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De la Suisse dans l'assiette

Dans le Jura, une flamme pour le lait

Il y a vingt-cinq ans, trois agriculteurs de Movelier (JU) ont osé s’unir pour former l’Association Broquet-Leuenberger, avec la vente directe pour objectif. Leurs clients viennent aujourd’hui de partout pour goûter à leurs spécialités du terroir, où les produits laitiers règnent.

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Blaise Kormann

La montée est sévère dans la forêt au-dessus de Delémont, puis Movelier apparaît après un dernier virage. Voici le haut plateau jurassien et ses pâturages, piquetés de larges fermes. Celle de l’Association Broquet-Leuenberger s’étend au cœur du village, alors que la route s’enfuit déjà vers l’Alsace ou le canton de Bâle.

Ce domaine de 92 hectares, qui compte notamment 170 bovins, 90 caprins, un élevage de porcs laineux et une fromagerie, résulte d’un projet commun, aussi audacieux qu’exemplaire. En 1995, les trois couples de paysans se trouvaient dans un cul-de-sac. A la tête de l’exploitation familiale, Hubert Leuenberger approcha son frère cadet, Mario: «Tu ne voudrais pas t’associer avec moi?» Après une formation dans l’agriculture, celui-ci travaillait dans le tourisme. Il répondit: «Oui, essayons.»

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En haut, de g. à dr.: Gaston Broquet et la chèvre Camille, Hubert et Michèle Leuenberger avec des pains et tresses au feu de bois, le stagiaire Dario Bühler et sa vache préférée Yvonne, Louis Leuenberger et des salamis de porc laineux. Devant, assis… Blaise Kormann

A 400 mètres de là, la ferme de Gaston Broquet traversait les mêmes turbulences. Les trois ménages se rencontrèrent, s’écoutèrent, se mirent d’accord. Le lait, ils y croyaient. La vente directe, ils voulaient la développer. Mario Leuenberger raconte comment chacun choisit sa place selon ses affinités, les sirops et les confitures, la fromagerie, la gestion des troupeaux ou des machines. Les deux premières années furent les plus dures. «On n’était pas connus. Il a fallu faire le tour des marchés, jusqu’à Bâle, tous les quinze jours.»

Aujourd’hui, le magasin apporte la moitié du revenu et plus besoin de courir les foires: les clients viennent à eux et grimpent la côte pour trouver leur bonheur parmi la cinquantaine de produits du terroir, du sirop de menthe à la confiture de cynorrhodon. «Rien que de l’authentiquement jurassien. Vous ne trouverez pas de confiture à l’abricot chez nous…» sourit Anne Leuenberger, l’épouse de Mario.

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Les tommes au lait de vache Mov’li, nature ou à la fleur de foin, se marient magnifiquement avec le pain cuit au feu de bois. Blaise Kormann

Au commerce, les produits laitiers règnent, des fromages frais aux yogourts pur chèvre. «Le lait, malgré les difficultés liées à son bas prix de vente (ndlr: autour de 50 centimes le litre), nous avons la flamme pour lui. Avec la crise du coronavirus, on a même soudain besoin d’importer du beurre!» Meilleure preuve de cette confiance, ils ont construit en 2004 un large hangar à bovins. Et lancé l’automne dernier leur propre tomme artisanale au lait de vache, le Mov’li, du nom du sobriquet des habitants de Movelier.

Leur fils Jean s’occupe patiemment de ce fromage à pâte molle. Les gens de la région l’ont repéré, le réclament déjà. «Pour nous qui travaillons au feeling, en essayant de comprendre la demande, c’est un signal fort», relève son père. Les Broquet-Leuenberger sont aussi membres des deux plateformes a-la-ferme.ch et delaferme.swissmilk.ch qui indiquent en un clic les magasins de vente directe dans les fermes du pays.

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Jean Leuenberger, le fils aîné d’Anne et Mario, et ses tommes fermières au lait de vache, les Mov’li, du nom des habitants de Movelier. Blaise Kormann

Leurs vaches laitières, ils les aiment. Elles ont leur nom, ils connaissent leur caractère. Soumises au régime des PER (prestations écologiques requises), elles ne sont pas attachées et sortent chaque jour. La traite a lieu à l’extérieur, grâce à une installation mobile. Sans stress, chacune d’elles met au monde en moyenne un veau par an et les traitements vétérinaires sont rares.

Mario Leuenberger se régale devant les yeux écarquillés des visiteurs: «Récemment, des paysans de l’Emmental nous ont dit combien il était magnifique de voir des animaux vivre ainsi.» Heureuses, leurs vaches? «Bien sûr, simplement parce qu’elles nous donnent du lait. Quand on traverse l’écurie, plusieurs nous lèchent. Ce contact compte pour nous.»

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Les yogourts pur chèvre se déclinent en sept arômes. Blaise Kormann

Le lait de leurs chèvres est majoritairement transformé en fromage. Il repose pendant vingt-quatre heures, tandis que celui de vache est thermisé à 60°C. «Le lait est une matière vivante, dit Anne. Mon fils fait aussi ses expériences avec celui de vache. Même le meilleur fromager n’arrive pas à tout maîtriser. Il faut tenir compte des saisons, de l’humidité.» Là aussi, on respecte l’animal. La chèvre est ainsi «tarie» pendant les deux premiers mois de l’année, pour lui permettre de reconstituer ses réserves corporelles.

Quand ils regardent ce quart de siècle, ils acquiescent: «Nous avons toujours réussi à trouver un terrain d’entente, dit Mario Leuenberger. Nous nous voyons tous les jours à la ferme et trois à quatre fois par an pour parler sérieusement, prendre des orientations, tous ensemble.»

Leur récompense, c’est de constater que leurs enfants désirent prendre la suite. Ils étaient six adultes au départ, ils sont aujourd’hui neuf sur le domaine. Entre yogourts et tresses au feu de bois, viande séchée et fromage frais, la voie de la nature existe. Un jour de 1995, ils ont osé s’y engouffrer.

>> Lire aussi le reportage à Riddes (VS) sur une production de fruits et légumes

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Une cinquantaine de produits du terroir jurassien sont disponibles au magasin, baptisé Aux Saveurs de la Ferme. Blaise Kormann

Swissmilk green pour un lait suisse durable

La nouvelle norme industrielle pour un lait suisse durable swissmilk green est en vigueur depuis 2019. La marque figure sur les emballages de lait et de produits laitiers dans les rayons réfrigérés des détaillants suisses.

Avec cette nouvelle norme, l'industrie laitière suisse est standardisée à un niveau élevé en matière de bien-être animal, d’alimentation, de durabilité et de questions sociales. Il vaut la peine de prendre garde à la mention swissmilk green lors de l'achat de lait et de produits laitiers.

>> Infos à propos de swissmilk green: www.swissmilk.ch/fr/


«Nous avons plus à faire qu’avant le coronavirus»

Sa mozzarella est meilleure que celle d’Italie! Le Saint-Gallois Christof Züger mise à fond sur le fromage frais et se positionne donc parfaitement dans la crise du coronavirus.

- Avez-vous des racines italiennes?

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Christof (photo) et Markus Züger, avec les 280 employés de leur entreprise Züger Frischkäse AG, entreprise familiale d’Oberbüren (SG), sont les plus grands producteurs de fromage frais du pays. Kurt Reichenbach

- Christof Züger: Non (rires).

- Qu’est-ce qui vous a décidé à faire de la mozzarella en Suisse orientale?
- Notre famille produit du fromage depuis longtemps. Mais, dans les années 80, mon père a connu des difficultés économiques. Il est allé voir son frère en Amérique et lui a demandé: «Quel autre fromage pourrais-je faire, à part de l’appenzeller et de l’emmental?» Son frère a répondu: «De la mozzarella! Pour les pizzas!» Celles-ci étaient déjà beaucoup plus populaires aux Etats-Unis qu’en Suisse. Et nous nous sommes lancés.

- Pouvez-vous réussir la mozzarella aussi bien que les Italiens?
- Notre mozzarella est même meilleure que l’italienne.

- Ah bon?
- Bien sûr! Sinon nous ne pourrions pas l’exporter en Italie.

- Pourquoi votre mozzarella est-elle meilleure?
- Les vaches suisses vont dans les prairies et mangent de l’herbe. En Italie, la plupart des vaches vivent à l’étable et consomment du maïs. Nos agriculteurs ont la qualité du lait dans leurs gènes. Ils ont toujours dû fournir un lait particulièrement bon pour l’emmental et le gruyère à partir de lait cru. Pour que la mozzarella se conserve quatre semaines, nous devons aussi traiter le lait rapidement et de manière particulièrement propre.

- Où avez-vous appris à faire de la mozzarella?
- Mon frère est allé en Italie, en tant que stagiaire. On pourrait dire qu’il y fut une sorte d’espion industriel. Nous fabriquons du fromage frais depuis maintenant vingt ans, avec notre cœur. Nous nous sommes sans cesse améliorés.

- Quelle est la taille de la maison Züger?
- Nous sommes le plus grand producteur suisse de fromage frais. En plus de la mozzarella, nous fabriquons de la ricotta, du mascarpone et du fromage blanc. Et nous planifions la prochaine expansion. Parce que le fromage frais est une mode en Suisse. Les flexitariens mangent moins de viande et davantage de fromage grillé. Et les adeptes du fitness aiment le fromage frais, riche en protéines. Le tofu est moins présent dans notre culture. Nous exportons aussi plus de la moitié de notre fromage vers l’Espagne, l’Allemagne, la France, la Russie, l’Arabie saoudite et la Chine, notamment.

- Malgré le niveau élevé des prix en Suisse?
- Nous dépendons fortement du fromage bio pour nos exportations. Il nous place dans les supermarchés bios européens, comme Alnatura. La qualité suisse compte beaucoup.

- Ce qui a changé pour vous avec la crise du coronavirus?
- Le dimanche soir avant le début du confinement, à 20 heures, je suis entré dans l’entreprise et j’ai modifié la production de fromage. J’ai arrêté les paquets de 5 kilos pour les restaurants et lancé de petites boules de mozzarella pour les magasins. En fin de compte, nous avons plutôt plus à faire qu’avant la crise…

- Pas de chômage partiel?
- Non. Je n’ai jamais vu des employés aussi heureux que ces dernières semaines. Ils peuvent venir travailler chez nous au lieu de rester entre leurs quatre murs. Nous formons une super équipe. Avec la même énergie venue du cœur!

- Comment aimez-vous manger votre mozzarella?
- Avec un peu de vinaigre balsamique et d’huile d’olive.

- Pas de sel?
- Un peu. Ou juste nature, sans tout le reste.


Par Marc David publié le 18 mai 2020 - 09:45, modifié 18 janvier 2021 - 21:11