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Portrait 

Kadebostany: «Le moment est venu de tomber le masque...» 

Le leader du groupe électro-pop helvète nous reçoit à son domicile lausannois. Guillaume Bozonnet oublie son mystérieux personnage et nous parle de lui, de ses failles, avant l’escale suisse de sa tournée internationale.

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Chez lui à Lausanne, grâce au montage de notre photographe, Guillaume Bozonnet se met au service de son avatar, le président Kadebostan tout-puissant. © Fred Merz | lundi13 / Photomontage Suzanne Martinez de Tejada
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Guillaume, ici avec son lévrier, passe 15 heures par jour dans son studio, au service de sa musique. «Je travaille pour procurer du plaisir aux gens. C’est mon but dans la vie.» © Fred Merz | lundi13

Le Kadebostan est une république imaginaire dont l’illustre président n’est autre que Guillaume de Kadebostany. «Je me suis anobli il y a peu», s’amuse celui qui, au civil, est Guillaume Bozonnet, compositeur et directeur artistique du collectif électro-pop. Ce groupe suisse nimbé de mystère, actuellement en tournée internationale, est un phénomène. Actif depuis dix ans, il cumule 500 millions de vues sur YouTube, fait vivre dix personnes, séduit en Russie, en Turquie, en Grèce, en Angleterre ou en Allemagne.

De Guillaume, on ne sait rien ou presque. Dans la rue qui mène au domicile lausannois du chef d’Etat musicien, on dépasse une maison dont la banderole lui fait un savoureux clin d’œil: «Journée de la schizophrénie». Cent mètres encore et nous voilà à la fois chez l’homme, l’artiste et son avatar. A l’intérieur, les murs roses et verts évoquent plus la crème glacée fraise-pistache que l’atmosphère martiale véhiculée par le visuel des albums, des photos et des clips à la beauté froide et étrange. «Sur mes murs, ce sont des couleurs à la Wes Anderson (le réalisateur de The Grand Budapest Hotel, ndlr)», précise l’intéressé en demandant à son lévrier de laisser passer l’humble visiteur. Après avoir servi le café, il lâche: «J’ai décidé de tomber le masque.»

Bonnet noir, longs doigts bagués, t-shirt blanc sous un veston croisé, le garçon de 33 ans semble insaisissable de prime abord. Guillaume Bozonnet est bavard, on sent chez lui pudeur et retenue, prêt à brouiller les pistes. Est-il Napolitain, Pakistanais, Afghan? Rien d’exotique, en fait. «Mes parents sont Français. Ma mère est mon modèle. Elle est très cool, très sociable, on échange beaucoup, je me fie à son expérience et j’écoute ses conseils. C’est une femme forte qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle bosse dans le juridique. Lorsque j’étais gamin, avec mon côté tête brûlée, il suffisait qu’elle me dise: «Oh! Tu fais quoi là?» Et je ne faisais pas le malin. Aujourd’hui encore…»

Guillaume est fils unique. «Enfant, j’étais hyper-solitaire, un peu marginal, rigole-t-il. Je ne jouais pas au foot. J’avais mes platines, je scratchais dans mon coin. Je n’ai jamais cherché à me sociabiliser, à avoir des potes uniquement pour passer du bon temps. Aujourd’hui, mes amis, ce sont les gens avec lesquels je travaille.»

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La musique très imagée de Kadebostany, à la fois envoûtante et grandiloquente, offre de somptueux singles dans son dernier opus tels que «Mind If I Stay» ou «Save Me».


C’est en accompagnant son père, technicien dans les radios pirates, qu’il a pris goût à l’univers des studios. Le sien est à l’étage. «La première fois que j’ai vu des platines MK2 avec une table de mixage DJ Gemini, j’ai eu des étoiles dans les yeux.» Un déclic. «Je me suis dit: «J’ai envie de faire ça!» Désormais, il vit entouré de synthés et de claviers vintage et passe 15 heures par jour dans son antre. «Ma capacité de travail étonne. Le feu ne m’a jamais lâché. J’ai toujours cherché un sens à ma vie. Avec la musique, elle en a un. Ma motivation, c’est de procurer des émotions.»

Je ne peux pas laisser les gens nuire gratuitement à ma réputation

Il associe les sons aux images. «Je vois la musique comme des tableaux. Les basses dans le bas, la voix en haut. Je perçois les sons comme des couleurs à ma disposition et chacun a une histoire.» Le fruit de son récent labeur s’intitule Monumental. Un troisième album aux titres mélodieux brillants tels que Mind if I Stay ou Save Me.

S’inventer un alter ego

Guillaume a grandi au son des DJ stars, Laurent Garnier et Carl Cox. «J’ai religieusement écouté PJ Harvey et son ex-copain, le musicien et réalisateur Vincent Gallo. J’aime les artistes capables de prendre des risques au point de se foutre du business.» Il a embrassé toutes les musiques, du jazz au classique. «Lorsqu’une œuvre m’intéresse, je la dissèque pour tenter d’en percer les mystères.» Sur scène, il officie derrière un clavier. «Je joue mal de tous les instruments. Après mes premiers cours d’harmonie, j’ai vite arrêté. Je craignais de perdre le côté naïf, la magie. Je me fie à mon intuition. La petite étincelle qui permet de créer quelque chose d’hyper-intime et d’universel à la fois.»

Sa carrière est une succession de rencontres. «L’un de mes mentors a été le producteur français Ed Lyve. J’ai pu le suivre dans l’élaboration d’un album avec la chanteuse genevoise Noga, créatrice à Genève du centre Catalyse, et les musiciens du groupe Quartier lointain (formation de jazz, ndlr). Si je ne saisissais pas un truc, il me l’expliquait. Ce type a des oreilles en or.»

Son premier groupe naîtra en 2008 sous l’appellation The National Fanfare of Kadebostany. «Je n’étais pas très à l’aise avec moi-même dans la vie de tous les jours et je me suis dit: «Crée-toi un alter ego qui va être dix fois mieux que toi, dix fois plus intéressant à faire évoluer.» A l’instar de David Bowie, inventeur de Ziggy Stardust.»

Partant du constat que «lorsque vous arrivez avec un premier disque, vous n’êtes personne», il a imaginé un univers sans limites. «Un pays, un style vestimentaire, une monnaie… Personne ne l’avait fait auparavant.»

Le concept Kadebostany et son président – c’est à ce titre qu’il se présentait aux journalistes – a suscité la curiosité avant de générer une certaine incompréhension. «Lorsque je prétendais être dirigeant, c’était avec un large sourire. Certains ne l’ont pas perçu. Dans la vie j’aime rigoler. Si j’avais d’emblée révélé mes origines, on m’aurait enfermé dans une case. Derrière mon concept, certains se sont dit: «Mais qu’est-ce que c’est que ce mec arrogant?» Lui assume. «Il faut une certaine dose d’orgueil et pas mal d’ego pour faire un disque et le présenter aux autres.» Dont acte.

Le succès du sieur Guillaume n’a pas fait que des heureux. En juillet 2016, la chanteuse du groupe, Amina Cadelli, désormais Flèche Love – elle signe les paroles de cinq titres de Monumental –, claquait la porte. Elle a exprimé son ressenti, victime d’un leader dictateur. Qu’en pense-t-il? «Je n’ai pas envie de dire du mal d’elle. J’ai perçu un besoin de se venger, de me faire passer pour la pire des pourritures, pour ce que je ne suis pas. C’était unilatéral, partial et faux. Avec mon manager (Sandro Brero; présent dans la pièce d’à côté, il acquiesce, ndlr), nous avons évité de nous répandre sur les réseaux sociaux. Nous avons fait valoir nos droits. Je crois en la justice, elle a tranché en notre faveur. Mais le mal est fait.»

Dans la foulée, un concert de Kadebostany avait été annulé à Genève. «C’était à l’occasion de la semaine de la démocratie. Le motif? «On ne peut pas inviter un groupe qui a ce genre de comportement.» Il marque un temps d’arrêt et s’interroge: «Mais quel comportement?» L’épisode l’a visiblement affecté. «Je ne peux pas laisser des gens nuire gratuitement à ma réputation, à ma vie et à tout un groupe sous prétexte que quelqu’un prend des postures néoféministes. Cette mascarade m’a été insupportable.»

Avec sa moustache, ses costumes et ses cheveux bien peignés, le président tout-puissant n’est-il pas un peu too much? «J’étais insaisissable, certes, mais cela fait partie du théâtre. J’avais du succès, j’étais tout désigné pour qu’on allume un bûcher et qu’on me balance dedans. C’est triste. Je n’en suis pas mort. Cette histoire m’a un peu déniaisé. Elle m’a permis de grandir.»

D’ailleurs, sur son dernier opus, il n’y a plus une, mais six chanteuses. A la façon des filles du Crazy Horse, celles de Kadebostany seraient-elles interchangeables? «J’aimerais qu’il existe, comme au Crazy, trois troupes partant sur les routes afin de chanter notre répertoire. Nous, en tournée, n’avons qu’une seule chanteuse: Kristina.»

Il la couvre d’éloges. «Elle est Russe, elle vient du Locle. Je suis allé l’écouter chez elle sur les conseils d’un proche. Elle a chanté dans sa cuisine avec sa guitare. C’était magnifique. On a l’impression qu’elle a un effet incorporé dans la voix. Cette fille est magnétique.»

Cette année, ils ont tourné cinq jours à Moscou et à Saint-Pétersbourg. «C’était super intense. Kristina a une capacité d’intégration, de travail et d’endurance rare. Elle travaille avec le sourire. Il faut en être capable, suivre la cadence, encaisser ces déplacements physiquement et mentalement. C’est dur, c’est un milieu masculin, mais c’est la dernière à se plaindre. Au final, peu importe que vous soyez un homme ou une femme, c’est ce que vous faites qui compte.»

Guillaume Bozonnet s’accommode des coups du sort. L’un d’eux concerne la musique du film Cinquante nuances de Grey, dont il aurait pu être l’auteur. «Un gros studio hollywoodien nous avait contactés en nous annonçant que notre reprise de Crazy in Love, un titre de Beyoncé datant de 2003 dont nous avions ralenti le tempo en 2013, était pressenti pour figurer au générique.» Les négociations étaient bien lancées. «Ensuite ce fut le silence radio. Lorsque la bande-annonce est sortie, nous avons reçu un tweet louangeur nous annonçant: «Votre version est au générique!» Pas tout à fait… «Beyoncé avait réenregistré une copie de notre interprétation. Je ne suis pas amer. Cela a eu le mérite de nous faire connaître dans le milieu du cinéma outre-Atlantique. C’est bien la preuve que l’on peut être basé en Suisse et faire des choses énormes.»

Comme disent les Américains: «The sky is the limit.» Et les ambitions de Guillaume Bozonnet, elles, sont sans frontières.

Par Dana Didier publié le 3 septembre 2018 - 08:39, modifié 18 janvier 2021 - 21:00