Klaxon, jars superstar à Morges

A l’Hôtel de Ville de Morges, une plaque commémorative fixée à côté de la porte du cellier rappelle le mariage d’Audrey Hepburn avec Andrea Dotti, le 18 janvier 1969. Mais ces jours, c’est plutôt la relation amoureuse d'un couple de volatiles qui attire les regards: le jars Klaxon, une femelle cygne et ses six petits. L’œil bleu, le bec orangé, l’air martial, le mâle se comporte en chef de famille et conduit sa troupe avec la vigilante assurance d’un gendarme. Les six boules de plumes à la robe grise qui le suivent seraient-elles une hybridation, fruit de ses amours avec la belle dont le volatile au sobriquet d’avertisseur est inséparable? Pour le constater, il faut attendre leur plumage adulte, précise l’ornithologue et directeur de BirdLife François Turrian. «Les oies peuvent s’hybrider avec des cygnes et des canards ou tous ceux de la famille des anatidés. Ensemble, ils donnent des petits stériles, même si on connaît des exceptions.»

Pour Gérard Humbert-Droz, le chef du port, observateur du volatile depuis de nombreuses années, ça n’est pas le cas cette année. «On a déjà vu des hybrides. C’est étonnant. Leur cou blanc, leur couleur et leur cri ne laissent planer aucun doute sur le croisement.» Ce fut le cas en 2014 et en 2019.

Cette fois, la portée semble être le fait d’un cygne mâle, jamais loin de Klaxon et Madame. Depuis des années, à Morges, ce ménage à trois fait mentir la légendaire fidélité des cygnes tuberculés, espèce monogame et symbole chamanique d’amour éternel. Soit la femelle a perdu son premier compagnon, soit l’intrus – sans doute échappé de chez un particulier – est venu se greffer durablement.

Au bord du Léman, le trio insolite se laisse vivre, s’intimide et se chamaille. Sur l’eau, à l’approche de son rival, Klaxon charge, cou en avant telle une lance, fait barrage, signifiant qu’il est le seul protecteur de la nichée et qu’il faudra, le cas échéant, lui passer sur le corps. Le cygne, lui, tente de s’approcher de la belle, mais ça ne dure jamais longtemps. Madame ne semble pas vouloir arbitrer. Il s’écarte, vaincu, puis revient comme si de rien n’était.

Le jars jaloux aime à se manifester. En langage animal, Klaxon jargonne. Ce son caractéristique, strident et sonore, connu loin à la ronde, lui vaut son nom. C’est un signal de vigilance lorsqu’un bipède s’approche trop, un cri de guerre suivi d’une attaque dès qu’un intrus emplumé ose pénétrer sur son territoire ou un rappel à l’ordre aussitôt qu’un rejeton s’écarte imprudemment à l’occasion d’une sortie quotidienne depuis la plage du port du Petit-Bois où fut construit, au sol, leur nid de branchages.

Depuis bientôt un mois, la joyeuse bande attire les regards attendris. Filmés et photographiés comme au Festival de Can(n)es, la «Klaxon family» est devenue une attraction. «Ça fait longtemps qu’on ne le voyait plus», commente un couple de retraités sur la plage du Boiron. Parents et enfants s’émerveillent lorsqu’ils les découvrent dans l’herbe ou en file indienne en train de se déplacer, sur la terre ferme, d’une démarche dodelinante et maladroite.

Personne ne connaît l’exacte provenance de Klaxon. «Ils s’échappent de captivité et peuvent, parfois, devenir des espèces invasives, souligne François Turrian. C’est le cas du tadorne casarca ou de l’ouette d’Egypte.» Un couple d’ouettes, avec cette tache sombre caractéristique sur l’œil, est visible cette année. Il se balade en compagnie de quatre petits, mais semble nettement plus farouche que le jars et sa smala. Ils devraient rester groupés entre six mois et une année. Suffisamment longtemps pour continuer à se faire admirer.