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Enquête

Notre journaliste menacé de mort

Arnaud Bédat est la cible de menaces et d’intimidations répétées après son enquête dénonçant la corruption dans le football ukrainien, alors que l'un de ses pontes, Andriy Pavelko, est candidat au comité exécutif de l’UEFA le 7 février.

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Campé dans son bureau, dans son Jura natal, Arnaud Bédat ne lâche rien et poursuit son travail. Julie de Tribolet

Il ne panique pas, mais il fait attention. Journaliste à L’illustré depuis près de trente ans, Arnaud Bédat, 53 ans, vit depuis plusieurs semaines sous le coup d’une lourde menace venue d’Ukraine, l’un des pays les plus corrompus du monde. Spécialiste des enquêtes à risque – le Temple solaire, l’affaire DSK… – Arnaud Bédat continue à vivre à sa manière, sans rien changer à ses habitudes. Autour de lui, une espèce de toile d’araignée invisible et protectrice, celle de sa bonne ville de Porrentruy (JU) où il est connu comme le loup blanc: les voisins qui ouvrent l’œil, le policier qui passe régulièrement, le vieux copain qui lui demande si tout va bien…

Si Arnaud Bédat est menacé aujourd’hui, c’est à la suite de deux articles parus dans L’illustré, consacrés à un homme très puissant en Ukraine, Andriy Pavelko, qui est tout à la fois président de la Fédération de football d’Ukraine, candidat au comité exécutif de l’UEFA et député au parlement ukrainien. Le premier article, paru le 8 août dernier, puis le deuxième, le 5 décembre, révélaient en exclusivité les agissements d’Andriy Pavelko dans le cadre d’un «prêt» de 4 millions d’euros accordé par l’UEFA, en novembre 2016. Un «prêt» qui aurait abouti, in fine, dans les poches de la corruption!

>> Lire le 2e volet de l'enquête: "Nouvelles révélations dans l'affaaire Pavelko"

L’article avait provoqué un véritable séisme à Kiev et la chaîne de télé ukrainienne 112 avait invité Arnaud Bédat dans la capitale, début septembre, pour une longue interview de 40 minutes, diffusée en prime time le 27 septembre. Un pavé dans la mare de la corruption; une interview qui jetait une lumière crue sur le rôle d’Andriy Pavelko. Si le patron du football ukrainien a choisi de s’enfermer dans le silence, c’est une avalanche de fake news, toutes plus grossières et primitives les unes que les autres, qui se sont abattues aussitôt sur Arnaud Bédat dans les journaux aux ordres du pouvoir, ainsi que sur les réseaux sociaux. Plus de 37'000 articles en quelques semaines! On l’accuse d’avoir volé dans le jet privé d’un rival d’Andriy Pavelko, alors qu’il a évidemment fait le voyage de Kiev sur un vol de ligne. On prétend aussi dans de faux tweets, imitant les comptes Twitter de L’illustré et au français approximatif, genre traduction Google de l’ukrainien, qu’il a été licencié par notre magazine, où il collabore toujours et est apprécié plus que jamais, comme l’explique Michel Jeanneret, son rédacteur en chef. «Il est inadmissible qu’un de nos journalistes puisse être menacé de mort et soit par ailleurs victime d’une campagne de désinformation extrêmement virulente. Il est évident que nous n’avons jamais sanctionné notre collaborateur, qui réalise un travail d’enquête irréprochable.»

«Fais attention à toi»

De retour en Suisse après son interview à la télé ukrainienne, Arnaud Bédat continue, pendant le mois d’octobre, de suivre à distance l’affaire Pavelko, mais il repart bientôt sur d’autres fronts. Puis les choses basculent soudain, début novembre, comme il l’explique dans une plainte au Ministère public de la Confédération (MPC) déposée le 5 décembre 2018. «Le 7 novembre 2018, à 15 h 33, alors que j’étais en train de travailler à mon bureau à Porrentruy, mon téléphone portable a sonné. A l’autre bout du fil, une voix lointaine – la ligne était particulièrement de mauvaise qualité – qui me parlait en anglais, au ton très déterminé. Je n’ai pas saisi tout ce qu’on me disait, essayant d’interrompre régulièrement la voix masculine en question, lui répétant à de nombreuses reprises 'qui êtes-vous?' sans obtenir de réponse. J’ai pu toutefois entendre distinctement proférer: 'fais attention', 'fais attention à toi', 'arrête de t’occuper de ce qui ne te regarde pas', 'on sait où tu es', 'on va s’occuper de toi'. Après 49 secondes, l’individu a raccroché.»

Qui était donc ce mystérieux individu? Qui était cet interlocuteur très agressif et menaçant qui a laissé une trace indélébile, conservée par une capture d’écran et désormais aux mains de la justice? «Le numéro qui s’est inscrit, poursuit Arnaud Bédat dans sa plainte, était un numéro ukrainien. Le soir même, je contactais certaines sources en Ukraine qui m’ont assuré que le numéro qui m’appelait correspondait au portable de M. Andriy Pavelko, à Kiev. Je n’en croyais pas mes oreilles. […] Je laisse également vos services évaluer s’il est besoin de m’assurer une protection. Vous imaginerez sans peine que je crains désormais pour mon intégrité physique et ma vie, ce d’autant plus que j’ai signé aujourd’hui dans L’illustré un nouvel article sur cette affaire.»

Contre-offensive

Le Ministère public de la Confédération a renvoyé la balle au Ministère public jurassien, qui a finalement envoyé un message à notre journaliste, le 1er février, dans lequel il se dit prêt à lui fournir «tous les renseignements utiles».

Andriy Pavelko, quant à lui, a déclenché une contre-offensive en demandant des mesures provisionnelles urgentes pour faire retirer l’article d’internet. Une 
première séance au tribunal, à Lausanne, s’est déroulée le 17 janvier. Avocat de notre journaliste et de L’illustré, Me Giorgio Campa a déposé un mémoire de 150 pages qui décrypte cette affaire hyper-sensible et taille en pièces la position d’Andriy Pavelko (voir encadré ci-dessous avec la décision de justice).

Arnaud Bédat a choisi de rendre publiques, sur Facebook, le 19 janvier à 12 h 17, les menaces qui pèsent sur lui. Un cri d’alarme entendu le jour même en Suisse et jusqu’à Paris, où la chaîne TV5 Monde l’a invité pour une longue interview diffusée le lendemain. Andriy Pavelko est candidat au comité exécutif de l’UEFA, qui tient son congrès le 7 février à Rome*. L’instance suprême du football européen prendra-t-elle le risque de l’élire? «On peut imaginer que, s’il n’est pas élu, le danger sera encore plus grand pour moi, remarque Arnaud Bédat. Il me rendrait responsable de son échec et, comme il n’aurait plus rien à perdre, il pourrait avoir la tentation de se venger.»

* Andriy Pavelko a effectivement été élu membre du comité exécutif de l'UEFA. 


ANDRIY PAVELKO DÉBOUTÉ PAR LA JUSTICE SUISSE

Mis en cause dans deux articles de notre collaborateur Arnaud Bédat, en août et en décembre, le patron du football ukrainien, Andriy Pavelko, avait demandé à la justice suisse, il y a deux semaines, des mesures provisionnelles urgentes pour faire retirer ces articles de notre site internet illustre.ch.

Sa demande vient d’être rejetée par la justice suisse, qui en a informé, mercredi 6 février, Me Giorgo Campa, l’avocat d’Arnaud Bédat et de L’illustré.

Une décision qui tombe à la veille du congrès de l’UEFA à Rome, jeudi 7 février, où Andriy Pavelko est candidat au comité exécutif de l’association faîtière du football européen.


Par Habel Robert publié le 6 février 2019 - 08:55, modifié 18 janvier 2021 - 21:03