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Covid long

«Je me suis endormi à Sion en hiver et réveillé à Lausanne au milieu de l’été»

Victime d’à peu près tous les ennuis que peut générer un covid grave, le chirurgien valaisan Daniel Bertin (62 ans) a miraculeusement survécu à trois mois de coma profond. Aujourd’hui, il se bat pour retrouver ses capacités physiques. Séquence émotion.

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Daniel Bertin

A cause de pieds douloureux, le chirurgien effectue cinq minutes de vélo à bras à chacune de ses trois séances de physiothérapie hebdomadaires. L’engin est habituellement destiné aux personnes tétraplégiques.

SEDRIK NEMETH@

Mille mètres de dénivelé, raquettes aux pieds. C’est ce qu’a «avalé» Daniel Bertin trois jours avant d’être testé positif au covid, le 20 mars 2020. Une infection qui n’inquiète pas outre mesure ce spécialiste de la chirurgie viscérale. Et pour cause, il est en pleine forme et ne présente aucun facteur de risque. Pas de surpoids, pas de diabète, pas de problème cardiovasculaire et encore moins pulmonaire. D’ailleurs, quand il n’est pas en train d’opérer, à Sion ou à Sierre, l’ancien médecin-chef de l’hôpital de Nyon randonne ou se balade sur les cimes en compagnie de Veronika, son épouse, sans doute également positive.

>> Lire aussi un autre témoignage dans l'article «Covid long, l'interminable combat»

«A l’époque, on ne testait pas, rappelle-t-il. Mais comme je devais opérer, moi, je l’ai été.» A l’isolement dans son appartement de Martigny, le couple fait donc comme tout le monde. Il attend que ça passe. Mais si, au fil des jours, l’état de Madame s’améliore, celui de son mari empire. Il a de plus en plus de peine à respirer. La radio de ses poumons est sans équivoque. Pneumonie sévère. Nous sommes le 28 mars. Le début d’un long calvaire pour Daniel Bertin.

Le 3 avril, il est intubé et placé en soins intensifs à l’hôpital de Sion, cette unité qu’il connaît par cœur. Quinze jours s’écoulent sans véritable progrès. Au contraire, son état s’aggrave. Il est héliporté en urgence au CHUV, où on le met sous ECMO, pour extracorporeal membrane oxygenation. Une technique qui permet d’alimenter le sang en oxygène tout en éliminant le gaz carbonique (CO2) que le patient produit. Une machine à laquelle la Faculté ne fait appel qu’en tout dernier recours et dont il n’existe que quelques dizaines d’exemplaires en Suisse. La vie du thérapeute en dépendra quarante-quatre jours durant. «Un triste record», soupire aujourd’hui ce dernier, alors dans le coma depuis plus d’un mois.

Daniel Bertin

Après l’effort, le réconfort et le retour au calme dans l’appartement du centre-ville de Martigny que Daniel Bertin occupe avec Veronika, son attentionnée épouse et infirmière.

SEDRIK NEMETH@

Il y restera près de cent jours. Jusqu’au début juillet, où on débranche enfin son respirateur artificiel. Le chirurgien se réveille avec, dans sa tête, les questions qu’une si longue léthargie suscite. «Cela a été difficile. Je me suis endormi à Sion en hiver et réveillé à Lausanne en plein été. Je me souviens qu’il y avait beaucoup de monde autour de mon lit. A un moment, quelqu’un a prononcé mon nom. Je me suis dit: «Ça ne peut pas être de moi qu’il parle.» J’ai dû regarder le bracelet d’identité que j’avais au poignet pour vraiment réaliser.»

Daniel Bertin a perdu 15 kilos et 70% de sa capacité pulmonaire. Entre chocs septiques et défaillances cardiaques, sa vie n’a tenu qu’à un fil. «J’ai été veuve au moins cinq fois au cours cette effroyable période», confie, le ton grave, Veronika, infirmière de formation et représentante thérapeutique de son mari pendant son «absence». A défaut de directives anticipées, c’est à elle qu’incombe de prendre les décisions.

Heureusement, la question de tout débrancher, comme on dit, ne s’est jamais posée. «Les médecins du CHUV m’appelaient plusieurs fois par jour et même la nuit pour m’informer de l’évolution. Ils n’ont jamais baissé les bras, m’ont toujours assuré que Daniel avait le potentiel pour s’en sortir. La seule angoisse qui me hantait était la peur d’aller trop loin.» Médecin lui aussi, le fils aîné de la famille sera en cela d’un précieux soutien.

Pandémie

Charles-Henry Rochat, un médecin rescapé du covid

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Lorsqu'il a été testé positif au covid, le Dr Charles-Henry Rochat pensait que ça passerait. Mais il a rapidement dû être intubé aux soins intensifs des HUG. Il s'en sortira, après plus de deux semaines dans le coma. Une épreuve qu'il a filmée avec son téléphone. Guillaume Carel

Après le CHUV, retour à la case départ. Sion, puis l’hôpital de Martigny, le 29 juillet, avec, au programme, un traitement au long cours de réadaptation pulmonaire. Car les capacités cognitives du Genevois d’origine sont pratiquement intactes. Physiquement, en revanche, plus rien ne fonctionne. «J’ai dû tout réapprendre: à me lever, à m’asseoir, à manger, à être continent. Et toujours avec l’assistance de l’oxygène. J’étais dans un tel état de faiblesse et d’inanité que retrouver ne serait-ce qu’une partie de mes moyens me paraissait insurmontable.»Le retour à son domicile, le 6 octobre, six mois après l’avoir quitté, lui redonne malgré tout un peu d’entrain. Commence alors le long et douloureux cycle de rééducation par physiothérapie. Quatre séances hebdomadaires. Trois en salle et une à la piscine. Lui, le chirurgien absorbé par sa profession, féru de voile, de montagne et de toutes ses activités, doit apprendre la patience. Avec ce corps affaibli, chaque mouvement est une épreuve, chaque progrès une victoire. Même si le retour à la normale est encore très loin, Daniel Bertin appréhende néanmoins le passage à la nouvelle année avec un certain optimisme. «On s’est dit que l’annus horribilis 2020 était enfin derrière et que s’ouvrait une période plus réjouissante.»

Un élan de courte durée, hélas, puisque, alors que les flonflons de la Saint-Sylvestre résonnent encore, Daniel est de nouveau hospitalisé d’urgence pour une péricardite. Comprenez une inflammation de l’enveloppe du cœur, causée par une infection virale en l’occurrence. Un nouveau séjour hospitalier de deux semaines qui le plonge dans une forte déprime. «A ce moment-là, j’ai vraiment eu l’impression que je n’y arriverais pas.» Sous antidépresseur, il s’accroche et repart «au combat» dès son retour à la maison. Son courage et sa volonté sont enfin récompensés.

Depuis la mi-avril, l’apport d’oxygène n’est plus nécessaire. En plaine du moins. Mieux, sa capacité pulmonaire s’amplifie. De 30% en novembre, elle atteint aujourd’hui 45%. Pas suffisant cependant pour que le couple retrouve son chalet de Riederalp, dans le Haut-Valais, perché à 1950 mètres d’altitude. «Le covid m’a plongé dans une autre vie. Un quotidien que je n’avais pas imaginé et auquel je n’étais pas préparé.» La retraite, Daniel Bertin y songeait, bien sûr. Mais pas à 62 ans. Pour preuve, le voilier d’occasion que le couple s’est offert peu avant que la maladie ne bouleverse ses projets de sillonner les mers une fois les amarres professionnelles de Monsieur larguées.

«A ce stade, nul ne sait jusqu’à quel point je peux récupérer. Je vis au jour le jour, de petits progrès et d’espoir, tout en appréciant la vie malgré tout.» La mort, Daniel Bertin dit l’avoir vue de très près. Et pas seulement à cause du virus. En 2012, lors d’une expédition dans les montagnes norvégiennes, cinq des compagnons de cordée du couple sont décédés sous une avalanche. «Nous ne devons qu’au hasard d’avoir été au-dessus de la cassure», confesse Daniel, reconnaissant et conscient d’être un double miraculé...

«Nous craignons un problème de santé publique»

Cheffe de clinique au service de médecine de premier recours des HUG, la Dre Mayssam Nehme observe cet afflux de symptômes persistants avec une certaine inquiétude. Pour elle, il est «important d’en parler».

- Existe-t-il un profil type des malades du covid long?
- Docteure Mayssam Nehme: Pas nécessairement. Mais il est vrai que, à l’encontre des hospitalisations, où il s’agit plutôt d’hommes de 60 ans et plus, nous voyons plutôt arriver des femmes de 40 à 50 ans qui n’ont pas été hospitalisées auparavant.

- Que disent vos statistiques?
- Il ressort de l’étude de recherche clinique qu’un tiers des patients gardent des symptômes après six semaines et beaucoup encore après sept mois. Mais j’aimerais dire que la majorité finit par se porter mieux, selon une amélioration progressive, très lente.

- Que se passe-t-il dans le corps?
- Trois hypothèses sont à l’étude. Une réaction immunitaire dérégulée, incorrecte. La présence de particules du virus dans le corps. Ou celle de «réservoirs» où le virus dort et réapparaît, à l’exemple de l’herpès. On ne peut pas en confirmer une.

- Va-t-on vers un problème de santé publique?
- Absolument, c’est notre crainte. Car ces symptômes ont un impact sur la vie sociale ou professionnelle des personnes. Le gros souci du covid, ce sont ses millions d’infections. Du point de vue de la santé publique, si 10% de la population garde des symptômes persistants, cette large échelle cause un réel problème.

- Le monde médical a-t-il pris conscience du phénomène?
- Il y a plus de reconnaissance aujourd’hui, dans la société aussi, rien qu’autour de l’existence des symptômes persistants. Il est important d’en parler et que personne ne se sente discriminé, même par les proches.

- La vaccination a-t-elle un effet positif?
- Cette hypothèse provient d’une petite étude sur 44 personnes. Chez un bon pourcentage, les symptômes se sont en effet améliorés. Le message, c’est qu’il faut absolument se faire vacciner, ne serait-ce que pour éviter une réinfection.

- Beaucoup de cas demeurent négatifs. Comment est-ce possible?
- Dans notre classification, on dit qu’il est improbable de demeurer négatif. C’est une vraie question sur laquelle nous nous penchons. Cette maladie reste très particulière, on n’arrête pas d’apprendre. Un jour peut-être, un autre test, plus performant, donnera la réponse. A l’heure actuelle, ce n’est pas le cas.

Par Christian Rappaz publié le 11 juin 2021 - 09:07