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Exploit alpin

Jean Troillet si «content» que des Népalais aient vaincu le K2

Avec dix 8000 m à son palmarès, le guide valaisan Jean Troillet, 72 ans, sait parfaitement ce que gravir le K2 et ses 8611 mètres sans oxygène représente. Il réagit à la première hivernale réalisée par le Népalais Nirmal Purja, dit Nims Dai.

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PAKISTAN-MOUNTAIN/K2

Nirmal Purja, plus connu sous le diminutif de Nims, est un phénomène de l’alpinisme. Au K2, il a su tirer avantage de la présence d’une cordée népalaise dont tous les membres sauf lui ont eu besoin d’un apport en oxygène pour atteindre le sommet.

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Parvenir au sommet du K2, dans l’Himalaya, à 8611 m, est toujours un exploit. Avec ou sans apport d’oxygène. Le dauphin de l’Everest a ses humeurs. Il fulmine. Aucun homme n’avait réussi à le gravir en plein hiver sans oxygène. Jusqu’à la cordée népalaise du 16 janvier, partie malgré les vents violents. Dix hommes, dont Nirmal Purja, surnommé Nims Dai ou simplement Nims, himalayiste redoutable, le seul de la cordée à avoir atteint cette fois le sommet sans oxygène. Vertigineux.

Cette tentative népalaise sur le K2 était inédite. Les photos ont envahi la Toile. On y constate que, à la différence de ses compagnons, Nims Dai ne porte jamais de masque. On parle d’oxygène, bien sûr. Du dopage, selon les puristes. Anticipant l’ascension népalaise, l’alpiniste russo-polonais Denis Urubko (47 ans), deux fois malheureux sur le K2 en hiver, stigmatisait quatre jours plus tôt les «prétendus héros» parvenant au sommet bouteille en bandoulière…

L’exploit de Nims le laissera sceptique. Forcément. Il dira que «vaincre» le K2 sans oxygène, mais entouré de neuf compagnons sous assistance, revient à trop assurer ses arrières. Pas faux, même si les plus critiques sont souvent ceux qui suivaient juste derrière, un peu plus bas dans la pente… et qui se sont fait doubler.

Avec dix sommets de 8000 m et plus à son actif, le Valaisan Jean Troillet connaît bien ce petit monde. Certes, depuis son AVC survenu sur l’Annapurna en 2011, le guide a renoncé à la très haute altitude pour voir ses trois enfants grandir et profiter de la vie de famille à La Fouly (VS), où il réside, lui le gamin d’Orsières. Il savait que l’exploit hivernal sur le K2 était imminent.

Drame d'Arolla, Jean Troillet, Accident de haute montagne

Vainqueur du K2 en 1985, de l’Everest en 1986, le Valaisan Jean Troillet, 72 ans, est une figure de l’himalayisme. Marié et père de trois enfants, il vit et travaille à La Fouly (VS) après avoir survécu à un AVC en 2011, sur l’Annapurna.

Blaise Kormann / L'illustré

«Il y a un paquet de monde là-bas, en ce moment. Ça poussait fort!» sourit-il. Le K2, il l’a lui aussi gravi sans oxygène, mais l’été, avec son pote le regretté Erhard Loretan, et après trois tentatives avortées. C’était le 6 juillet 1985. Son premier 8000. «A l’époque, personne n’avait atteint le sommet depuis sept ans», se souvient-il non sans fierté.

On surnomme le K2 «la montagne sans pitié». Les dernières statistiques, publiées l’an dernier, révèlent que le taux de mortalité chez les alpinistes y atteint 21,7%. L’enfer. «Situé tout à l’ouest de l’Himalaya, le K2 prend toutes les tempêtes, explique Jean Troillet. Quand il ne veut pas, faut pas insister.» En juillet 2019, l’explorateur Mike Horn, pourtant dur au mal, avait dû renoncer à son troisième assaut... à 400 m du sommet. Pas le choix. L’Espagnol Sergi Mingote vient d’y laisser la vie, à 49 ans, après une chute de 600 mètres.

Le Népalais Nims Dai et sa cordée ont eu plus de chance. «Je suis assez content que des Népalais aient réussi, eux qui, comme chacun sait, ont tant grimpé pour les autres comme sherpas», confie Jean Troillet. L’exploit de Nims lui inspire le respect, même si, dit-il, «on peut discuter de la façon».

Nims Dai est une idole au Népal et en Asie. Il aurait 37 ans, mais n’en est pas sûr. Un sprinteur des cimes, à l’image de notre compatriote Ueli Steck, décédé le 30 avril 2017 sur les pentes du Nuptse, au Népal. Nims a acquis une réputation planétaire en établissant un record complètement fou: gravir les quatorze 8000 m que compte la Terre en à peine sept mois, avec apport d’oxygène.

Sur les réseaux sociaux, cet ancien membre des unités Gurkhas intégrées aux forces spéciales britanniques, d’origine très modeste, relate son ascension historique du 16 janvier en termes choisis. Sans en rajouter. Ainsi ne cache-t-il pas que lors de précédentes tentatives au K2, il avait «pris de l’oxygène à partir de 8000 m».

Cette fois, il avoue avoir hésité, à cause du gel et d’un sommeil perturbé notamment. Une «décision difficile», écrit-il. «J’ai pris un risque calculé en continuant cette fois sans oxygène. Ma confiance en moi, la connaissance de mon corps et (...) l’expérience acquise lors des ascensions des quatorze 8000 m’ont permis de suivre le reste de l’équipe, et même d’en prendre la tête.» Il ajoute, certes en majuscules mais sans en rajouter: «Mission accomplie! K2 en hiver sans apport d’oxygène!» Et conclut, philosophe: «Les montagnes appartiennent à tous. A chacun d’y projeter ce qu’il veut.» Un sacré bonhomme.

Par Blaise Calame publié le 28 janvier 2021 - 08:52