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Photographie

La photographe Virginie Rebetez raconte son attrait pour les morts

Son travail artistique met en valeur la mort et les défunts. Diplômée du Centre d’enseignement professionnel de Vevey, section photo, et titulaire d’un bachelor d’art visuel à la Gerrit Rietveld Academie à Amsterdam, la quadra explore les archives cantonales valaisannes dans «La levée des corps», sa dernière exposition à la Ferme-Asile, à Sion.

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La photographe Virginie Rebetez

Virginie Rebetez: «J’ai dû me battre pour croire en moi et entrer dans le monde de la photo»

GABRIEL MONNET

- Si vous n’aviez pas fait de la photo, vers quel métier vous seriez-vous dirigée? 
- Virginie Rebetez: Je pense que j’aurais travaillé dans le social, comme croque-mort ou pleureuse professionnelle en Italie. Ou faire quelque chose qui prendrait soin des personnes isolées. Quand j’ai commencé la photographie, je voulais être photographe de guerre. Je me souviens que j’étais furieuse devant les news de 19 h 30 quand j’étais ado. On voyait la guerre d’ex-Yougoslavie, la guerre en Irak. Je n’arrivais pas à accepter de vivre comme on vivait en voyant toutes ces images.

- Quels ont été vos premiers pas dans la photo? 
- J’ai commencé au collège dans des cours facultatifs, j’avais 14 ans. Au même moment, j’ai eu une maladie des yeux, je ne voyais qu’à 10% pendant quelques mois. Ma sœur riait parce que j’accrochais des photos au mur à l’envers. Au gymnase, j’ai fait un stage chez Mario Del Curto (photographe vaudois connu notamment pour ses travaux sur la nature et l’art brut, ndlr). Il m’impressionnait tellement! J’ai commencé en noir et blanc. J’adorais le labo, j’y passais des heures à développer des images.

- Vous souvenez-vous de la première photo que vous avez prise? 
- Non, je n’en ai aucune idée. Je ne viens pas d’une famille d’artistes. J’ai dû me battre pour être là, pour faire ce que je fais, pour croire en moi et entrer dans ce monde. Je suis assez timide, ça s’est fait vraiment graduellement.

- Et votre premier appareil photo? 
- Un Nikon FM2. C’était l’appareil des photographes de guerre et des reporters, et c’est ce qui m’intéressait: les reportages, les documentaires.

- En 2019, vous avez commencé à faire de la photographie funéraire. La mort fait également partie de votre univers artistique. Pourquoi cette inspiration? 
- Pourquoi pas? (Rires.) Ça me semble bizarre de ne pas y penser et de ne pas en parler. Je trouve ça incroyable qu’aujourd’hui la majorité des gens n’ait jamais vu un défunt. Déjà petite, j’avais envie de voir un mort. Le jour où j’ai vraiment pu en toucher un, l’observer et passer du temps avec, c’était pour un projet que j’avais commencé à Amsterdam. Je demandais à des pompes funèbres de garder les habits dans lesquels les personnes étaient mortes et dont la famille ne voulait plus. Quand j’arrivais au studio, il y avait le geste de les plier, qui était très important, comme une sorte de rituel. Je les photographiais comme des pièces à conviction, comme s’ils contenaient le dernier souffle de la personne. Un jour, le directeur de ces pompes funèbres est venu me chercher à la gare en corbillard. Il devait aller prendre une dame à la morgue. Quand il s’occupait de régler les papiers, j’ai pu rester en face de cette femme. Et j’ai trouvé ça très beau. Il y avait une espèce de tranquillité. D’ailleurs, je la remercie tous les jours.

- Quel est le projet dont vous êtes le plus fière?
- Tous mes projets sont spéciaux pour moi et parlent de personnes qui me sont chères, même si je ne les ai pas forcément connues. Je les porterai en moi toute ma vie, elles m’accompagnent et sont tous les jours à mes côtés. J’ai travaillé sur l’histoire d’une fille disparue à New York et suis toujours en contact avec sa maman. 

- Un projet de quelqu’un d’autre qui vous a particulièrement touchée?
- Un travail de Seiichi Furuya, un photographe japonais. Il immortalisait beaucoup sa femme et leur fils. Il était marié à une Autrichienne qui était schizophrène et qui s’est suicidée. Quand elle a sauté du balcon, il a continué de la photographier. Il a vraiment suivi sa femme, avant, pendant et après sa mort. Je crois que c’est la première fois que j’ai pleuré à une expo. Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est que j’ai senti le personnage. Je suis plus émue par la démarche de l’artiste que par son travail. On sent quand quelqu’un est impliqué, quand il est engagé.

- Que peut-on dire avec la photographie qu’on ne peut pas dire avec un autre art? 
- Je suis amoureuse de la photo parce qu’elle a quelque chose que les autres médiums n’ont pas: elle est liée intimement avec tout ce qui est preuves, documents, réalité. Dès ses débuts, elle a été utilisée dans la police. Elle a ce rôle de témoin que les autres médiums n’ont pas. Ce qui m’intéresse, c’est de jouer avec toutes ces notions-là.

- C’est ce que vous faites dans cette exposition…
- Oui. En 2021, j’ai reçu une carte blanche de l’ancien directeur des archives de l’Etat du Valais, Alain Dubois. Il m’a dit: «Je connais ton boulot, j’aimerais bien que tu travailles sur les archives. Fais ce que tu veux.» Et j’ai choisi de travailler à partir de documents de levées de cadavres concernant des personnes s’étant suicidées.

L’exposition «La levée des corps» de Virginie Rebetez

Ce détail de l’exposition «La levée des corps», entièrement consacrée aux archives cantonales du Valais, montre des dossiers gelés par le temps. Ferme-Asile, Sion, jusqu’au 25 février. Un livre sur le projet sort le 2 février.

Olivier Lovey/Ferme-Asile
Par Sandrine Spycher publié le 25 janvier 2024 - 09:25