Une nature. Une gouaille. Le regard lumineux. L’éclat de rire tonitruant comme ses colères. Artiste dans l’âme, devenue un personnage public dès le milieu des années 1980 grâce à la scène puis à la télévision, elle était animée d’un amour profond pour les gens. Sa vie – ses vies devrait-on écrire, tant elle a vécu intensément – aura été par une succession de rencontres.
Une aventurière. Telle était La Castou, née Catherine Burckhardt, qui a choisi de s’en aller chez elle, à Denens (VD), avec Exit pour fuir la souffrance de ce mal incurable qui la consumait. Grande fumeuse devant l’éternel, la Jurassienne aura grillé la vie par les deux bouts. Elle a choisi de tirer elle-même le rideau, fidèle à son caractère farouchement indépendant. Ses éclats de voix et ses fous rires hantent encore le plateau des sitcoms romandes à succès dans lesquelles elle aura joué, de Carnotzet aux Pique-Meurons en passant par La Chronique, Arrêt Buffet ou Bigoudi. Des séries populaires – un mot que cette féministe chérissait.
Dans sa jeunesse, Catherine Burckhardt ne pouvait traverser une pièce sans que le regard d’un homme ne s’accroche à elle. La jeune beauté, née à Saignelégier en 1948, avait choisi la danse comme premier moyen d’expression en marge d’un apprentissage de photographe. Son surnom, La Castou, lui avait été donné lors d’un séjour à New York par un ami inspiré qui avait remarqué que la Jurassienne, gauche, brisait beaucoup de choses. Ce sobriquet ne la quittera plus.
Généreuse, spontanée, tournée vers les autres, La Castou était en représentation permanente. Une présence folle mais aucune arrogance. Rien. Il fallait la voir échanger avec les gens. Elle n’était avare ni d’éclats de voix, ni de grands gestes, ni de sourires. Séductrice. L’écouter et l’observer étaient un régal.
Voyageuse au long cours, elle s’était échappée à 18 ans des Franches-Montagnes, dont elle disait «adorer les gens et détester le climat», ses hivers rigoureux en particulier (si, si, à l’époque, c’était comme ça!). La Castou était solaire. Pas calculatrice pour quatre sous. «J’ai toujours eu la bougeotte» nous confiait-elle en 2004. Elle avait gardé des Taignons, comme on surnomme les Francs-Montagnards, un caractère affirmé, le goût de la fête, une certaine rudesse aussi, parfois. La scène sera son domaine. La Jurassienne mange la lumière, bouge, chante, plaisante. Une touche-à-tout hyper-attachante.
La Télévision romande la recrute toute jeune pour danser au côté d’invités prestigieux tels que Serge Gainsbourg, Claude Nougaro, France Gall lorsqu'ils sont de passage dans les studios à Genève. Le grand Jacques Brel, fasciné, la conviera même à faire sa première partie à Knokke-le-Zoute. Dans le genre référence, c’est plutôt pas mal, non? La Castou ne sera jamais la femme d’un seul homme, fût-il célèbre. Elle chérit sa liberté. Butineuse et globe-trotteuse.
En 1968, lors d’un voyage en Egypte, elle fait une chute de cheval qui met un terme définitif à ses ambitions de danseuse. Elle privilégiera la scène, le cabaret, puis la télévision et le cinéma en tant qu’actrice.
Parmi les rencontres décisives de sa vie, il y aura notamment eu Isabelle Bonvin, rencontrée sur les planches du Casino, en 1984, à Genève. Durant huit ans, elles animent ensemble La Revue. En 1993, Isabelle choisit l’exil et met le cap sur la République dominicaine avec son mari et leur fille. Punta Cana ne fonctionne pas encore comme un aimant à charters. Les cocotiers, le sable fin, le soleil surtout font envie à la Jurassienne, qui supporte de moins en moins la fraîcheur suisse.
La Castou est néanmoins attachée à sa terre natale. A La Theurre (JU), minuscule hameau perdu au milieu des sapins, elle habite une ferme trop grande pour elle. Un écrin de nature idéal pour les animaux, chiens et chats en tête, qu’elle adore, mais elle a beau mettre des touches de soleil dans le décor – certains détails de sa maison ont été peints en bleu marine et blanc: clin d’oeil à la Grèce où elle a longtemps rêvé de s’installer –, le Sud reste au sud et elle… vit au nord. Elle est fatiguée de ce tiraillement entre ses aspirations profondes à jouir d’une vie sociale pleinement intégrée, sa solitude choisie aux Franches-Montagnes et son statut artistique qui la voit sillonner la Suisse romande de long en large, au gré des boulots.
En 1998, elle file en vacances retrouver sa copine Isabelle Bonvin dans les Caraïbes. Illumination. Le nom de la petite ville en question résonne en elle: Cabarete. La scène, toujours. Bientôt, une casita (petite maison) est mise en vente là-bas, au fond de la rue du rêve (Calle Sueño Real), à 200 mètres à vol d’oiseau des plages de rêve. Le spot est très couru des amateurs de kitesurf, dont notre Monsieur Météo Philippe Jeanneret qui aime s’y rendre en quête de sensations fortes.
La Castou a des envies d’ailleurs, mais pas un rond de côté. «Mon ami François Silvant a eu la gentillesse de m'offrir ce cadeau», avouera-t-elle reconnaissante dans «L’illustré» en évoquant l’achat de sa casita dominicaine. L’humoriste vaudois, alors au sommet de sa gloire, est comme un frère pour elle. Il lui offre les 20'000 francs dont elle a besoin pour filer sur son île. Comme ça, sans discuter. En 2001, c’est le grand départ. Adieu vaches, cochons, couvées. A elle le soleil!
La Castou s’installe à Cabarete. Isabelle Bonvin s’occupe de la paperasse. Elle connaît la musique. Sa «frangine jurassienne», elle, a toujours fui les tâches administratives. Tout en menant une vie de bohème dans sa minuscule maison dominicaine caressée par le vent du large où elle peut enfin lever (un peu) le pied, La Castou reviendra régulièrement en Suisse pour travailler.
Sur place, elle décore elle-même sa maison. Un pinceau (ou un rouleau) à la main, elle fait des merveilles. Très vite, les gens du coin découvrent cette Suissesse déjantée qui n’est jamais la première à quitter le bar et fume déraisonnablement. Elle intrigue. Elle fascine.
Dans son île, elle découvre toutefois l’envers du décor: une pauvreté endémique, une inflation galopante, pas mal de délinquance. Cabarete étant un lieu touristique, la police y est présente en force. Il faut encourager le tourisme en passe d’exploser et rassurer les nouveaux résidents étrangers. Après avoir essayé d’ouvrir, à deux reprises, une école de danse pour enfants, La Castou sera contrainte de renoncer.
C’est donc là-bas que j’aurai le plaisir d’aller lui rendre visite pour «L’illustré», accompagné du photographe Didier Martenet, à l’été 2004. En réalité, nous avons suivi les finalistes du concours Miss Suisse à Punta Cana, où sont tournés cette année-là les portraits des candidates qui seront diffusés le soir de l’élection. Problème: Punta Cana et Cabarete ne sont pas sur la même côte et séparés par une chaîne de montagne. Impossible de relier les deux sites par la route, à moins d’aller se perdre dans des routes incertaines. La solution la plus simple consiste alors à louer un petit avion, qui couvrira la distance. Ce sera notre choix. Un choix que j’avoue rétrospectivement avoir rapidement regretté. D’abord en voyant l’appareil, un coucou à hélices à la carlingue fatiguée par les embruns, aux ailes piquetées de points de rouille. Le pilote ensuite. Désireux de nous en mettre plein la vue, il va nous offrir un tour de manège, s’amusant à raser le sommet des collines puis plongeant vers la plage avant de tirer sur le manche pour redresser au dernier moment. Plus jamais je ne remonterai dans un engin de cette taille.
La Castou nous recevra avec beaucoup de générosité, jouant les guides à Cabarete, nous présentant ses amis suisses et francophones après nous avoir accueillis avec des caïpirinha maison. De sa petite casita bleue et jaune toute simple et sans piscine, je me souviens surtout du hamac dans lequel la maîtresse de maison se prélassait, du chien Chili et du chat Macho des voisins qui avaient choisi d’un commun accord de déserter leur domicile légal pour aller squatter chez la Suissesse!
Avec cette folle vitalité qui la caractérisait, son empathie non feinte, son espagnol encore hésitant qu’elle compensait par des gestes et des sourires, elle semblait voir enfin midi à sa porte. La belle vie. Elle se déplaçait à vélo ou en motoconcho (mototaxi), cheveux au vent. Heureuse.
La Castou propriétaire à la mer: voilà bien un rêve qu’elle n’avait jamais osé faire, elle qui était bien plus cigale que fourmi. Elle avait songé un temps s’offrir un pied à terre en Grèce, mais l’envolée des prix dans l’immobilier l’avait ramenée à la raison, donc à La Theurre (JU).
A l’époque de notre rencontre en République dominicaine, La Castou avait 56 ans, soit un an de moins que l’âge que j’ai aujourd’hui. Elle profitait de la vie, avec des retours et des rôles programmés en Suisse, pour les Pique-Meurons, la série de la télévision romande qu’on nommait alors TSR ou encore au Théâtre de Poche à Genève. Sept mois seulement après s’être posée là-bas, on la rappelait déjà pour une pièce de théâtre à Neuchâtel. Elle nous avait avoué: «Je suis une SDF en Suisse, mais j’ai un lit à Saignelégier, à Moutier, à Genève ou encore chez Silvant à Coppet.»
La parenthèse enchantée à Cabarete ne durera pas. Elle tournera même au cauchemar quand un cyclone particulièrement puissant parmi ceux, nombreux, qui balaient cette région du monde entre les mois de juin et novembre, soufflera sa jolie casita. Un rêve envolé, mais un rêve vécu pleinement. Rentrée en Suisse, l’artiste continuera de donner au public romand de toutes les façons possibles. Elle s’était installée à Denens (VD) où, ces dix dernières années, elle dirigeait «Les Hurluberlus», une troupe de théâtre amateur, avec autorité et passion. Sa dernière apparition remontait au film «Presque», co-réalisé par Alexandre Jollien et Bernard Campan (Les Inconnus), sorti en 2021.
La Castou était une fleur sauvage. Une fleur des pâturages franc-montagnards, de celles qui voisinent avec les champignons hallucinogènes. Une indomptable dont les jolis yeux bleus trahissaient autant les exaspérations que la douceur de vivre.
Elle a choisi l’heure de sa mort, sollicitant les services d’Exit Suisse romande. La Castou a décidé de disparaître en toute conscience, après avoir posté un ultime message touchant sur Facebook. Une sortie de scène que la maladie incurable dont elle soufrait depuis plusieurs années aura certes précipitée, mais qu’elle aura menée à sa façon. Comme toujours. Et sans cérémonie d’adieu.
Aujourd’hui, j’ai en gros l’âge qu’elle avait quand j’étais allé la voir sur son île il y a vingt ans. Je chéris le souvenir marquant de ce moment unique partagé avec elle et j’avoue moi aussi avoir des envies d’ailleurs comme elle aimait le dire. Salut Castou, amuses-toi bien!