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Drame

«Jamais on n’aurait pensé que Priscilla irait jusque-là…»

Le 5 mai dernier, Priscilla Mayor, maman, musicienne et artiste très appréciée en Valais, se jetait au fond des gorges du Trient. Cette jeune femme de 33 ans était prisonnière d’une dépression post-partum sous-estimée par plusieurs professionnels de la santé. Ses parents nous racontent ce drame dans l’espoir d’en éviter d’autres.

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Inès et Paul Mac Bonvin, les parents de Priscilla

Inès et Paul Mac Bonvin font face. Leur fille aînée avait été ardemment désirée. Dans sa jeunesse, Inès souffrait d’une endométriose qui l’empêchait de tomber enceinte.

Blaise Kormann

«Priscilla avait tout entre les mains. L’amour d’un mari et de leurs deux fils, le talent, la joie… Elle aimait la vie et les gens et les gens l’aimaient. C’est la dernière personne qu’on aurait imaginé partir comme ça… Mais la dépression post-partum est un mal pernicieux et insidieux qui peut frapper n’importe quelle jeune maman…» Inès et Paul Mac Bonvin, le célèbre chanteur de country valaisan, font face. Le 5 mai dernier, au petit matin, leur fille aînée «tant aimée et tant désirée», Priscilla Mayor s’est jetée dans les profondeurs des gorges du Trient depuis le tristement célèbre pont de Gueuroz... Le couple en deuil nous a reçus au Rimrock, leur mazot d’alpage, en espérant que son «drame puisse au moins servir à en éviter d’autres».

Ce chalet du hameau du Got, situé sur les hauts d’Arbaz (VS), fut le théâtre et le témoin du bonheur familial des Bonvin. Devant est plantée une grande croix que Paul avait taillée dans un mélèze avec son fils et sur laquelle ils avaient gravé: «Dieu protège le Got». A l’intérieur, au mur, trône une photo encadrée où Priscilla, son frère Nelson et leurs parents prennent fièrement la pose avec le légendaire Jerry Lee Lewis. C’est d’ailleurs à un autre pionnier du rock’n’roll, Elvis Presley, que Priscilla devait son prénom. «La musique nous a soudés et elle nous guérira», commente pudiquement Paul. Le père endeuillé confesse «avoir déjà pleuré toutes les larmes de [son] corps». Samedi passé, à Chamoson, lui et son fils ont honoré l’engagement d’un concert pris par la disparue, qui chantait et jouait de la guitare avec un talent rare, en laissant entre eux symboliquement sa place vide. «Pour lui rendre hommage et pour que la vie et le spectacle continuent…» résume Paul.

La famille Bonvin photographiée avec Jerry Lee Lewis

La famille Bonvin avait eu l’occasion de rencontrer Jerry Lee Lewis  (à g.) lors d’un festival du côté de Bayonne en 1997. La rock star est l’idole de jeunesse de Paul Mac Bonvin. Priscilla est en bas à dr. dans les bras de sa maman.

Archive familiale/Blaise Kormann

Une angoisse obsédante
 

La Valaisanne avait 33 ans. Elle se produisait régulièrement sur scène avec son père et son frère et allait sortir un disque de huit chansons écrites et composées de sa main. A côté de ça, elle rencontrait un certain succès avec Blackdust, sa petite entreprise de fabrication artisanale de sangles de guitare. Voici quatre ans, elle avait donné naissance à Morgan. Et le 7 novembre dernier, Marvin était venu rejoindre la joyeuse petite famille qu’elle formait avec son mari. La jeune maman semblait tout d’abord souffrir d’un baby-blues. Puis s’y est ajoutée l’hospitalisation au CHUV de son bébé pour une bronchiolite sévère nécessitant de l’intuber. «Priscilla était restée à son chevet dix jours et, après les fêtes de Noël, elle n’était pas bien et pleurait souvent», se souvient Inès. Un suivi psychologique est alors mis en place. La trentenaire est confiée à une jeune psychologue dans la vingtaine. Dans un premier temps, elle semble aller mieux, mais le feu de la dépression prend pourtant sur ces cendres encore fumantes, voici environ deux mois.

«Depuis, ma fille avait le regard vide. Elle me disait vivre dans l’angoisse et que, lorsqu’elle en parlait, personne ne la croyait», confie Inès Bonvin. Devant son mari, Priscilla s’efforce de faire bonne figure. Sa mère est l’une des rares personnes face auxquelles elle s’autorise des larmes. «Je risque de faire des bêtises. J’ai les deux enfants. J’ai peur. J’ai l’impression que quelqu’un me veut du mal et ça m’obsède toute la journée», lui lâche-t-elle. La jeune femme finit par confier qu’elle entend des voix mais n’explicite pas assez clairement ce qu’elles lui demandent. Inès comprendra trop tard qu’elles la poussaient à en finir. Sa foi catholique fervente et le chapelet de sa grand-maman que Priscilla conserve précieusement dans son porte-monnaie ne suffisent plus à la protéger de ses angoisses. A deux reprises, Inès Bonvin reçoit l’appel téléphonique d’une bonne copine médium, avec qui elle n’a eu aucun échange depuis des mois. Cette dernière l’avertit avec inquiétude: «Priscilla est en grand danger!»

Une erreur de jugement mortelle
 

Le 10 avril, Inès Bonvin conduit sa fille aux urgences de l’hôpital de Martigny. La jeune femme est déjà à bout malgré les anxiolytiques. Ses ongles sont rongés jusqu’à la peau et elle ne mange plus guère. Impuissante face à cette profonde détresse, sa mère espère la voir hospitalisée en psychiatrie. Moins d’une heure et demie plus tard, Priscilla revient vers elle. L’hôpital a décidé de ne pas la garder et lui conseille simplement de prendre rendez-vous avec sa psychologue le lendemain... Inès Bonvin insiste et prévient: «Si je repars avec ma fille, je vous tiendrai entièrement responsable de la suite!» Sa mise en garde restera malheureusement sans effet. 

De nature joyeuse et généreuse. Dure au mal et ultrasensible en même temps, Priscilla Mayor a été victime d’une maladie parfois encore un peu taboue: la dépression post-partum.

De nature joyeuse et généreuse. Dure au mal et ultrasensible en même temps, Priscilla Mayor a été victime d’une maladie parfois encore un peu taboue: la dépression post-partum.

Sedrik Nemeth

La descente aux enfers de Priscilla continue. Le samedi précédant son geste fatal, la Valaisanne donne un concert de soutien en l’honneur du skieur Christophe Torrent avec son papa et son frère dans leur village d’Arbaz. Là, elle est comme absente. Son chant et son jeu sont sans âme. Son frère est très inquiet. «Elle a pleuré tout le long du chemin vers sa voiture, se souvient Inès, des larmes dans la voix. Je m’en veux de n’avoir rien su faire d’autre.» Peu après, la meilleure amie de la jeune femme a pourtant l’impression qu’elle va beaucoup mieux. La veille de sa mort, en effet, Inès Bonvin appelle sa fille, qui vient de terminer un grand nettoyage dans sa maison. Elle affiche une sérénité de façade suffisamment convaincante. 

Trois lettres d’adieu


Nous sommes entre chien et loup en ce funeste vendredi 5 mai quand le mari de Priscilla est réveillé par le moteur de la voiture de sa femme quittant leur domicile de Fully. Le père de famille, épuisé par un grave problème familial touchant son frère et sa belle-sœur, prend conscience que la jeune femme n’a pas dormi de la nuit. Il tente de la joindre sur son portable. Sans succès. Un quart d’heure plus tard, la malheureuse est seule sur le pont de Gueuroz. Elle compose alors le numéro de la police pour signaler étrangement qu’elle laissera ses clés sur la rambarde... Les agents de permanence parviennent à la garder au bout du fil sept longues minutes. Mais quand la patrouille qu’ils ont envoyée arrive sur les lieux, Priscilla Mayor se jette dans le vide sous les yeux des policiers.

Avant de partir, la disparue a laissé trois lettres d’adieu manuscrites. Une est destinée à son mari, une deuxième à ses fils et la troisième à ses parents. Dans cette dernière missive, enfermée dans l’illusion que la mort marquera la fin de la souffrance, elle écrit: «Pardonnez-moi pour ce que j’ai fait. Ce n’est plus possible. Je me sens vide. Je me sens morte à l’intérieur. Je ne suis plus avec vous...» Quelques heures après l’horreur, une voiture de la police débarque au Got. Inès Bonvin venait d’envoyer à sa fille une courte vidéo du petit-déjeuner qu’elle avait pris en compagnie de ses deux petits-fils, Morgan et Marvin, dont elle avait la charge pour quelques jours. Son beau-fils et une psychologue de la police sortent du véhicule. Inès Bonvin comprend immédiatement que c’est très grave... Puis une douleur contre nature et insondable vient lui transpercer le cœur.

Des réponses pour se reconstruire


Aujourd’hui, la Valaisanne et son mari, ainsi que leur belle-famille, ne réalisent pas complètement. Priscilla a été enterrée le 9 mai sous les yeux de son fils aîné. L’église d’Arbaz était trop petite pour accueillir toute cette tristesse et tout ce que la joie et la générosité de Priscilla avaient semé en ce monde. Depuis, Inès et Paul Mac Bonvin tiennent le coup. Ils n’ont pas le choix. Morgan et Marvin ont trouvé refuge auprès d’eux en ces terribles jours de deuil. Les deux enfants ne laissent rien paraître pour l’instant. Ils devront se construire sur le vide abyssal qu’a laissé leur mère. Ce ne sera pas facile mais ils y parviendront. Inès et Paul Bonvin en sont convaincus et feront tout pour cela.

Aujourd’hui, la famille et la belle-famille de Priscilla refusent de s’enfermer dans la colère et la révolte. Mais pour y arriver, ils ont «besoin de réponses claires». Pourquoi leur fille n’a pas été hospitalisée à la suite de son passage aux urgences dans un état très préoccupant? Pourquoi sa psy, qui l’a reçue le lendemain, n’avait planifié leur rendez-vous suivant que bien plus tard? Comment une jeune femme jadis si joviale et énergique a-t-elle pu basculer dans une détresse si profonde? Comment se fait-il qu’en Suisse, en 2023, les gens soient encore si peu sensibilisés aux dangers de la dépression post-partum? Contacté mais soumis au secret médical, l’hôpital du Valais n’a pu nous répondre. Il devra le faire avec les Bonvin.

Son papa et son frère ont joué à Chamoson, samedi 20 mai, à l'occasion des caves ouvertes, honorant ainsi un engagement musical que Priscilla avait pris avant sa mort. A droite, sa guitare et son micro que le duo a tenu à disposer à sa mémoire.

Samedi, Paul et son fils ont honoré l’engagement d’un concert pris par Priscilla dont la guitare, seule, trônait aux côtés des deux musiciens.

Christian Rappaz

>> Vous avez des idées suicidaires, vous êtes inquiet·e pour un proche? Voici quelques ressources d'aide que vous pouvez contacter ou mobiliser:

  • La Main Tendue (pour les adultes): composer le 143
  • Pro Juventute (pour les jeunes): composer le 147
  • Urgences médicales: composer le 144
  • Police: composer le 117
  • Liste des ressources disponibles sur stopsuicide.ch/besoindaide
Pour aller plus loin: dépression post-partum, l'interview
Par Christian Rappaz et Laurent Grabet publié le 7 juin 2023 - 09:38