Si nous n’avons a priori qu’une seule vie à vivre, les sportifs de haut niveau en possèdent en tout cas deux. Ils gagnent des matchs, se battent contre des chronomètres ou terrassent des adversaires, puis, un jour, tout s’arrête dans un vestiaire en clair-obscur quand ils raccrochent leur équipement à la patère du souvenir et ouvrent la porte sur autre chose, sur l’inconnu de nos existences de pauvres mortels.
Timea Bacsinszky a pu prendre le temps. La meilleure joueuse de tennis romande de l’histoire a profité du fieffé covid pour être certaine qu’elle était prête, que sa flamme pour son sport avait suffisamment rétréci. «Je ne voulais pas allumer la télé, voir la finale de Roland-Garros et me dire que j’aimerais tellement y être», sourit-elle entre deux accueils de sponsors lors du tournoi de Montreux, où elle officie comme directrice sportive. Aujourd’hui, elle dit travailler davantage qu’avant, aimer transmettre aux jeunes à qui elle donne des cours et adorer développer les projets en lesquels elle croit, telle la production de sacs en bâches recyclées. «Il faut se préparer, trouver une activité qui t’embarque, car tu as tellement été dans les émotions. Peu importe le salaire, il faut que tu te réveilles en aimant le métier que tu fais. Si tu aimes, tu n’as jamais l’impression de travailler», ajoute-t-elle, pas mécontente de sa formule. Tout est plus facile car elle a choisi de rester dans le tennis, son monde.
Pour ceux qui souhaitent sortir du sport, l’atterrissage peut être brutal. Flamboyante médaillée de bronze du triathlon aux Jeux d’été de 2000, Magali Di Marco a pensé un instant que ce métal qui brille allait chambouler sa vie. Elle a dû déchanter. «J’ai fini par enlever ma photo et mes titres quand je me portais candidate à un emploi. On me répondait: «On ne va tout de même pas prendre une médaillée olympique…» Elle a compris que rien ne tombe du ciel, que la vie recommençait selon d’autres règles. Elle y est arrivée peu à peu: élue députée en Valais, elle s’engage et s’exprime. Cela dit, les flashs qui l’ont saisie il y a plus de vingt ans devant l’Opéra de Sydney l’éblouissent encore parfois. «Je commence seulement à ne plus y penser chaque jour», glisse-t-elle. Rentrer dans le rang tout en restant des championnes, tel est le pari étrange de ces vies à double face.