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Les mondes de Tolkien

John Howe: «J’espère juste que ma sincérité dans mon travail saura convaincre»

Un nouvel espace d’exposition et de création autour des œuvres de John Howe et du fantastique verra le jour à Neuchâtel en 2025. A cette occasion, «L'illustré» vous invite à (re)découvrir le portrait de ce magicien des pinceaux, architecte de l'univers visuel du «Seigneur des anneaux» et de la série événement «Les anneaux de pouvoir» d'Amazon Prime Video.

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John Howe

Par le passé, cette star de l’illustration a même travaillé pour «L’illustré» pendant trois ans. Il en garde un bon souvenir. Le succès ne lui est jamais monté à la tête. Il a choisi ce métier parce que les mots lui manquaient pour traduire ses émotions.

Julie de Tribolet
Patrick Baumann

Il nous a donné rendez-vous dans un lieu qu’il affectionne, un lieu qui l’inspire, si possible le matin quand le risque de ne pas être tout seul est moins grand. Nous sommes au rocher de l’Ermitage, au-dessus de Neuchâtel, et, juste avant d’atteindre la vue qui surplombe le lac, John Howe désigne cet arbre incroyable aux racines déployées comme d’immenses cobras de bois. Il vient souvent lui rendre visite. L’illustrateur star des trilogies de Peter Jackson, «Le seigneur des anneaux» et «Le Hobbit», nourrit une véritable fascination pour la nature, qu’il observe comme un amoureux discret qui ne veut surtout pas déranger.

«Cet arbre est dans beaucoup de mes dessins dans «Le seigneur des anneaux» et si je peux le placer encore dans la nouvelle série, je le ferai! Je pourrais bien mettre un troll par là.» Sourire. Il ne connaît pas le nom des essences, mais ce n’est pas important. «Pour moi, un arbre, c’est du temps incarné dans les racines, dans son tronc, une sorte de condensé de centaines d’années, il faut juste transmettre sa beauté et son mystère.» Il y a ainsi un peu des gorges de l’Areuse, du Creux-du-Van ou d’autres recoins cachés du Jura qu’il affectionne dans ses trilogies au succès planétaire; Suisse Tourisme pourrait d’ailleurs songer à lui élever une statue sur une place de Neuchâtel.

Ce Canadien exilé dans le canton de Neuchâtel depuis trente-cinq ans est considéré par des hordes d’amateurs comme le messie du fantastique. Un titre qui blesse sa modestie naturelle, mais qui risque d’enfler puisque le natif de Vancouver est de nouveau l’architecte de l’univers visuel de la série événement de la rentrée, «Les anneaux de pouvoir», sur Amazon Prime Video. Egalement basée sur l’œuvre de J. R. R. Tolkien, mais dont l’intrigue se déroule deux mille ans avant les trilogies de Peter Jackson. Cinq saisons avec un budget de plus de 1 milliard de dollars, déjà annoncé comme le plus cher de l’histoire de la télévision.

Lui ne sait jamais à l’avance quels dessins vont être retenus. Il en a fourni 1500 pour la première saison, avec un rythme journalier de cinq à dix dessins par jour. «On est toujours enchanté et rassuré de voir son travail à l’écran, mais ce n’est qu’une étape, c’est un travail de va-et-vient avec l’équipe, le réalisateur», explique-t-il, heureux d’avoir quand même retrouvé son troll des neiges, terrassé par la fougueuse Galadriel, dans l’épisode 1. Même si les moyens techniques sont aujourd’hui incomparables avec les premières trilogies, permettant par exemple d’ajouter en surimpression le dessin numérique sur un paysage, celui que l’on surnomme le «Seigneur des pinceaux» travaille toujours avec une feuille blanche et un crayon. Il n’a d’ailleurs pas cessé de faire une esquisse durant toute l’interview. «Je réfléchis mieux avec un carnet de croquis que devant l’ordinateur. C’est une vraie conversation entre le dessin et moi, parfois c’est lui qui me fait changer d’idée, parfois c’est moi. Cette feuille blanche n’est pas une feuille blanche mais un espace infini en 3D, le dessin est déjà là mais on ne le voit pas encore, je vais le chercher avec le crayon, il y a un petit côté archéologique dans tout ça.»

Il n’a pas de préférence particulière. Aime dessiner des paysages, les œuvres architecturales, les armes, mais reconnaît une affection pour les accessoires tenus par les acteurs. Pour dessiner la carte de Númenor, une vaste île située au large de la Terre du Milieu, très présente dans la nouvelle série, John Howe a fait énormément de recherches dans les livres de Tolkien. Tout devait être cohérent, la taille, les villes, la construction des routes. La carte a été mise en ligne et, vingt minutes après, un fan envoyait un message pour indiquer deux erreurs. «Parfois, la fidélité tient de l’orthodoxie», sourit l’artiste, qui reconnaît avoir beaucoup échangé avec les fans et profité aussi des nombreuses informations publiées sur leurs sites. Par la suite, si certains ayatollahs de la pensée «tolkenienne» rugissent parce que la princesse naine Disa n’a plus de barbe ou que des elfes ont les cheveux courts, John Howe revendique une certaine liberté créatrice. «J’espère juste que ma sincérité dans mon travail saura convaincre. Il faut faire ce qu’on pense être juste.»

En ce qui le concerne, sa première rencontre avec Tolkien, alors qu’il avait 12 ans, n’a pas été une révélation, surtout en ayant emprunté à la bibliothèque le tome 2 du «Seigneur des anneaux», le premier n’étant pas disponible, il n’a pas tout bien compris. Ce fut un long cheminement pour apprécier toute la complexité de l’œuvre, dit-il, lui qui lit aujourd’hui toujours énormément sur l’auteur britannique décédé en 1973. Il rêve qu’on mette sur pied un itinéraire touristique sur les traces de l’écrivain lors de son séjour en Suisse en 1911. «Il a cheminé d’Interlaken jusqu’en Valais. Vous vous rendez compte, il n’y avait pas de stations de ski, de téléphériques, ni de barrages à cette époque, la Suisse était une véritable Terre du Milieu!»

Culture

John Howe et ses inspirations suisses pour «Le seigneur des anneaux»

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Des éléments de paysages suisses dans «Les anneaux de pouvoir», la nouvelle série adaptée des œuvres de J. R. R Tolkien par Prime Vidéo? C'est fort possible, car c'est l’illustrateur canadien John Howe, installé à Neuchâtel depuis plus de 35 ans, qui est derrière son univers visuel. Connu pour son travail sur le «Seigneur des anneaux», et «Le Hobbit», il participe aujourd’hui à la série événement. Il nous confie ses lieux préférés en Suisse qui lui inspirent ses dessins de la Terre du Milieu. Laetitia Béraud

Pourquoi John Howe est-il devenu illustrateur? Parce que les mots lui manquaient pour traduire ses émotions. «Quand quelque chose est si beau qu’on a le sentiment que le cœur va imploser ou exploser mais rien pour le traduire», murmure-t-il. Et si le fantastique lui parle autant, «c’est parce qu’il permet de façon enrobée de poser des questions essentielles sur le monde». Lui n’a jamais obtenu de réponse, notamment celle qui concerne l’existence de Dieu. Ce qui compte avant tout, à l’entendre, c’est la connexion. Notamment à la nature. Il aime disparaître dans un lieu, se fondre dedans. «Le dessin vous amène à une spiritualité écologique. La nature n’a pas besoin de nous, c’est ce qui fait aussi sa grandeur.» Il n’est pas éco-anxieux, mais éco-fâché, éco-désolé par ce monde qui marche sur la tête. Nous parle avec enthousiasme de cette initiative qui a vu une rivière recevoir un statut juridique pour mieux la protéger. «C’est fabuleux, si on pouvait le faire dans la région, je voterais pour les rives du lac de Neuchâtel, qui devraient aussi être plus accessibles au promeneur.»

John Howe a dessiné pour cette nouvelle série des lieux incroyables, comme la cité des nains. Il est passionné d’architecture aussi et vibre chaque fois que l’empreinte de l’homme s’est inscrite dans la pierre. A l’entendre, le talent, ce n’est pas de savoir bien dessiner mais de pouvoir rester connecté à tout ce qui nous entoure. Un message qu’il fait passer aux élèves de l’école d’art de Neuchâtel où il enseigne. Si l’un d’entre eux lui demande la recette pour devenir un bon illustrateur, il répond volontiers, un brin goguenard: «Le plus important, ce n’est pas ton dessin, mais ce qu’il y a dans ta tête. Et de bien nommer tes fichiers numériques. La difficulté, c’est qu’il faut être tout à la fois relax et intuitif et extraordinairement pointu et professionnel.»

On évoque la guéguerre que se livrent aujourd’hui les plateformes. La bataille du moment, c’est bien sûr Westeros vs la Terre du Milieu. Le choc entre «House of the Dragon» de HBO et «Le seigneur des anneaux: Les anneaux de pouvoir» d’Amazon Prime Video. Lui, le spécialiste des dragons (il a publié un livre sur eux en 2009), aurait d’ailleurs pu signer l’univers visuel des deux. Il est conscient, bien sûr, de cette confrontation épique et du fait qu’il faut de plus en plus «captiver le spectateur dès les premières images». Mais il ne cède pas à la pression, elle n’affecte pas son travail et il n’avait d’ailleurs pas vu à l’heure de notre rencontre les épisodes de la série concurrente.

Il travaille sur la saison 2 et assure être loin d’avoir épuisé la Terre du Milieu. Il écrit encore un livre et prépare une exposition pour l’an prochain, l’interaction avec le public faisant partie de ses plus grands bonheurs. John Howe a eu 65 ans le 21 août dernier, mais la retraite semble n’être qu’un mauvais sort dont il se sent protégé. C’est à croire que le magicien Gandalf lui a confié la formule de l’éternelle capacité à créer. 

Par Patrick Baumann publié le 30 septembre 2022 - 09:26, modifié 6 juin 2023 - 17:18