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Hommage

Hubert Reeves, le lanceur d’alerte fraternel

Les Terriens francophones ont perdu leur meilleur professeur de cosmologie. Hubert Reeves avait 91 ans. L’astrophysicien franco-canadien était aussi un patient porte-parole de la révolution écologique que l’humanité doit entreprendre. Portrait d’un sage modeste.

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Hubert Reeves

Hubert Reeves était à la fois un grand scientifique, un vulgarisateur génial, un écologiste intransigeant mais bienveillant, un sage.

Rudy Waks / modds

Invité un jour en Arabie saoudite, à Riyad, pour donner une conférence sur l’histoire de l’Univers, Hubert Reeves se fait briefer, juste avant sa présentation, par un homme qui lui demande de ne pas parler du Big Bang. Cette version du début du monde sans Allah scandaliserait en effet le public, composé en l’occurrence uniquement d’hommes. Hubert Reeves, toujours soucieux de ne heurter aucune sensibilité, se résout donc à improviser et restreint sa thématique à l’histoire de la Terre.

A l’issue de la conférence, un autre homme s’approche de lui un livre à la main. Le scientifique craint que ce ne soit le Coran et que le monsieur ne vienne demander des comptes à l’hérétique. Mais pas du tout. L’homme tient le premier livre de Reeves, «Patience dans l’azur», et lui dit être venu l’écouter sur le contenu de ce livre, justement, c’est-à-dire sur l’origine et l’histoire du cosmos. Face à cet auditeur déçu, le conférencier décide de rembobiner 10 milliards d’années plus tôt: «J’ai repris le micro et parlé de la conception scientifique de la naissance de l’Univers. Et tout s’est très bien passé. J’ai compris ce jour-là de manière plus claire que jamais que l’humanité est divisée en deux groupes: les personnes ouvertes à la rationalité et celles qui ne le sont pas.»

Hubert Reeves, qui s’est éteint il y a deux semaines à 91 ans, a passé la majeure partie de sa vie incognito. C’est après son premier passage, à l’occasion de la publication de «Patience dans l’azur», dans la fameuse émission littéraire «Apostrophes», en 1981, sur la deuxième chaîne de télévision française, que le big bang de sa notoriété s’est produit, fulgurant, irrémédiable. La francophonie avait été subjuguée ce soir-là par ce crâne cerclé d’une couronne de tignasse, par cette barbe druidique et ce réconfortant accent québécois, mais surtout par cette virtuosité dans la façon de raconter, d’expliquer, de simplifier. Quelques dizaines de minutes d’antenne avaient suffi à ce brillant astrophysicien du CNRS, connu de ses seuls confrères et étudiants, pour convertir des centaines de milliers, voire des millions de citoyennes et citoyens lambda à la cosmologie.

>> Lire aussi: Hommage à Hubert Reeves (l'édito)

«L’astronomie n’intéresse personne...»
 

Ce premier livre de Reeves était lui aussi nouveau dans son genre. Il ne s’agissait pas d’un précis scientifique austère, mais d’un récit personnel, impliquant la trajectoire intellectuelle et émotionnelle de son auteur. «Je voulais, expliquait Hubert Reeves, transmettre le caractère merveilleux des découvertes d’un demi-siècle d’astronomie moderne. Durant ses deux premiers millénaires, l’astronomie était une science un peu froide, car les outils d’observation n’avaient pas permis de comprendre la structure de l’Univers. Mais depuis les années 1920, quand on a commencé à l’entrevoir et à découvrir de plus en plus de choses extraordinaires, l’astronomie est devenue une discipline capable de susciter des émotions fortes, de la stupéfaction, du rêve. Il y avait des choses extraordinaires et pourtant totalement crédibles à raconter. Et c’est ce que je me suis efforcé de faire dans tous mes livres.»

Ce premier tome vendu à des millions d’exemplaires a pourtant failli ne jamais paraître, malgré l’opiniâtreté de son auteur qui avait envoyé le manuscrit à une trentaine d’éditeurs à la fin des années 1970. «Ils me répondaient tous que l’astronomie n’intéressait personne.» Heureusement, un directeur de collection canadien des Editions du Seuil prend, sans conviction, le pari. La combinaison entre l’originalité du bouquin et la performance télévisuelle fait le reste.

Hubert Reeves dans les années 70

Dans les années 1970, il est chargé de recherche au CNRS à Paris. Il n’est encore connu que dans le monde scientifique.

© Michel Gravel, Archives La Presse

A la naissance d’Hubert Reeves à Montréal en 1932, cela ne faisait que sept ans que l’astronome Edwin Hubble avait clos ce qu’on avait appelé le Grand Débat, la controverse scientifique sur la nature des nébuleuses qui avait commencé en 1920. Hubble avait démontré en 1925 qu’une grande partie des petites taches de lumière visibles dans les télescopes n’étaient pas des nuages de matière flottant dans un coin d’espace et illuminés par des étoiles, mais bel et bien d’autres Voies lactées, d’autres galaxies, loin, très loin dans le cosmos. Des milliards d’autres galaxies, renfermant chacune des milliards d’étoiles et qui s’éloignaient les unes des autres à des vitesses dépassant l’imagination. L’Univers, soudain, ne se résumait plus à une suite de formules de mécanique céleste, mais il avait enfin une histoire, une histoire de presque 15 milliards d’années. Il restait à la raconter avec talent. Avec ce savant volubile, bienveillant et compréhensible, l’infini avait enfin un conteur à la hauteur de ces mystères nouvellement dévoilés et de ces énigmes encore irrésolues. «Je tiens sans doute ce talent de ma grand-mère qui était conteuse le soir pour les enfants du village, près de Montréal. Elle brodait avec habileté autour du «Petit Poucet» ou de «Riquet à la houppe», et nous étions tous suspendus à ses lèvres.» 

Hubert Reeves avait développé aussi une culture littéraire et musicale immense, lui qui regrettait de n’avoir pas appris le violoncelle pour jouer les «Quatuors» de Schubert. Et jusqu’à la fin, il entretenait sa mémoire en apprenant des poèmes par cœur. Cela marchait visiblement: il y a quelques jours à peine, comme le relate un bel hommage dans le magazine «Sciences et Avenir», le vieil homme réfléchissait encore avec son ancien étudiant Michel Cassé sur... «le fait que la masse du proton est supérieure à la somme des masses des trois quarks qui le constituent alors que le deutérium est plus léger qu’un proton + un neutron»! Et dans le même magazine, une amie, l’écrivaine et journaliste Anna Alter, venue rendre une dernière visite à l’hôpital à son vieil ami placé sous oxygène, relaie un détail touchant et emblématique sur la bonté du savant: «Nous nous sommes dit au revoir sur cette question intime: «Comment va ton couple?» Hubert ayant été mon témoin de mariage, il s’en sentait responsable, ce qui m’amusait. Il était extraordinairement bienveillant.»


Le sens de la formule, forcément 


Quelques citations d’Hubert Reeves, l’astrophysicien disparu, picorées dans ses livres et ses interviews.

  • «La beauté naît du regard de l’homme. Mais le regard de l’homme naît de la nature.»
  • «Nous ne sommes qu’une espèce parmi tant d’autres. Ajoutons, en passant, que, face aux extinctions multipliées d’espèces dont nous sommes aujourd’hui responsables, nous mériterions, seuls, le qualificatif d’espèce hautement nuisible à l’harmonie et à la préservation de la biodiversité.»
  • «Le vrai problème c’est: «Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?»
  • «Est-ce que la science, en expliquant les couchers de soleil, tue leur magie?»
  • «Mal adapté parce que trop bien nanti, néfaste à l’équilibre biologique de la planète, l’être humain serait-il en définitive une erreur de la nature?»
  • «La question n’est pas de savoir si Dieu existe ou non. Mais plutôt: qui est-Il, et à quoi joue-t-Il?»
  • «Les sciences nous racontent notre histoire: l’astronomie notre passé
  • et l’écologie notre avenir.»
  • «Devenir adulte, c’est reconnaître, sans trop souffrir, que le Père Noël n’existe pas. C’est apprendre à vivre dans le doute et l’incertitude.»
  • Estimer correctement son degré d’ignorance est une étape saine et nécessaire.
  • «Dans quelques décennies, nous ne serons plus, mais nos atomes existeront toujours, poursuivant ailleurs l’élaboration du monde.»
Par Philippe Clot publié le 26 octobre 2023 - 09:26