, dans les Yvelines.
Une grosse pression médiatique
Les jours suivant l’agression n’ont pas été faciles à vivre pour le jeune héros. Après l’attaque, il s’est tout naturellement «tourné en prière vers la Sainte Vierge pour que le Christ vienne en aide aux enfants». «J’étais tout tremblant et si shooté aux hormones que j’arrivais à peine à tenir debout. Des bribes de «Je vous salue Marie» se sont alors imposées à moi et je me suis effondré en larmes sur mon sac.» Les quatre jours suivants, le jeune homme perd 4 kilos. Il n’a aucun appétit et dort très peu, sous somnifère uniquement. Malgré cela, il enchaîne les passages télé, porté par une mission plus grande que lui et avec en bouche un message sincère mais réfléchi – à la lumière du stage de «media training» suivi lors de ses études: «Chaque Français est capable d’agir comme je l’ai fait. […] Il faut se nourrir de ce qu’il y a de grand et de beau dans notre pays pour arrêter de rester passif face à de telles attaques.»
Mais hors antenne, le jeune héros, d’ordinaire si joyeux et positif, «vrille». Son natel vibre toutes les 30 secondes. Il est soudainement habité par des idées sombres. Une tension s’installe dans son ventre et des crises de stress l’assaillent. Il se résout alors à consulter un psy. Ce dernier lui donne quelques clés pour intégrer ce qui est arrivé. Sa visite chez l’évêque d’Annecy lui fera presque autant de bien. «Mgr Le Saux m’a dit que je n’étais pas un héros mais que j’avais juste agi comme un vrai chrétien. Cela m’a fait un bien fou! Ensuite, je suis parti quelques jours m’isoler et marcher en montagne avec mon frère du côté du Grand-Bornand.»
D’Emmanuel Macron, qui l’a remercié lors d’une cérémonie à la préfecture d’Annecy, Henri se borne à dire avec amusement qu’il est «très tactile, séducteur et sympathique», mais se refuse à critiquer gratuitement et à tenir publiquement des propos susceptibles de diviser. Car Henri est désormais devenu un symbole de courage et de fierté fédérateur. Sa parole a eu du poids et cela ne plaît d’ailleurs pas à tout le monde. Une petite partie de la presse française a cru déceler, dans son passé scout, les messes en latin auxquelles il assiste parfois et son expérience de journaliste au sein du magazine catholique conservateur «L’homme nouveau», des relents «ultra-droitistes». Mais ces tentatives infondées de chercher des poux au héros si modeste n’ont suscité que de l’indignation.
Il esquive la récupération
«Mon histoire est du pain bénit pour la droite identitaire anti-immigrationniste et met en même temps mal à l’aise l’extrême gauche, car, en tant que catholique enraciné, j’incarne un peu tout ce que ce courant veut détruire», analyse le jeune homme. Entre deux SMS du patron de BFM TV, Marc-Olivier Fogiel, il confie avoir reçu des félicitations de nombreux politiciens bien connus, mais refuse qu’on les énumère ici «pour ne pas risquer de se faire instrumentaliser par la politique politicienne». Il concède cependant: «Mon message est en réalité hautement politique, mais au sens noble du terme: pour retrouver une société unie autour de la recherche du bien commun, il faut se nourrir du Beau, du Bien et du Vrai. Si un jour mes petits-enfants me demandent ce que j’ai défendu durant ma vie, je ne veux pas leur répondre que je me suis battu pour La France insoumise ou pour Les Républicains. Ces combats seront si vite totalement dépassés. Je leur préfère de loin la défense des grandes valeurs universelles et immuables!»
La réaction d’un groupe de jeunes de toutes origines, croisé dans l’après-midi, en train de tourner un clip de funk devant la petite chapelle du Chat, le démontre. «Juste bravo, Henri! Respect! Trop peu de gens auraient eu ton courage à ta place. Tu nous as donné envie de réagir si des gens se font agresser devant nous», lâchent Noah et Valentin, respectivement 14 et 17 ans. Un petit salut, un sourire et Henri poursuit son chemin, lesté de ses deux sacs.