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«J’ai découvert le secret de la joie»

En 2018, Isabelle Alexandrine Bourgeois a décidé de faire le tour de l’Europe en camping-car afin d’aller à la rencontre de gens profondément joyeux. Elle a écrit un livre sur ses aventures, qui est en cinquième place des meilleures ventes en Suisse. La Suissesse repart cet été, dans son pays, afin de recueillir des témoignages de personnalités inspirantes.

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Julie de Tribolet

Isabelle Alexandrine Bourgeois a passé son enfance dans un château, à Giez, mais sa maison, c’est son camping-car, baptisé Begoodee, un espace de 12 m2 décoré comme une roulotte, dans lequel elle a parcouru 40 000 kilomètres en 2018, lors d’un voyage qui relevait d’une quête: comprendre le mystère de la joie.


Cette journaliste, qui travaille pour le magazine du Corps suisse d’aide humanitaire (DFAE), a eu plusieurs vies et tout autant de métiers. Elle fut déléguée au CICR, livreuse de poisson, secrétaire, tourneuse de fondue, rédactrice en chef, fondatrice d’une agence de voyages solidaires, dessinatrice, chroniqueuse de télé, célébrante laïque pour les funérailles, animatrice en constellation familiale, auteure, et on en oublie sûrement. En 2018, elle a décidé de sillonner les routes de l’Europe afin de découvrir la source de la joie. L’a-t-elle découverte? Pour le savoir, il faut lire son livre, La route de la joie, ou bien il faut l’écouter nous raconter ce périple particulier.


On ne part pas comme cela, au volant d’un mammouth d’acier sans direction assistée, avec son chien Ulysse le bien nommé, pour aller rencontrer d’hypothétiques esprits libres et joyeux, sans aucun autre plan que d’avancer au pifomètre. Un voyage comme cela se prépare et, pour Isabelle, la préparation aura duré une demi-vie. La joie, c’est sa quête. Certains cherchent Dieu, Isabelle, elle, recherche des rires et des sourires, la liberté et, peut-être, rencontrera-t-elle Dieu au passage, mais elle n’a pas cette prétention.

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La globe-trotteuse avec son nouveau chien Lovski, trouvé en Pologne. Julie de Tribolet


Son père, Jean Bourgeois, était ambassadeur de Suisse à l’étranger, et copropriétaire du château de Giez, où elle a grandi avec sa sœur Diane, une artiste peintre. Cette enfance-là est fondatrice: l’imaginaire d’Isabelle est né dans les murs de cette bâtisse qui est entre les mains de sa famille depuis cinq cents ans. Enfant, elle a passé son temps à jouer dans le grenier, se déguisant avec les vêtements de ses ancêtres. «Mon père m’avait dit qu’il y avait un souterrain dans le château, alors j’ai démonté cette baraque, j’ai fait des trous dans le parc du jardin, en plus de ceux des taupes, pour trouver ce souterrain que je n’ai jamais déniché. Mais la quête était plus puissante que la découverte. Chercher des trésors, c’est le moteur de ma vie. Mon père cachait des énigmes pour moi dans de vieux livres d’histoire, entre deux dalles, dans des instruments de musique anciens et, à la fin, je gagnais des pièces d’or en chocolat.»


A force de creuser, Isabelle a réussi quand même à trouver quelque chose: «Une crypte à l’église de Grandson, où se trouve notre chapelle de famille. A minuit, avec des copines, on a découvert une dalle sous l’autel. Nous devions avoir 12 ou 13 ans. Nous l’avons soulevée, nous sommes descendues à la corde dans la crypte et nous nous sommes retrouvées avec un tas d’ossements. C’était magique!»
Après le château, et le divorce de ses parents, la jeune fille va vivre à Bernex, chez son beau-père. «Malgré une enfance compliquée, j’ai toujours été une petite fille joyeuse. Je suis née avec cette graine, que j’ai cultivée toute ma vie. J’ai choisi d’être dans la caricature de l’existence et de moi-même, ce qui m’a permis de prendre de la distance par rapport à la gravité des choses, raison pour laquelle je fais beaucoup de bandes dessinées. Mon imagination m’a aidée à traverser les épreuves par l’autodérision et l’humour.»

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Au volant de Begoodee, son camping-car Fiat Ducato de 1993, Isabelle part cette fois à la rencontre des Suisses. Julie de Tribolet


Après des études de sciences politiques et de journalisme, elle écrit pour la presse romande, puis, au détour d’un voyage en Egypte, elle tombe amoureuse d’un guide du désert «que j’ai rencontré au pied du Buisson ardent au monastère Sainte-Catherine, dans le Sinaï. Nous nous sommes mariés, nous avons vécu au Caire pendant quatre ans dans un petit appartement, avec Théa, ma chienne, que j’avais trouvée dans les rues, un chat et un bébé faucon que mon mari avait ramassé après qu’il fut tombé d’un nid.» Cinq ans plus tard, ils se sont séparés.
A son retour d’Egypte, complètement fauchée, elle a vendu du poisson dans une pisciculture en circuit fermé au Bouveret, où elle était aussi secrétaire de direction. «J’allais livrer chez Manor en talons hauts! (Rires.) Puis j’ai servi des fondues au Soliat, au Creux-du-Van, à l’alpage, et, en 1999, j’ai été engagée jusqu’en 2011 comme déléguée du CICR (Comité international de la Croix-Rouge), chargée de communication et rédactrice en chef du journal interne.»
On l’a envoyée au Kosovo, en Ethiopie, en Iran, en Irak, à Bassora, en 2003, en pleine guerre. «Et c’est là que j’ai eu un déclic. J’ai vu le décalage qui existait entre la vie dont j’étais témoin – beaucoup de solidarité, de courage et de fraternité – et le compte rendu qu’en faisaient les télévisions, qui ne montraient que les horreurs de la guerre. C’était une forme de manipulation des consciences par omission de ce qui se fait de beau, même en pleine guerre. Et du coup, j’ai pris la décision de créer un site que j’ai appelé Planet Positive, une compilation de nouvelles inspirantes en provenance du monde entier.»

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Rechercher la source de la joie, c’est aussi prendre du temps pour soi, pour écrire son blog et son livre, pour dessiner. Julie de Tribolet


Un jour, elle reçoit un e-mail annonçant la première marche pour la paix et la non-violence: 150 000 kilomètres et 76 pays traversés. «Je suis partie comme porte-parole pour les médias internationaux. On a voyagé en avion, en pirogue, en calèche, à vélo, et on marchait 15 kilomètres par jour dans les capitales. C’est pendant cette marche que j’ai rencontré, par hasard, l’un des preneurs d’otage de mon papa.» En 1984, Jean Bourgeois avait été pris en otage, avec une dizaine d’ambassadeurs et le nonce apostolique, par le groupe M19, à Bogota. Il a été libéré après deux mois, mais cette histoire a laissé des cicatrices dans la famille. «J’avais 12 ans à l’époque.» Et voilà que, trente ans plus tard, ses pas la conduisent à la rencontre de celui qui avait orchestré la prise d’otage de son père et qui n’était autre que l’homme qui accueillait les marcheurs: le gouverneur de la province de Nariño. «Je me suis dit que si je m’engageais pour la paix, c’était le moment d’être cohérente et qu’il me fallait l’assumer, cette marche! On m’a présenté cet homme. Il portait un costume avec un carré de soie autour du cou, il était très chic. On m’a présentée comme la fille de l’un de ses anciens otages. Il est resté silencieux avant de me parler: «Je suis devenu un homme pacifiste et non violent, c’est pour cela que j’ai accueilli la marche pour la paix. Et quand je vois la peine que cela vous fait encore aujourd’hui, je crois qu’il est temps de vous demander pardon.» Et à ce moment j’ai fondu en larmes et il m’a prise dans ses bras. A cet instant, il n’y avait plus de victime, de bourreau, de gentil, de méchant, de Colombien, de Suissesse, de fille d’otage, d’ancien guérilléro. Toutes ces étiquettes s’étaient effacées. Ce fut un grand moment de réparation.»


«J’ai essayé de proposer aux rédactions des chroniques positives, mais on ne prenait pas ma démarche au sérieux. On me disait qu’une bonne nouvelle n’était pas une nouvelle. En 2017, puisque aucun organe de presse ne voulait de mes récits, l’idée de faire le tour de l’Europe de la joie a germé dans ma tête.»

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Reinier Sijpkens, qui enchante les promeneurs le long des canaux d’Amsterdam. Ben Deiman


Un ami d’enfance lui a offert un vieux camping-car Fiat Ducato de 1993, doté d’une cou-chette, d’un espace de vie, d’une douche et d’un WC, et elle est partie le 22 janvier 2018 faire le tour de l’Europe. Grâce à un financement participatif, elle a réussi à lever des fonds pour payer une partie de l’essence, ses transferts en ferry et les coups de pouce donnés en chemin. Tout le reste, soit 500 publications sur son blog, sa chronique à la Radio suisse romande, plus de 80 vidéos et une centaine de dessins, a été réalisé bénévolement. «J’ai notamment pu aider une jeune fille magnifique en Roumanie, qui était à la rue. Je lui ai donné 500 francs tirés de la Cagnotte de la Joie et elle a réussi à rebondir grâce à cela. Depuis, elle a eu un bébé et est heureuse comme tout.»


Qui est la personne la plus joyeuse qu’elle ait rencontrée? «De loin Reinier Sijpkens, l’enchanteur des canaux d’Amsterdam! Il a construit un bateau grand comme une coquille de noix et, tous les jours de l’année, il le jette à l’eau et joue de l’orgue de Barbarie et de la trompette pour les promeneurs. Il se poste sous les ponts, là où il n’y a personne, il commence à jouer, et ceux qui sont attirés viennent. Ensuite, il accroche un petit sabot au bout de sa canne à pêche et ramasse des pièces de monnaie. Il n’impose pas sa joie; ceux qui sont prêts à butiner viennent d’eux-mêmes. Il vit dans une petite maison flamande avec des vitraux de toutes les couleurs. Il est devenu célèbre, il est invité à la télé, il a même été fait chevalier par la reine. Pendant le confinement, il est allé sur les canaux et a joué gracieusement pour les gens confinés qui l’écoutaient depuis leur balcon. Lui, c’est un joyeux, un esprit libre, qui n’attend rien de l’extérieur pour construire son propre bonheur.»


Le livre d’Isabelle Alexandrine Bourgeois est peuplé de ces personnages improbables qui semblent avoir été inventés pour elle. Le Polonais Miroslaw Angielczyk, par exemple. Sa grand-mère, qu’il adorait, était cueilleuse. Elle lui a appris tout son savoir et l’emmenait sur les marchés pour vendre des herbes médicinales. Lorsqu’il a eu 11 ans, elle a considéré que son enseignement était terminé et l’a laissé continuer seul. «Aujourd’hui, il est devenu le plus grand producteur de produits bios de Pologne! Il a un business model vertueux, une ferme extraordinaire, un jardin botanique somptueux et, en plus, il gagne de l’argent avec ça, tout en étant dans le respect de la vie!» s’extasie Isabelle.


Au fil des pages, on se passionne pour l’aventure de Jean-Jacques Savin, qui a traversé l’Atlantique dans un tonneau. «La recette du bonheur, pour lui, c’est l’aventure, oser prendre des risques! Je l’avais rencontré dans un port ostréicole dans le bassin d’Arcachon. Grâce en partie à la vidéo que j’avais faite sur lui, il a réussi à récolter 60 000 euros. Il a ainsi pu construire son tonneau, s’est jeté au large des Canaries et est arrivé quatre mois plus tard aux Caraïbes, poussé par la seule force des courants marins et des alizés. Il a écrit un livre sur son aventure, d’ailleurs.»

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Le tonneau de Jean-Jacques Savin.


«Pendant ce voyage, c’est la première fois de ma vie que je me suis sentie être la bonne personne, au bon endroit, au bon moment.» Bien sûr, il y a eu des moments difficiles, comme la mort de son chien Ulysse. Ou le jour de sa traversée de la Corse, de Solenzara à Ajaccio en passant par les montagnes. «Je devais aller à Ajaccio pour réparer mon chauffe-eau, car mon camping-car avait failli prendre feu. Je suis passée par des cols, en plein mois de février, il y avait une tempête de neige, du verglas, des précipices. J’ai vraiment eu peur! J’ai conduit en première tout le long et j’ai mis huit heures pour faire 128 kilomètres.» Mais c’est aussi en cheminant qu’Isabelle a rencontré Lovski, en Pologne. Un chien sans maître qui semblait attendre sa venue et qui est devenu son compagnon de route. «Pendant mon voyage, j’ai compris que si l’on souhaite aider une personne, on doit respecter son libre arbitre: ce que l’on croit être bon pour l’autre, ce n’est pas forcément ce qu’il veut pour lui.» Cette démarche lui a valu le Prix Robert Scheimbet 2018, remis par la Société genevoise d’utilité publique, et une médaille décernée pendant le GoodFestival la même année.


A peine revenue, Isabelle est déjà sur le départ. Un nouveau projet, Joy for Switzerland, réalisé en partenariat avec La ligne de cœur, va la conduire sur les routes de Suisse, avec Begoodee. «Pourquoi ne pas aller au-devant des Suisses qui ont beaucoup à offrir au monde et leur demander la recette d’une forme d’harmonie individuelle et collective? Je vais traverser tous les cantons en quête d’enseignements et peut-être de réponses à la crise. J’ai envie de donner de la visibilité à ces Suisses inventifs qui construisent le monde de demain. Je m’intéresse aussi aux libres penseurs qui ne subissent aucune influence, ni de leur entourage, ni de la société. La joie, c’est de vivre et de penser par soi-même», explique-t-elle.


Durant ce nouveau périple, Isabelle se propose aussi d’être la factrice de la gratitude. «J’aimerais que des gens me confient une lettre de remerciement destinée à une personne qui a fait pour eux quelque chose d’extraordinaire. Je m’engage à la délivrer et à montrer cette énergie de la gratitude.» Appel aux intéressés! Et elle cite cette phrase d’Albert Schweitzer: «L’exemplarité n’est pas une façon d’influencer les autres. C’est la seule.»


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«La route de la joie, une journaliste à la rencontre de personnes ordinaires extraordinaires», d’Isabelle Alexandrine Bourgeois, Editions Ambre, janvier 2020.
Pour vivre sa nouvelle aventure en direct sur son blog: www.joyfortheplanet.org


Par Isabelle Cerboneschi publié le 27 juillet 2020 - 08:44, modifié 18 janvier 2021 - 21:12