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Isabelle Caillat: «Le monde va trop vite pour moi»

Aux côtés d’André Dussollier, elle tient avec autorité le premier rôle de «Cellule de crise», minisérie passionnante de politique-fiction diffusée sur la RTS. Pour L’illustré, la discrète Isabelle Caillat a accepté de se révéler chez elle, à Genève.

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La comédienne Isabelle Caillat en promenade dans un parc genevois. Julie de Tribolet

Ce qui frappe d’emblée chez Isabelle Caillat, fil rouge de «Cellule de crise»*, nouvelle série de politique-fiction réalisée par Jacob Berger, c’est sa retenue. Sa délicatesse aussi. La grâce d’une ballerine. Regard lumineux. Elle nous accueille chez elle, à Genève, dans un immeuble ancien de Champel. Le plafond est un peu fatigué. La bibliothèque bordélique. Il fait cru. La petite Louise est à l’école enfantine. Serge, le mari, s’efface. «Thé vert? Café?» interroge notre hôte de sa petite voix.

Dans «Cellule de crise», Isabelle Caillat incarne Suzanne Fontana, l’héroïne, prof de droit international à l’Université de Fribourg, qu’un vieux briscard de la diplomatie, joué par André Dussollier, va propulser à la tête du Haut Commissariat international humanitaire (HICH), après un attentat au Proche-Orient qui a décapité l’institution.

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Le poirier? De la rigolade pour Isabelle Caillat, qui confie faire régulièrement du yoga. Julie de Tribolet

«J’ai l’impression que je n’étais pas un choix évident, confie Isabelle Caillat. J’ai dû dompter ma peur, me faire à l’idée que j’allais devoir gagner ma place.» Elle choisit ses mots avec soin, parle sans précipitation. «Oui, je suis un peu lente, concède-t-elle. C’est ma nature.» Fragilité palpable. «Avec le recul, je me dis que c’était peut-être pas mal de le vivre ainsi, mon personnage se posant aussi, en permanence, la question de sa légitimité dans le regard des autres.» Bien vu.

Ce qui l’a séduite dans le rôle? «Suzanne est une femme libre, complexe. Une instinctive. Une aventurière aussi. Ses convictions profondes sont nourries par une pratique juridique. Moi, je ne suis pas juriste, mais il y en a beaucoup dans ma famille. Je suis sensible à cette façon de penser, de se représenter le monde, où chaque décision entraîne des conséquences qu’il faut assumer.»

Le réalisateur Jacob Berger l’a poussée à s’affirmer, jusque dans la voix. Elle s’est hissée à la hauteur de ses partenaires de jeu: «André (Dussollier, ndlr) a été adorable. Je n’ai pas du tout eu l’impression de devoir gagner ma place auprès de lui. Il y a une telle densité dans sa présence qu’il vous emporte, littéralement. C’est très rassurant.»

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Annoté, surligné, commenté par l’actrice: le scénario original de «Cellule de crise», série diffusée sur la RTS. Julie de Tribolet

Lors d’une lecture antérieure au tournage, Jean-François Balmer lui a soufflé: «C’est fantastique ce qu’il vous arrive. Ne laissez pas vos peurs et vos doutes vous envahir, emparez-vous du rôle! C’est votre moment. Profitez-en!» Touchée, elle a suivi son conseil.

Le tournage s’est déroulé de septembre à fin novembre 2019 à Genève, à Berne, à Fribourg et au Luxembourg, puis ce printemps dans la province d’Almeria, en Andalousie, choisie pour sa ressemblance avec le Yémen, théâtre des opérations.

Isabelle Caillat connaissait la Genève internationale, si secrète pour la plupart d’entre nous. «Ma grand-mère a travaillé au Musée de la Croix-Rouge. Je suis petite-fille de diplomates. Du côté de ma maman, j’ai de la famille qui a vécu la violence en Haïti. La question du rapport au monde, du rapport à la souffrance des autres m’a toujours taraudée, je crois.» A-t-elle été tentée par l’action humanitaire? «A l’adolescence, j’ai dû y songer. Je pense qu’on a le devoir de participer positivement au cours du monde. Ça vient peut-être de mon éducation religieuse. J’ai néanmoins vite compris que je n’avais pas forcément le goût du sacrifice pour m’épanouir dans ce domaine.»

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Isabelle Caillat est d’origine haïtienne du côté de Monique, sa maman (ici lui donnant le biberon), et de père suisse.

D’une sensibilité à fleur de peau, Isabelle Caillat est une femme qui se questionne beaucoup. Le contraire d’une actrice pleine de certitudes. Elle a besoin d’être rassurée. Serge, assistant réalisateur de profession, l’accompagne depuis quatorze ans. Ils se complètent. Après avoir vécu à Paris, ils sont rentrés à Genève juste après la naissance de Louise, qui a 3 ans.

Cela ne saute pas aux yeux, pourtant, Isabelle Caillat, deuxième de trois enfants, est métisse, de père suisse et de mère haïtienne. Elle est née à New York, où ses parents étaient partis compléter leurs études. Milieu aisé. Patrice, le père, travaille dans la finance. Monique, la maman, est avocate. Ils habitent tout près, aux abords du parc Bertrand, point de ralliement de toute la famille.

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Isabelle Caillat  (à dr.) est restée très proche de son frère aîné Laurent, qui vit maintenant à New York, et de Sophie, la cadette (ici encore bébé).

Enfant, Isabelle aimait «chanter et inventer des histoires» avec Laurent, son frère aîné, et sa petite sœur Sophie. Elle trouvait «assez chic» de dire qu’elle était née à New York, mais sa peau claire était un problème. «J’aurais aimé que mes origines haïtiennes se voient! Comme ce n’était pas le cas, j’avais besoin de revendiquer cette origine.» L’importance des racines. «A Genève, j’ai longtemps ressenti un manque, un décalage. Je ne me sentais pas complètement d’ici.» Elle le réglera en explorant seule New York, ville qu’elle a quittée juste après sa naissance, mais où réside encore une large part de sa famille haïtienne.

Isabelle Caillat a fait toutes ses classes à Genève, dans le privé au primaire, puis à l’école publique: Cycle de la Florence, Collège Calvin. «J’ai adoré l’école! J’étais angoissée, mais extrêmement studieuse et... très bonne élève.» Fierté teintée de gêne.

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Formée notamment à New York, la comédienne Isabelle Caillat a trouvé son équilibre à Genève. Julie de Tribolet

Comment la jeune élève introvertie s’est-elle retrouvée actrice, à focaliser l’attention? Elle sourit. «Vers la fin de l’école primaire, mes meilleures amies prenaient des cours de théâtre, se souvient-elle. J’ai voulu faire comme elles.»

La rencontre avec Claude Delon, professeure de théâtre aujourd’hui disparue, va changer sa vie. «J’ai une immense reconnaissance pour elle. Il faut dire que, pour moi, rien n’allait de soi, parce que ma timidité, qui ne m’attrapait pas trop à l’école, me submergeait au théâtre. Claude Delon a pourtant décelé mon besoin d’expression. Elle m’a aussi donné l’envie d’aller puiser des choses en moi.» Leur collaboration durera plus de dix ans.

Après sa matu, Isabelle envisage sans conviction d’étudier les lettres à l’université. En réalité, elle a «déjà très envie de devenir comédienne». Durant l’été, elle s’envole pour New York. «J’ai suivi là-bas un stage d’acting qui m’a bien secouée. On nous poussait dans nos retranchements les plus intimes. C’était super intense.» Bouleversement.

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Sur un meuble chez elle, un joyeux fourbi, condensé de la vie d’Isabelle Caillat en 2020. Julie de Tribolet

Rentrée en Suisse, son expérience universitaire tourne au cauchemar. «La première année, ça a tenu, mais en cours de deuxième année, j’ai craqué. Je n’étais pas du tout à ma place.» Désécurisée, perdue, elle arrête tout. «J’ai ensuite passé un an à réfléchir, à tâcher de me consolider, avec l’aide d’une psy. Ce travail, hyper-bénéfique, m’a apaisée. Il m’a aussi permis d’y voir plus clair.» Isabelle Caillat sera actrice. A 23 ans, elle repart seule à Manhattan, où elle rejoint le Stella Adler Studio of Acting pour sa formation. L’épanouissement, enfin.

Près de vingt ans plus tard, elle n’a aucun regret. Elle a fondé sa propre famille et s’est fixée à Genève. L’année qui s’achève n’a cependant pas été simple, pandémie oblige. En mars, elle jouait sur scène «Le sexe, c’est dégoûtant», d’Antoine Jaccoud, quand tout s’est arrêté. «Au tout début, je me souviens avoir pensé qu’un ralentissement était bienvenu. Je ne suis pas en harmonie avec le rythme du monde. Tout va trop vite pour moi.» L’enfermement, l’isolement et un horizon professionnel bouché ont toutefois rapidement réveillé ses angoisses.

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Isabelle Caillat et son mari Serge, ici réunis dans leur cuisine, ont noué depuis quatorze ans une complicité ponctuée d’éclats de rire. Julie de Tribolet

Sa fragilité de jeune maman de 42 ans n’a rien arrangé. «Ma fille a l’âge où l’on veut tout toucher, tout ressentir, aller vers les autres. En la voyant coupée dans son élan, j’ai sombré dans un profond désespoir. La voir éclater en sanglots un jour au parc, c’était dur.» Ses yeux se mouillent en revivant la scène.

«Avec l’aide de ma psy, que je vois depuis longtemps, de ma famille, de mes amis, j’ai réussi à me rassurer un peu, affirme-t-elle. J’ai aussi repris espoir en parlant avec des jeunes de mon entourage, qui sont restés optimistes malgré tout.» Enfin, répétitions et tournages ont redémarré. Ne manquent que les trois coups sur scène.

>> A voir sur la RTS, «Cellule de crise», minisérie créée par Philippe Safir, François Legrand et Jacob Berger, et réalisée par ce dernier.


Par Blaise Calame publié le 10 décembre 2020 - 08:32, modifié 18 janvier 2021 - 21:16