En ce matin d’hiver à Bâle, le garçonnet à l’entrée de l’immeuble d’une rue calme est très fier de donner la direction quand on lui demande l’adresse de la famille Repond. Une porte du deuxième étage s’ouvre sur une maman qui chuchote: «Ah, vous êtes là? Ma fille dort, le repos est important pour elle.» Il est 10 heures mais cette sieste n’a rien à voir avec une grasse matinée. Au contraire, Kimmy Repond, 17 ans, épatante médaillée de bronze aux derniers Européens et superbe huitième des Mondiaux, a déjà vécu des moments intenses aujourd’hui. Elle était à 6 heures à la patinoire Saint-Jacques, à une vingtaine de minutes à pied, puis à 6h45 sur la glace. Elle s’est entraînée, est rentrée chez elle. Cet après-midi, elle repartira à la halle pour des pirouettes, de la chorégraphie et du fitness. Des rendez-vous flamboient devant elle. Les Européens à Kaunas, en Lituanie, et les Mondiaux à Montréal.
Sa mère, Claudia, le confie en attendant le réveil de sa championne: «Elle est très impatiente, elle se réjouit des compétitions, elle veut se montrer. Au cours de sa carrière, elle a souvent dû attendre.» Et pour cause: à 11 ans, Kimmy était capable de réaliser tous les triples sauts et les triples combinaisons; elle aurait été prête pour la catégorie juniors en termes de valeurs techniques, mais elle a dû attendre deux ans avant de patiner au niveau international, en raison de son jeune âge. Quand elle a fini par avoir 13 ans, la pandémie s’est abattue et les compétitions ont été annulées, y compris les Mondiaux juniors 2021.
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Kimmy est une stakhanoviste souriante qu’il faut parfois arrêter. «Elle peut être très détendue à la maison, mais, dans son sport, elle veut des entraîneurs qui la poussent. Quand elle devait choisir, elle optait toujours pour les plus durs, mais les plus justes. Des coachs qui la stimulent d’une manière sportive», explique Claudia Repond, qui a vécu une douzaine d’années à Lausanne et a de la famille en ville de Fribourg. Son père, Romain, s’y est installé pendant la Seconde Guerre mondiale, après avoir quitté Rouen (F).
Kimmy est la troisième de quatre sœurs, toutes patineuses; l’une d’elles, Jérômie, l’entraîne. Depuis quelques mois, elle a grandi de plusieurs centimètres. «Elle a toujours eu peur de ce moment parce que les Russes sont petites et qu’ils veulent cela pour le patinage. Mais maintenant qu’elle est plus grande et qu’elle peut tout de même réussir de beaux sauts techniques, elle trouve cela beau aussi.» Claudia Repond connaît la volonté d’airain de sa fille. En septembre 2023, celle-ci a subi une fracture osseuse lors du Nebelhorn Trophy, en Allemagne. Incapable d’effectuer un double axel ou une double pirouette, elle a pourtant accepté l’invitation de l’Open du Japon, début octobre. «J’y étais opposée, parce que Kimmy n’avait presque pas pu s’entraîner. Elle m’a répondu: «C’est un honneur d’être invitée, je ne suis pas une athlète qui abandonne!» Et elle a adoré l’expérience là-bas et n’a pas regretté cette décision, même si elle n’a pas pu montrer son meilleur.»
Dans un coin de l’appartement, le piano est désormais muet. Jusqu’à environ 10 ans, Kimmy l’a pratiqué pendant une heure à une heure et demie par jour; elle a participé à des concours, en a gagné certains. La voici qui sort de sa chambre, reposée, lumineuse.
- Comment allez-vous?
- Kimmy Repond: Bien, je n’ai plus de douleurs. En 2023, j’ai traversé presque trois mois de blessures. Ce n’est qu’après le premier Grand Prix, en France, que j’ai dû me rendre à l’évidence: les médecins avaient raison, la blessure ne disparaîtrait qu’avec une pause dans mon entraînement. J’ai obéi le cœur lourd. Je n’ai repris que deux semaines avant les Championnats suisses, mi-décembre, et, malgré cela, je les ai gagnés pour la première fois en élite. Cela n’a pas été facile, mais je suis très contente. J’ai maintenant remporté six titres nationaux, une médaille d’or dans chaque catégorie.
- Pourquoi le patinage et non le piano?
- J’ai beaucoup aimé les deux, mais j’ai trouvé davantage de variations dans le patinage artistique. Il s’y niche tellement d’aspects différents à pratiquer, le fitness, les sauts, les pirouettes, le ballet, la chorégraphie. Nous avons encore ce piano, mais je n’en joue plus.
- Quand avez-vous compris que le patinage prenait le dessus?
- A 10 ans. Avant, quand j’accompagnais ma grande sœur, c’était pour le plaisir. Puis j’ai commencé à m’entraîner et à sauter. Les objectifs n’ont pas arrêté de changer. Passer mes triples sauts, devenir championne suisse, gagner une compétition internationale. Puis décrocher une médaille aux Championnats d’Europe. J’ai atteint tout cela mais rien n’est acquis. Si je suis toujours aussi nerveuse au moment du kiss and cry, c’est que les juges voient parfois des erreurs que je n’ai pas ressenties.
- Avez-vous beaucoup grandi depuis l’année dernière?
- Oui, de 6 à 7 centimètres. Je pense maintenant avoir ma taille adulte, je mesure 171 cm. Je suis heureuse que mes sauts soient toujours aussi réussis, que je sois encore à l’aise. J’ai dû lutter contre les blessures, contre les changements de mes os. J’ai grandi si vite.
- Comment gérez-vous la fatigue?
- J’aime beaucoup ce que je fais, voilà, et je sais que mon sport nécessite de m’entraîner énormément. Je me lève vers 5 heures du matin mais je me couche tôt, entre 20 heures et 20 h 30. Ce n’est pas un sacrifice: je suis si fatiguée le soir que j’irais me coucher de toute façon. Je ne suis pas une fêtarde, je préfère être chez moi, en famille. En saison, je dois faire attention aux maladies et renoncer à des sorties telles que le marché d’automne ou de Noël; cette année, j’y suis juste allée pour une photo Instagram, avec un masque. Je dispose aussi de cinq mois hors saison où je peux presque tout faire.
- Avez-vous grandi plus vite qu’une jeune fille de votre âge?
- Dans le sport de compétition, surtout le patinage artistique, on a une carrière très tôt. J’étais déjà très indépendante à 14 ou 15 ans, je le suis encore davantage aujourd’hui. C’est une activité où on a besoin d’une autodiscipline extrême.
- Comment faites-vous pour transmettre les émotions?
- Cela doit venir de moi. Voilà treize ans que je m’entraîne; une compétition comme les Championnats d’Europe est émouvante pour moi. Tout ce que je traverse ressort. L’an dernier, par exemple, ma préparation avait été difficile avant ma médaille aux Européens. Je ressentais de fortes douleurs au dos, mes entraînements étaient mauvais, avec jamais un programme sans fautes.
- Trouvez-vous ce qu’il vous faut pour vous préparer en Suisse?
- Je suis reconnaissante pour les conditions de glace à Bâle, mais ce n’est pas parfait, non. Nous n’avons souvent pas de glace pendant les vacances d’été et d’hiver. Il n’y en avait pas l’année dernière pendant deux semaines avant les Mondiaux juniors. Or ma sœur préparait aussi les Championnats suisses et nous avons dû aller à Zurich. Nous étions encore à l’école, ce fut extrêmement compliqué. J’aimerais aussi m’entraîner avec des athlètes du même niveau. A Bâle, personne ne fait de triples sauts. Cette année, je suis allée au Canada pour mes nouveaux programmes. C’était motivant, j’ai beaucoup aimé.
- Comment vivez-vous la douleur?
- J’y suis habituée. Le pire, ce sont les chutes où on tombe bêtement, lors d’éléments considérés comme simples. Si on chute au pas, cela fait plus mal que sur un triple saut. Récemment, je suis tombée sur un twizzle et je n’ai presque plus pu marcher pendant une semaine...
- Faut-il du courage?
- Pour tenter un nouveau saut, oui.
- Le patinage est-il un sport de vieilles personnes?
- Oh non, j’espère inspirer des jeunes à commencer le patinage artistique, surtout en Suisse, où ce sport n’est hélas pas très populaire. Je me sens libre et chaque patineuse a son style. Avez-vous vu Loena Hendrickx et son programme Beyoncé? Ou les Japonaises, qui amènent leur culture? Je trouve cela très beau. Moi, j’ai eu un blues l’an dernier et, cette année, j’ai une musique très chantée. Je vais patiner sur le morceau français Voilà (titre de Barbara Pravi, ndlr). J’aime sa valse, ses émotions. Sur la glace, j’aime raconter une histoire.