Elle ressemble à une héroïne de manga avec son chignon de geisha, sa petite bouche rouge en arc de Cupidon, ses sourcils en accents circonflexes et ses yeux surlignés d’eye-liner noir. Un visage comme une signature, dessiné en quelques traits puissants. Elle est jolie, cette fille qui n’aspire pas à plaire à tout le monde.
Fan d’animés et de Pikachu depuis son enfance, elle a croqué ses personnages préférés dans des carnets de dessins que sa grand-mère Edith (77 ans), alias Babouchka, a gardés pieusement. Elles chantent d’ailleurs en duo dans le dernier opus de Hoshi, intitulé Etoile flippante et signé par le label Jo&Co.
La gloire lui est tombée dessus comme un astéroïde, pas du tout en douceur. Juste après son premier album, Il suffit d’y croire, vendu à plus de 200 000 exemplaires, et son single La marinière, devenu disque de platine. Mathilde Gerner, alias Hoshi, a fait ses premiers concerts dans la rue. Elle s’est heurtée au dur: les passants aimaient, ils lui donnaient une pièce, ils n’aimaient pas, ils passaient sans la voir et, pire, sans l’écouter. Rude école.
Hoshi, qui signifie «étoile» en japonais, a quelque chose de Stromae dans sa manière d’écrire des chansons qui parlent d’elle, de nous aussi, forcément, de trucs pas drôles du tout, même si cela peut être beau, parfois, ces dégringolades, ces amours qui s’effilochent, ces peurs assumées, ces questionnements dans un bar d’hôtel.
L’avenir, la chanteuse l’écrit chaque jour. L’inspiration la démange. Elle a tant de choses à dire qu’elle a dû ajouter 13 titres inédits à Sommeil levant, son deuxième album. Son nouvel opus, sorti le 18 juin, s’écoute comme on lit un roman aigre-doux, à mi-chemin entre Patrick Modiano et Haruki Murakami.
Hoshi a récemment été violemment attaquée par le chroniqueur musical Fabien Lecœuvre, qui avait dit sur une obscure radio: «Vous mettriez un poster de Hoshi dans votre chambre, vous? Mais elle est effrayante!» Une attaque d’une bêtise insondable qui a blessé l’artiste, ainsi que sa famille. Mais comme elle ne manque pas d’humour, elle a rétorqué en glissant un poster dans son nouvel album.
Hoshi souffre de la maladie de Ménière et d’une malformation de la trompe d’Eustache qui, malgré six opérations, ne guérit pas. Elle a perdu 40% d’audition, elle a dû réduire le nombre de ses concerts, mais n’a pas l’intention d’arrêter. Trop de choses à dire. Quand on pense qu’elle n’a que 24 ans… c’est vertigineux.
- Vous avez ce pouvoir extraordinaire de toucher le cœur de chacun avec vos chansons sans filtre. Pensez-vous que dans une époque où l’on met des filtres partout, sur les photos, sur Instagram, c’est cela qui touche le plus, cette authenticité?
- Hoshi: Oui! Dans la musique, on peut garder ce côté sincère et authentique que l’on est en train de perdre avec les réseaux sociaux. La musique est l’endroit où je peux être entièrement moi-même et ne pas mentir. Et le jour où je ne pourrai plus être sincère, j’arrêterai.
- Vous vous êtes construit une image graphique très forte, comme une estampe. Comment vous est venue cette idée de vous représenter ainsi?
- Depuis l’enfance, je suis passionnée d’estampes japonaises, d’animés et de mangas. Pendant la première tournée, j’ai commencé à écrire des chansons et à les dessiner. Enfant, je dessinais beaucoup, mais, en me concentrant entièrement sur la musique, j’ai perdu le goût du dessin. Or quand j’ai recommencé, je me suis rendu compte que je dessinais comme une ado. Ce personnage que j’ai dessiné me représente assez bien.
- Et votre allure, avec ce chignon, cette bouche rouge, ce sourcil en accent circonflexe, elle est née comment?
- Elle est née en même temps que mon projet, au fur et à mesure. Je ne me suis pas dit un matin: «Tiens, je vais me faire un chignon.» Ce n’était pas réfléchi mais instinctif: un jour, je me suis fait un chignon et je ne l’ai jamais enlevé, car je trouvais que cela collait à mon personnage. Depuis, je le porte dans la vie de tous les jours.
- Dans le court métrage où vous jouez et chantez avec Benjamin Biolay la chanson «Pleurs de fumoir», vous portez les cheveux relâchés. Qui est cette femme?
- La personne que j’étais avant de faire ces albums, avant d’être mise en lumière. J’étais en pleine recherche de moi-même et de Hoshi. Ce court métrage est une référence à celle que j’étais il y a cinq ans et c’est pour ça que j’ai pris la décision de ne pas porter de chignon.
- La culture japonaise fait partie de votre vocabulaire stylistique et imaginaire. Pourtant, vous avez des origines russes par votre grand-mère. D’où vous vient cet amour du Japon?
- Ma grand-mère a toujours adoré le Japon, elle me montrait des estampes japonaises quand j’étais enfant. A l’âge de 4 ou 5 ans, quand j’ai su allumer la télé toute seule, j’ai regardé des animations japonaises et je suis tombée sur Dragon Ball, Yu-Gi-Oh!, Pokémon… J’ai demandé à ma mère pourquoi ces dessins animés n’étaient pas comme les autres et elle m’a expliqué que c’étaient des animés japonais. J’ai complètement adhéré et cette passion a grandi avec moi. J’ai commencé ensuite à lire des mangas, puis je me suis intéressée à la littérature japonaise, notamment les livres de Haruki Murakami.
- Murakami raconte une réalité qui bascule toujours dans le fantastique, l’irréel. Est-ce cela qui vous plaît dans ses romans?
- J’aime sa manière de partir dans des délires différents: si vous prenez L’étrange bibliothèque ou Les amants du Spoutnik, il y a des points communs, mais il n’y a aucun lien entre les histoires. Sa tendance à jouer entre le réel et l’imaginaire m’inspire beaucoup pour mes chansons, où je mélange du vécu et du non-vécu.
- Dans «Etoile flippante», vous exprimez ouvertement vos propres peurs: celles du vide et de l’espace, de l’avenir qui vous désenchante, des traces de vie qui rendent méchant, la peur d’être remplacée, aussi. Chanter, est-ce une manière de conjurer vos peurs?
- Complètement! C’est le moyen d’en faire quelque chose, parce que rester seul avec ses peurs, c’est ne pas les assumer. J’ai plein de phobies et la musique me permet d’en prendre conscience et d’essayer de m’en libérer ou, en tout cas, d’en enlever quelques-unes et m’alléger parfois. Depuis que je suis enfant, j’ai la phobie de l’espace, du ciel et des planètes, je ne sais pas pourquoi. Mais c’est juste une peur et la chanter, c’est la rendre moins forte. Prendre conscience de ses failles, de ses blessures, c’est comme ça qu’on guérit.
- Votre manière de dire «je t’aime» dans votre chanson «Et même après je t’aimerai» est déroutante parce que vous n’embellissez pas les relations d’amour, vous ne cachez rien de ces maux du cœur. Est-ce difficile de chanter «je t’aime»?
- Oui. «Je t’aime» est un terme qui veut dire tellement et qui est si difficile à expliquer et à définir. Il se suffit à lui-même. C’est dur pour moi de le dire et j’ai décidé d’évoquer le temps qui passe sur l’amour, malgré les obstacles. Je voulais juste dire «je t’aime».
- Quand on regarde le court métrage réalisé pour la chanson «Pleurs de fumoir», on se projette dans ce bar des espérances et des rêves délaissés. Comment est née cette chanson et comment s’est faite la rencontre avec Benjamin Biolay? Car votre duo semble tellement réel...
- J’ai passé beaucoup de temps à l’hôtel pour écrire mon premier album, sans trop savoir ce qui allait m’arriver. La solitude ne me fait pas peur, car c’est le moment où je réfléchis, et dans un bar on n’est pas forcément seul. Quand j’ai commencé à écrire la chanson Pleurs de fumoir, je me suis dit que ce serait bien de la chanter avec Benjamin Biolay, mais je ne le connaissais pas. J’ai écrit la mélodie, un couplet et le refrain. On les lui a envoyés et par hasard, deux jours après, on s’est croisés lors d’une promo. Il est venu me voir et m’a dit: «On la chante quand, Pleurs de fumoir?» Une semaine après, on était dans le studio. Le reste des couplets, c’est lui qui les a écrits. Tout s’est fait de manière tellement naturelle, tellement fluide! Il aurait pu être le serveur du court métrage, j’aurais pu être la cliente du bar et entamer cette conversation avec lui. Notre relation est saine et bienveillante. Il a une place importante dans ce nouvel album et dans ma vie aussi. Il a su prendre ma défense à plusieurs reprises. Il m’a aussi énormément aidée pendant le tournage: même si je jouais mon personnage, je ne me suis jamais retrouvée face à une caméra. C’est un super acteur et il a su me mettre à l’aise.
- Votre grand-mère Edith chante elle aussi sur cet album. Quel message vouliez-vous passer à travers ce titre «C’était mieux avant»?
- Ma grand-mère est une personne incroyable: contrairement à beaucoup de personnes âgées, qui regrettent leur passé, elle m’a toujours dit que ce sera mieux après. Dans cette chanson, je lui dis: «Je voudrais voyager dans ta mémoire. Un aller-retour pour comprendre l’histoire.» J’aimerais comprendre comment on en est arrivé là, dans cette société. Il y a des choses que je ne comprends pas. Je suis toujours en train de me plaindre, à dire que je ne suis pas née à la bonne époque. Ma grand-mère m’a regardée et m’a dit: «Crois-moi, tu n’aurais pas voulu vivre à mon époque.» Elle est née dans une famille de dix enfants, sans argent, avec un père accro au jeu. Elle s’est retrouvée à devoir élever ses frères et sœurs. Elle a porté tellement de poids sur ses épaules! Elle n’a été vraiment heureuse que très tard dans sa vie, après avoir mis ma mère au monde et m’avoir connue, m’a-t-elle dit. On est là, à regretter le passé, alors qu’on ne peut changer que le futur en étant dans le présent. Ma grand-mère m’a toujours dit: «Il suffit d’y croire», et cela a donné le titre de mon premier album.
- Vous avez envoyé un millier d’e-mails pour qu’on produise votre musique, le label Jo&Co a cru en vous, le succès vous est tombé dessus comme un météore. Est-ce difficile de passer tout d’un coup de l’ombre à la lumière?
- Oui, parce que je n’aime pas la lumière quand je ne la veux pas. En envoyant ces 1000 e-mails, c’était de la survie: j’avais créé des chansons, je voulais que la musique devienne ma vie, il fallait que je fasse quelque chose. J’ai eu raison d’envoyer tous ces e-mails parce que je suis arrivée là où je voulais être. Plus rien n’est jamais pareil ensuite. Le succès est quelque chose après lequel on court une fois qu’on l’a connu. Au début, personne n’attend rien de toi à part que tu chantes, et que peut-être tu sortes un single, et qu’éventuellement ça marche. Mais une fois que cela a marché, il y a plein de gens qui t’attendent au tournant et une pression énorme te tombe sur les épaules. Déjà, tu ne veux pas décevoir ton public ni ton équipe, et tu dois essayer d’atteindre des objectifs. Je ne fais pas cela pour l’argent, ni pour la fame. Le succès, c’est la récompense: cela signifie que l’œuvre a été écoutée et appréciée.
- Vous avez chanté dans la rue. C’est une école. Qu’y avez-vous appris?
- J’allais dans la rue pour faire connaître mes compositions et si ça plaisait aux gens, ils me donnaient une pièce. Encore aujourd’hui, je réfléchis de la même manière. La rue m’a aussi appris que rien n’est jamais acquis: un jour les gens aiment ce que tu fais, un autre jour personne ne se retourne. La musique et l’art sont très subjectifs et aléatoires.
- Vous avez été victime, enfant, d’une attaque homophobe. Est-ce que cela vous a donné la force de vous battre pour votre identité et, au-delà de vous, pour les autres qui, comme vous, aiment qui ils veulent?
- Cela ne m’a pas donné de la force mais des angoisses que je n’avais pas avant. Mais, du coup, cela m’a donné la force de combattre cette anxiété, car je ne voulais pas vivre avec. Cela m’a détruite pour que je me reconstruise mieux. J’étais très jeune et je me dis que rien n’arrive par hasard: autant se servir de ce qui vous arrive pour en faire autre chose.
- Vous avez des problèmes d’oreille interne (malformation de la trompe d’Eustache et maladie de Ménière). Qu’est-ce que cela vous enlève et vous apporte dans votre manière de chanter?
-Au début, je me suis dit que je n’allais pas pouvoir faire ce métier avec cette maladie. C’est compliqué pour mon équipe et pour moi: j’ai des vertiges au quotidien, des acouphènes, j’ai perdu 40% d’audition. Mais, d’un autre côté, cela me permet de me concentrer sur autre chose. J’ai demandé à mon ORL pourquoi, en perdant autant d’audition, j’arrivais quand même à chanter. Il m’a dit que la voix vient de l’intérieur et crée des vibrations. Il m’a même dit que si un jour je devenais sourde, je pourrais continuer à chanter avec les vibrations. Je n’entends pas bien, mais je trouve mes repères de plein d’autres manières. Finalement, ce problème m’a aidée, car sans cela je ne serais peut-être pas allée aussi loin. Je ne peux plus faire autant de concerts qu’au début, j’en fais deux par semaine. Ce ne sont que des aménagements d’emploi du temps: cela ne m’empêche pas de faire de la musique.
- Comment se relève-t-on quand on se fait insulter en public par un chroniqueur musical qui est resté scotché dans les années 1980?
- On se relève en se disant qu’on est en 2021 et que certains n’ont pas su avancer avec la société: ils sont restés dans un temps que je n’ai pas connu et ils s’attendent à ce que je vive selon les règles de leur époque. Personne ne va changer pour lui. Que cela lui plaise ou pas, j’existe. Avant cette histoire, je ne savais même pas qui il était.
- Vendre votre album avec un poster, c’est votre réponse à son insulte?
- C’était un clin d’œil. Beaucoup de gens m’ont demandé un poster sur les réseaux sociaux et j’en ai mis un dans mon album. Au début, je ne voulais pas rentrer dans cette polémique, mais c’était une manière rigolote de répondre.
- Quel message aimeriez-vous laisser à la Hoshi d’aujourd’hui?
- De ne jamais oublier celle que j’ai été avant, quand j’avais 15 ans et que j’avais comme rêve de chanter devant n’importe qui, que ce soit deux personnes, 1000 ou 10 000. Je me souhaiterais de faire le plus d’albums et de concerts possible, de continuer à défendre mes musiques pour les bonnes raisons et surtout de garder mon âme d’enfant.