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Johan Djourou: «Les propos tenus sur moi ont été injustes»

Le footballeur genevois de 33 ans Johan Djourou revient sur les détails de son licenciement très médiatisé du FC Sion et souhaite rétablir la vérité. Pour lui, sa compagne, Emilie, et leurs trois filles, mais aussi pour ses deux mamans, Angéline et Danièle, à qui il doit tout.

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Après une année sabbatique en 2019 durant laquelle il a soigné son genou, le défenseur central, qui s’entraîne dur chaque jour chez lui, se réjouit de retrouver les pelouses. Blaise Kormann

L’interview par téléphone était fixée en début d’après-midi. Johan Djourou décroche à la première sonnerie. Une petite incursion à distance dans le quotidien du joueur, qui vit son confinement en famille avec sa compagne, Emilie, et leurs trois filles, Lou, Aliany et Julia. «Je vais très bien», répond d’une voix chaleureuse le Genevois au moment où l’on prend de ses nouvelles. «Je vis un confinement heureux. Il n’y a vraiment pas de quoi se plaindre, nous sommes privilégiés», admet-il alors que ses enfants jouent dans le jardin et qu’il vient de terminer sa session d’entraînement quotidienne à domicile. Installé dans la campagne genevoise, Johan Djourou savoure ces moments partagés en famille. Un retour à l’essentiel bienvenu pour le défenseur central de 33 ans, qui traverse une période compliquée sur le plan professionnel depuis son licenciement du FC Sion.

- Votre licenciement du FC Sion a beaucoup fait parler dans les médias ces dernières semaines. Pouvez-vous nous raconter comment les choses se sont déroulées exactement?
- Johan Djourou: Tout a commencé le lundi 16 mars dernier. L’équipe devait se réunir après la décision de l’ASF (l’Association suisse de football, ndlr) de suspendre ou non le championnat. Mais la veille, Dominique Blanc, le président de l’ASF, a été testé positif au Covid-19 et placé en quarantaine. L’assemblée a donc été reportée. A ce moment-là, nous étions toujours en activité et nous nous entraînions en groupe, comme d’habitude, même si la situation commençait à devenir compliquée à l’extérieur. On nous a alors demandé de rester chez nous et d’attendre la suite. Le lendemain, soit le mardi 17 mars, sur le coup de 17 h, nous avons tous reçu une lettre de deux pages envoyée via WhatsApp par le secrétaire du club nous demandant d’accepter le chômage partiel, sous menace d’une résiliation de contrat. Le délai de réponse était fixé au lendemain à midi.

- Qu’avez-vous fait à ce moment-là?
- Xavier Kouassi, le capitaine de l’équipe, a organisé une réunion d’urgence par téléphone avec tous les joueurs. C’était le flou intégral, personne n’y comprenait rien. Certains coéquipiers ne parlent pas français, la lettre comportait des termes techniques qui nécessitaient que chacun puisse en discuter avec son agent et ses proches. Puis nous avons compris que la mise sous pression du club était illicite, car, à ce moment-là, le chômage partiel n’était tout simplement pas autorisé pour les employés au bénéfice d’un contrat à durée déterminée. Dans mon cas, par exemple, mon contrat courait jusqu’à la fin de la saison. Nous avons donc décidé à l’unanimité des 24 joueurs du contingent de refuser le chômage partiel et avons renvoyé la lettre par WhatsApp à son destinataire.

- Que s’est-il passé ensuite?

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Johan dans la salle de sport qu'il a aménagée dans son jardin. Blaise Kormann

- Deux heures plus tard, nous recevions chacun notre lettre de licenciement par WhatsApp. Sans aucune explication ni coup de fil du président ou du directeur sportif du club. Tout ce à quoi nous avons eu droit ensuite, c’est la confirmation de notre licenciement avec effet immédiat par lettre recommandée. Est-ce juste qu’un employeur agisse de la sorte avec ses employés, même en cas de Covid-19? Ce qui se passe aujourd’hui sur le plan sanitaire est extrêmement grave, mais ce n’est en aucun cas une raison pour licencier n’importe qui sans explications.

- Avec le recul, que reprochez-vous le plus aux dirigeants du club?
- Leur absence de communication. Tous les joueurs que je connais en Suisse ou en Europe ont réussi à trouver un terrain d’entente avec leur club dans cette période de crise. Certains amis footballeurs ont même consenti à reverser une partie importante, voire la totalité de leur salaire aux employés non sportifs de leur club, à des hôpitaux ou à des œuvres de charité. Mais tous ont d’abord échangé et discuté de manière constructive avec leurs dirigeants. Je le répète: au FC Sion, personne ne nous a appelés.

- Qui, selon vous, aurait dû prendre le téléphone?
- Le capitaine du bateau! Le directeur sportif ou, en tant que président du club, Christian Constantin. Le minimum aurait été que l’un des deux appelle au moins Xavier Kouassi, le capitaine de l’équipe, pour le tenir au courant de la situation.

- De votre côté, avez-vous tenté de les joindre?
- Non. J’ai juste eu un contact avec Barth (Barthélémy Constantin, directeur sportif du club et fils de Christian Constantin, ndlr) par la suite. Je me suis toujours bien entendu avec lui et je le considère comme un ami. Même si, sur ce coup-là, j’aurais apprécié qu’il m’appelle.

- Dans quel état d’esprit étiez-vous à votre arrivée au FC Sion le 23 janvier dernier?
- J’étais en pleine forme, très motivé, j’avais fait le camp d’entraînement en Espagne avec l’équipe. Je revenais d’une longue période de convalescence en 2019 à cause de mon genou. J’avais pris une année sabbatique pour me remettre complètement. Il me manquait le terrain et des matchs, mais j’étais vraiment impatient de pouvoir reprendre le football.

- Vous avez décidé d’attaquer le FC Sion en justice. Qu’attendez-vous?
- Je l’ai surtout fait pour une question de principe. Pour me défendre de tous ces propos injustes qui ont été tenus sur ma personne dans la presse et rétablir la vérité: non, je ne suis pas un mercenaire!

- Vous n’avez donc pas refusé le chômage partiel pour des questions financières?
- Absolument pas. Je ne faisais de loin pas partie des gros salaires du FC Sion. Je gagnais 7500 francs par mois, donc bien moins que le plafond maximal du chômage partiel, fixé à 12 500 francs. J’étais là-bas pour le plaisir, pour rejouer des matchs, retrouver une forme. Vu mon salaire, j’aurais pu signer. Mais j’ai aussi refusé par solidarité avec le reste des joueurs.

- Certains de vos coéquipiers ont pourtant réintégré l’équipe aujourd’hui…
- Je sais. Mais je peux vous assurer que ce fameux mardi 17 mars, la totalité des 24 joueurs du contingent avait refusé le chômage.

- Qui a été le plus touché dans cette histoire? L’homme ou le joueur?

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Johan et Emilie Djourou. Blaise Kormann

- L’homme, bien sûr. Mais je suis surtout touché pour mes parents, qui vivent très mal les critiques à mon encontre dans les médias. Moi, je relativise. J’ai vécu des situations bien plus graves dans ma vie.

- C’est-à-dire?
- Je pense principalement à ma famille en Côte d’Ivoire. Angéline, ma mère biologique, a fui sous les balles en plein coup d’Etat. Il m’est arrivé de ne pas pouvoir la joindre, d’apprendre qu’une partie du territoire avait été contrôlée par des rebelles qui tiraient sur tout ce qui bougeait. J’ai passé des nuits entières sans pouvoir dormir parce que ma famille vit dans une région touchée par les épidémies et la guerre civile. Alors qu’ici on en parle très peu. Je m’étonne d’ailleurs qu’on suive d’aussi près l’évolution de l’épidémie du coronavirus en Europe et qu’on évoque si rarement son avancée sur le continent africain.

- Dans quel contexte avez-vous quitté Abidjan pour venir en Suisse?
- Je suis arrivé à Genève à l’âge de 17 mois. J’ai rejoint mon père, Ivoirien, qui vivait ici avec son épouse. Elle m’a adopté quelques années plus tard et, aujourd’hui, j’ai deux mamans: Angéline en Afrique et Danièle en Suisse. C’est ma mère adoptive qui a pris l’initiative, lorsque j’avais 15 ans, de m’emmener en Côte d’Ivoire pour rencontrer ma mère biologique. Mes deux mamans se connaissent et s’entendent très bien. On a créé un lien fort, tous les trois. Comme je le dis souvent, je ne me sens pas à moitié Suisse, à moitié Ivoirien. Mais 100% Suisse et 100% Ivoirien.

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En famille chez lui, dans la campagne genevoise, avec sa compagne, Emilie, et leurs trois filles, Lou, 10 ans, Aliany, 8 ans, et Julia, 4 ans. Blaise Kormann

- Comment transmettez-vous ces racines à vos trois filles?
- A travers la musique, la nourriture, les récits. Je leur parle de la Côte d’Ivoire, de la famille là-bas. De ma mère, de mon petit frère et de ma grande sœur. J’ai aussi des oncles et tantes. L’année dernière, je les ai emmenées à Abidjan. Elles se sont retrouvées avec leurs cousins et ont joué avec eux comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Cela m’a beaucoup touché. J’ai aussi à cœur de soutenir mes proches là-bas du mieux que je peux. Je le fais depuis l’âge de 16 ans et mon départ à Arsenal.

- Quel genre de père êtes-vous?
- Avec mes filles, je ne me vois pas vraiment comme un papa, mais plus comme un ami et un guide. Je fixe des règles et un cadre, mais je laisse mes enfants trouver leurs propres limites. J’ai d’ailleurs beaucoup de peine à les gronder. Parce que je me dis qu’à leur âge je faisais bien pire. A 10 ans, il m’est arrivé de sortir la nuit, sans rien dire à personne, pour assister à des combats de judo dans le quartier!

- La famille, dans des moments comme ceux que vous traversez, c’est essentiel?
- Oui, complètement. C’est un point de repère. L’amour de ma compagne, de mes enfants, de mes parents, c’est central. D’ailleurs, c’est difficile de ne pas pouvoir serrer ma maman dans mes bras en ce moment à cause du confinement et de la distanciation sociale.

- La crise sanitaire que nous traversons fragilise aussi les milieux sportifs. Certains clubs de football demandent notamment à leurs joueurs de baisser leurs salaires. Pensez-vous qu’il y aura un avant et un après-coronavirus dans le monde du football?
- Absolument. Et je pense que ce changement est nécessaire. Même si je fais partie des chanceux qui ont pu en profiter, le sport génère aujourd’hui beaucoup trop d’argent. Et les sportifs ont atteint un statut qui dépasse la raison. En ce moment plus que jamais, ce sont le personnel soignant, les éducateurs, les enseignants, les caissiers, les éboueurs, tous ces gens utiles à la société que nous devons remercier. Ils devraient gagner bien plus!

- Le sélectionneur de la Nati vous a un peu écarté de l’équipe nationale au profit de Manuel Akanji. Comment le vivez-vous?
- Manuel Akanji a fait de bonnes performances avec son club, c’est normal qu’il ait été retenu. J’étais malheureusement blessé pendant l’été 2018, avant la Coupe du monde en Russie. L’année dernière, j’ai pris une année sabbatique complète. Donc sans club, on ne peut pas jouer en équipe nationale. Mais rien n’est jamais définitif et, pour tout vous dire, j’ai récemment été en contact avec le coach de l’équipe nationale.

- On vous reverra donc avec le maillot de l’équipe de Suisse?
- Qui sait, si je suis en forme et que je retrouve un club! Je n’ai en tout cas pas été écarté en même temps que Behrami à l’été 2018, comme j’ai pu le lire à certains endroits. D’ailleurs, le mois suivant, j’étais en Angleterre pour disputer ma 75e sélection.

- Comment envisagez-vous la suite de votre carrière aujourd’hui?
- Je suis extrêmement motivé, j’ai envie de continuer à jouer au football et à disputer des matchs. Je m’entraîne dur tous les jours pour y arriver. Je n’ai que 33 ans, je compte bien passer encore quelques années sur les terrains.


Par Jaquet Aurélie publié le 25 avril 2020 - 10:33, modifié 18 janvier 2021 - 21:10