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Julien Perrot: «La colère donne de l’énergie pour agir!»

Comme Greta Thunberg, il n’a pas attendu d’être vieux sage pour réveiller les consciences. Mais attention: ce garçon en apparence calme qui danse avec les arbres abrite un volcan. Qui parfois se réveille. Entretien.

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«Il y a aussi des familles recomposées chez les animaux» (Julien Perrot). Jean Revillard/Rezo

- Vous qui semblez d’un naturel calme et placide, vous n’avez jamais de grosse colère contre ceux qui détruisent la planète?
- Julien Perrot: 
J’ai une immense colère. Donald Trump, par exemple, qui symbolise à mes yeux tout ce qui se fait de pire en matière de destruction planétaire, suscite vraiment ma colère, voire ma haine. Soit je la laisse m’envahir et me faire du mal, soit je la canalise, car il y a un truc génial avec la colère, c’est qu’elle donne beaucoup d’énergie pour agir. Je n’ai pas peur de l’affirmer, la majorité de la classe politique est constituée de gens qui songent plus à leur réélection à court terme qu’à la sauvegarde de l’humanité, et c’est un scandale! Mais comme ce n’est pas dans mon tempérament d’aller tabasser des gens, j’essaie de transformer cette colère en énergie positive pour changer le monde à ma modeste échelle. Chacun d’entre nous peut le faire au quotidien.

- Vous seriez pour une écologie plus coercitive?
- Je serais par exemple pour doubler le prix de l’essence mais redistribuer intégralement le montant correspondant à toute la population et rendre aussi les transports publics gratuits. Actuellement, on discute au parlement pour savoir de combien de centimes augmenter l’essence, c’est ridicule! Bon, je sais bien que si je me présentais en politique, je n’aurais aucune chance d’être élu (sourire)!

- On dit de vous que vous ne faites pas de compromis, ce n’est pas très suisse…
- J’essaie de vivre en cohérence avec les idéaux que je défends, et c’est parfois difficile. Voyez, aujourd’hui, à midi, je n’ai pas eu le temps de passer au marché, je suis allé à la Coop, j’avais le choix entre du pain bio sous plastique et du non bio sans plastique.

- Qu’avez-vous choisi?
- Le pain bio, pour soutenir les agriculteurs. On vit dans un monde tellement fou qu’on est bien obligé de faire des compromis.

- Le Julien Perrot de 11 ans rédacteur de La Salamandre serait allé militer aux côtés de Greta Thunberg?
- Evidemment! J’ai manifesté le 15 mars dans les rues de Neuchâtel pour soutenir l’extraordinaire mouvement des jeunes pour le climat. C’est elle l’inspiratrice de ces manifestations dans le monde entier. Ecoutez la force de ses discours. Le symbole qu’elle est devenue mérite le prix Nobel.

- Elle a l’air particulièrement sérieuse. Vous avez été un enfant sérieux; trop peut-être?
- J’avoue, je devais à l’époque être très barbant avec mon ton professoral, mes avis sur tout. Certains ont pris cela avec bienveillance, d’autres ont dû me trouver agaçant!

- Cela vous a parfois isolé?
- Oui. Je ne m’intéressais pas au foot, je ne rêvais pas d’avoir un boguet: pour mes camarades, j’étais un peu un alien. Je me revois arborant un ciré jaune recouvert de décalcomanies en faveur d’associations écologiques. Je me suis fait presque lyncher en arrivant à l’école. Ce serait évidemment différent aujourd’hui, avec l’engagement des jeunes pour le climat. Disons que je me suis reconnecté socialement vers 17 ans, au gymnase. Mais il faut aussi resituer l’époque. Tchernobyl et la catastrophe de Schweizerhalle en 1986, la mort des forêts, il y avait un contexte anxiogène, on pensait que tous nos arbres allaient crever. Gamin, j’ai vu de magnifiques haies, des marais splendides disparaître. Sur La Côte vaudoise, où j’habitais, les zones résidentielles et commerciales ont poussé là où auparavant il y avait une campagne extraordinaire. J’ai assisté à la disparition d’oiseaux et de papillons, qui a suscité ma tristesse et ma colère. La Salamandre, c’était ma réponse pour tenter de ralentir la marche du rouleau compresseur. Aujourd’hui, en 2019, nous sommes une équipe de 19 personnes qui travaillent selon un modèle non hiérarchique et éditent trois revues ainsi qu’une quinzaine de livres et trois films animaliers par an. La Salamandre, c’est aussi un festival et une présence sur le Net, notamment avec la chaîne YouTube La Minute Nature ou le site de La Salamandre.

>> Voir aussi l'interview vidéo «Dites-nous tout, Julien Perrot»:

Confidences

Dites-nous tout: Julien Perrot

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Le rédacteur en chef de "La Salamandre" se livre en dix questions, face à notre caméra.  

- Est-ce vrai que votre confident était un arbre lorsque vous étiez enfant?
- Oui, c’était un grand peuplier non loin de chez ma mère. J’ai toujours un lien très fort avec les arbres, presque thérapeutique. Ils possèdent beaucoup de ce que nous avons perdu: le temps, le ciel, l’ancrage. Ils vivent dans un espace-temps bien plus sain que le nôtre, ils peuvent d’autant plus nous faire du bien. J’aime beaucoup le mélèze, qui change de physionomie au fil des saisons, il perd ses aiguilles, son tronc est tortueux, son écorce épaisse. Oui, les arbres sont mes copains.

- Vos trois enfants se confient aussi à des arbres?
- Ma fille de 10 ans a un arbre confident. C’est une ressource précieuse pour elle.

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Sur son bureau, une salamandre en papier mâché offerte par sa fille aînée. DR

- Vous leur avez transmis votre amour de la nature?
- Je les emmène souvent observer les animaux, faire des affûts. Ma petite dernière de 4 ans a vu sa première salamandre tachetée en novembre dernier, c’était un grand moment, on l’avait cherchée pendant deux heures sous la pluie et au moment où, complètement trempés, on commençait à se décourager, on en a vu une. Mon aîné, qui a 13 ans, est moins motivé par les balades, mais il observe très bien et a une sensibilité pour l’écologie. Sa cadette est passionnée par les loups et rêve d’être vétérinaire. A l’adolescence, ils passeront peut-être par une phase de rejet de tout cela. Peu importe, chaque période de leur développement est belle, ils feront leur chemin.

- Vous vivez au sein d’une famille recomposée, est-ce que ce modèle si répandu aujourd’hui chez l’homme existe aussi chez les animaux?
- Oui, il y a des familles recomposées chez les animaux comme chez les humains. Tous les scénarios, toutes les bizarreries existent dans la nature. Y compris des choses sexuelles qui pourraient paraître monstrueuses à notre morale. On imagine que certaines espèces d’oiseaux sont fidèles, alors que ça fricote dans tous les sens (rires)!

- J’ai appris que vous aviez rencontré votre deuxième compagne lors d’un cours de danse contact, qu’est-ce que c’est?
- Une danse improvisée où on utilise la surface du corps des autres danseurs pour construire ses mouvements. Un type de danse où on se touche beaucoup.

- Franchement, on a de la peine à vous imaginer…
- J’aime beaucoup la danse, même si je ne suis pas un grand pro pour suivre des chorégraphies! C’est une belle manifestation de la vie, il y a le mouvement, la création, le souffle, l’émotion, comme dans la nature. Si vous observez un arbre ou un nuage, vous pouvez voir la danse partout. C’est beau de pouvoir danser dehors et de ne pas rester assis derrière un écran tout le temps! Quand on danse, on est aussi dans l’instant présent, comme lorsqu’on attend devant un terrier de blaireau et qu’on espère que la bête va sortir. Cela m’arrive aussi de danser dans la forêt avec des arbres!

- Vous partez encore souvent en forêt?
- Heureusement. Ce qui me fait le plus de bien, c’est de partir trois jours seul en montagne en dormant à la belle étoile. Autant je me sens à l’aise pour animer un festival ou participer à un direct sur un plateau TV, autant je deviens misanthrope dans la nature. Si je croise des promeneurs, je change de chemin! D’ailleurs, le plus souvent je ne suis pas sur les chemins!

- Votre compagne n’est jamais jalouse de cette passion pour la nature?
- J’ai l’immense chance d’avoir à mes côtés une femme qui aime la nature autant que moi. C’est très beau. Parfois elle me laisse partir, et je lui en suis reconnaissant, et puis souvent on va ensemble, et c’est magnifique. Nous avons de la nature des approches assez différentes, mais très complémentaires.

- La mort fait partie de la nature, est-ce qu’elle vous effraie?
- Non. J’aime follement la vie, mais je sais que je dois mourir un jour et que c’est une étape nécessaire à la vie. Je pense que j’arriverai à partir assez facilement le moment venu, même si j’ai encore beaucoup de choses à réaliser et que j’aimerais mourir en patriarche avec tous les miens autour de moi, l’esprit en paix avec ce que j’ai accompli.

- Vous pourriez vous résoudre à passer l’éternité dans un cimetière?
Malheureusement, un des coins de montagne que j’aime le plus en Valais est déjà pris par un copain qui a son cairn là-haut.

- Pas de place pour deux?
- En même temps, si vous vous faites enterrer, vous êtes dans un cycle juste, votre matière retourne à la terre, elle nourrit d’autres organismes. Mais si je devais décider aujourd’hui, j’aimerais plutôt qu’on répande mes cendres sur une montagne.

- On peut aimer et respecter la nature et ne pas croire en Dieu?
- C’est une manière très détournée de me demander en quoi je crois. Je ne sais pas. Je suis issu d’une culture judéo-chrétienne qui a bien sûr façonné ma manière de penser. J’aime cet héritage, c’est mon identité, la Bible est un livre extrêmement intéressant; j’ai beaucoup de plaisir à entrer dans les églises, mais les célébrations avec liturgie ne me parlent pas. Je me sens davantage connecté là où l’énergie du ciel passe à travers les feuilles des arbres qu’à travers les voûtes des églises. Mais c’est une évidence pour moi, il y a quelque chose qui nous dépasse. Seulement, sans vouloir porter de jugement, notre modèle occidental cartésien, double héritage du monothéisme chrétien et des philosophes grecs, est aussi celui qui a détruit la planète. Nous avons inventé la science et la consommation qui découle du capitalisme, et cela est tout simplement en train de dévorer notre monde. Dommage, au fond, que ce ne soit pas l’animisme ou l’hindouisme qui ait pris le dessus. Que reste-t-il de notre jardin d’Eden?

- Il se situe où, ce jardin, aujourd’hui, pour Julien Perrot?
- Peut-être au Bhoutan, un pays que j’aimerais visiter, qui a interdit les pesticides et qui mesure sa prospérité non pas au produit intérieur brut (PIB), mais selon un indice calculé sur le bonheur. C’est un pays qui a très peu de moyens, mais qui investit énormément dans l’éducation, bien plus que la Suisse. On ferait bien de s’en inspirer.


Par Baumann Patrick publié le 29 avril 2019 - 09:34, modifié 18 janvier 2021 - 21:04