Quand on retrouve Hugo Clément dans le salon d’un hôtel feutré du Xe arrondissement de Paris, son emploi du temps est millimétré. Ayant fui la capitale pour s’offrir une vie de famille plus iodée du côté de l’Atlantique, ses séjours parisiens ont l’air d’être menés au pas de charge. C’est que le journaliste de 33 ans est en ascension verticale. Après avoir créé sa maison de production pour réaliser des documentaires consacrés à l’urgence environnementale («Sur le front»), il vient de lancer un média d’investigation en ligne (Vakita) où l’écologie est de nouveau centrale et, désormais, une soixantaine de salariés s’affairent dans sa ruche.
Mais si le temps de ce patron sursollicité est compté, son abord reste chaleureux. L’iode est décidément un antistress épatant. Ce fils d’enseignants universitaires (dans la famille, tout le monde est prof, sauf lui) trouve même encore le temps d’écrire sur le sujet qui guide tous ses choix: les dégâts de l’homme sur la nature. Dans «Les lapins ne mangent pas de carottes» (Ed. Fayard), il rappelle que notre vision pyramidale et stigmatisante du vivant est aussi erronée que destructrice. A l’heure où les chercheurs démontrent toujours mieux les capacités de l’intelligence animale, ce plaidoyer pour «changer notre rapport au monde sauvage» touche. De l’empathie du chimpanzé ou de la mangouste à la barbarie des abattoirs industriels, en passant par un refuge pour rescapés d’élevage industriel baptisé GroinGroin et le trafic d’animaux sauvages entretenu par les influenceurs de téléréalité, le journaliste dévoué à la cause tente de sortir ses propres congénères de leur «ignorance sincère». Il est temps. Le compte à rebours climatique est aussi serré que l’agenda d’Hugo Clément ce jour-là. Entretien.
- Vous avez élu domicile à Biarritz. La vie à Paris était-elle devenue si insupportable?
- Hugo Clément: J’ai vécu à Paris parce que c’est un peu un passage obligé quand on commence dans le journalisme, mais j’ai grandi à la campagne et je me suis toujours dit que j’en partirais dès que possible. Et que je n’avais pas envie d’y élever des enfants.
- Vous êtes journaliste ou militant?
- Les deux. Je suis journaliste et militant. Un journaliste engagé.
- Quand est venu votre désir d’engagement?
- Cela a été progressif. Mes reportages m’ont amené à voir ce qui se passait, à la fois sur les questions écologiques et sur les questions plus particulières des animaux. A force d’être confronté à cette réalité, j’ai changé.
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- Vous avez d’ailleurs arrêté de manger de la viande. Il est vrai que les découvertes scientifiques sur l’intelligence et la sensibilité animales font regarder différemment sa propre assiette.
- Tous les animaux sont des individus avec des personnalités et des caractères différents. On a tendance à les voir comme une masse un peu informe, alors qu’en fait nous sommes aussi des animaux. Nous sommes juste une espèce parmi les autres. Et une fois qu’on en a conscience, on peut se retrouver dans une situation de dissonance cognitive: tiraillé entre ses pensées et ses actions qui deviennent contradictoires, en cherchant à les justifier pour les rendre acceptables. On va se dire: «Oui, mais c’est la nature, il faut bien manger des animaux puisque nous sommes omnivores...» Certes, nous le sommes, mais il existe beaucoup d’animaux omnivores quasi végétariens. D’ailleurs, nos propres animaux d’élevage omnivores, notamment les porcs, sont nourris exclusivement avec des végétaux sans que cela nous pose un problème. Il y a donc toute une vision du monde à changer. Car la réduction des violences que nous infligeons aux animaux n’est pas réservée aux végétariens ou aux véganes. Chacun peut réduire le niveau de souffrance en réduisant sa consommation de viande.
- Le but de votre livre est de donner envie d’arrêter la viande?
- C’est d’arriver à déclencher un changement de regard. Mais je ne suis ni dans une course à la pureté, ni celui qui dira ce que les autres doivent faire. Ce serait même déplacé puisque, durant vingt-cinq ans, j’ai mangé beaucoup de viande et de poisson sans me poser de question. Je souhaite seulement informer, puisque c’est ce qui m’a fait changer. En ce moment, je rencontre d’ailleurs beaucoup de gens qui me confient vouloir tout arrêter, sans y arriver complètement. Mais l’idée n’est pas de vivre avec un sentiment de frustration. Mon message n’est pas «devenez végétariens ou véganes», mais «réagissons tous ensemble, de manière urgente, afin de réduire globalement le niveau de consommation qui impacte les animaux, et surtout les animaux que nous sommes nous, jusqu’à menacer notre existence même sur cette planète».
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- Notre surconsommation de viande affecte effectivement l’environnement. Vous rappelez vous-même, et c’est désespérant, que l’Amazonie se transforme en savane.
- Voir l’état dans lequel se trouve la plus grande forêt primaire du monde a effectivement été un choc pour moi. Or la première cause de déforestation en Amazonie est l’élevage. On pourrait penser que ce sont les mines, l’exploitation des ressources naturelles ou du bois. Elles rentrent en compte, mais on détruit d’abord la forêt pour des cultures qui vont servir à nourrir les animaux d’élevage. Et tous les rapports scientifiques sont clairs: la meilleure manière d’agir contre la déforestation est de réduire notre consommation de viande.
- Etes-vous plus sensible à la cause animale ou à la cause environnementale?
- Il existe une seule et même cause à mon sens, et on ne peut pas être écolo sans tenir compte de la question animale. Elle paraît même centrale dans le combat écologique. Pourquoi cherche-t-on à préserver des écosystèmes si ce n’est pour sauver les animaux qui y habitent, humains inclus?
- Vous dites que vous n’êtes pas dans la pureté. Est-ce par rapport à ce que certains voient comme une radicalité chez une partie des militants?
- Je trouve que l’excès est surtout porté par ceux qui essaient d’assigner aux personnes qui parlent d’environnement et d’animaux l’obligation d’être exemplaires. Tous ces gens qui disent: «Oui, d’accord, tu as arrêté de manger de la viande, mais tu prends encore l’avion.» Ou l’inverse, puisque ce raisonnement marche dans tous les sens. Personnellement, je fuis ce genre de discussions comme la peste et j’essaie au contraire de valoriser tous ceux qui décident de changer quelque chose, même si on estime que ça ne va pas assez loin. Je suis le premier à dire qu’on ne va pas assez loin, ni assez vite, mais je sais aussi saluer les quelques décisions qui vont dans le bon sens. Parce qu’un changement massif ne peut se faire que dans la bienveillance.
- Quand des jeunes ont jeté de la soupe sur la vitre d’un Van Gogh, vous avez déclaré sur Twitter que ce n’était pas malin. Devant l’urgence climatique, vous n’êtes pas pour l’action directe?
- Je suis pour l’action directe, mais qui a un sens. Là, j’ai trouvé cela un peu stupide, car on sait bien le type de réactions qui suit après. On ne s’est pas mis à inviter des scientifiques du GIEC pour parler du réchauffement climatique. Non, on a lancé des débats pour savoir si c’est bien ou pas de jeter de la soupe. Cela fait parler, d’accord, mais de quoi? Je préfère l’action directe qui vise directement les responsables de projets destructeurs pour l’environnement, et tant qu’elle reste non violente. S’enchaîner à un bulldozer qui doit raser une forêt est pour moi de l’action directe légitime, de l’action de résistance. On aurait d’ailleurs pu parler de ceux qui ont remporté un combat à La Clusaz en occupant un bois promis à la destruction. C’est de l’action directe qui fonctionne puisque le projet a été suspendu par un tribunal. Je passe mon temps avec des activistes sur le terrain qui font de l’action directe pour l’environnement et qui sont assez en colère de voir ce qui attire l’attention des médias.
- En même temps, ces activistes sont souvent jeunes.
- Oui, bien sûr, et je faisais aussi des conneries lorsque j’étais jeune. C’est pour cela que je choisis mes mots. Je trouve cela idiot, mais pas autant que tous ces éditorialistes qui disent que, maintenant, le nouveau terrorisme est l’écologie. Ce ne sont évidemment pas des gens dangereux, mais des jeunes, avec l’excès d’une certaine forme de militantisme qui ne réfléchit pas toujours aux conséquences concrètes de ses actions.
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- Les jeunes sont également les premiers à souffrir d’éco-anxiété. Vous en souffrez aussi, ne serait-ce qu’en tant que père?
- Non, car j’ai la chance d’être sur le terrain, avec les scientifiques, les activistes et les ingénieurs qui proposent des solutions. Et je pense vraiment que l’espoir est du côté de l’action. C’est le meilleur remède à l’éco-anxiété. Quand on fait des choses, qu’elles fonctionnent ou pas d’ailleurs, puisqu’il n’y a aucune garantie, on se protège du sentiment d’impuissance. Et je conseille à tous les jeunes qui ressentent cette anxiété-là de s’engager dans des associations et de faire des choses.
- Dans votre ouvrage, vous évoquez votre affection pour le renard, «ce beau mammifère sauvage, discret, vif, élégant». C’est votre animal préféré?
- J’aime bien le renard, mais j’ai aussi une grande fascination pour le lynx du Jura. Lui aussi est beau, mystérieux, et tellement discret.
- A force de dénoncer leurs pratiques, les chasseurs ont l’air de vous détester. C’est réciproque?
- Peut-être qu’ils ne m’aiment pas, je n’en sais rien, en tout cas, moi, je n’ai rien contre eux. D’ailleurs, je ne suis pas contre la chasse, dans la mesure où elle permet de survivre. Si par exemple on est une tribu dans la forêt amazonienne qui n’a pas d’autre ressource alimentaire, je ne vois pas comment nous pourrions être contre cela. Mais il existe une chasse de loisir qui a un rapport problématique au monde sauvage, car il est cruel et impacte la biodiversité. En France, on élève des millions de faisans et de perdrix pour les lâcher au cul du camion et leur tirer dessus, encore désorientés. S’amuser à tirer sur des cibles vivantes n’est pas la chasse telle qu’elle a participé à construire l’humanité.
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- Pourquoi l’écologie crispe toujours autant de monde?
- Parce que cela touche à notre quotidien et à nos modes de vie. Elle touche le métier des gens, leur mobilité, leurs loisirs, leur alimentation: l’intime, en fait. Et forcément, c’est clivant. Mais il faut justement essayer de contourner cet obstacle afin de comprendre que nous n’avons plus le choix. Le changement doit être décidé dans la bonne volonté, parce que les conséquences de l’absence de changement risquent d’être bien plus intenses et désagréables que le changement lui-même. Plus on attend, plus les choses à faire seront radicales, difficiles à accepter et conflictuelles.